Harlequinades 2009 – A l’ombre de la Couronne – Claire Thornton

A l’ombre de la Couronne

de Claire Thornton

Harlequin – 342 pages

Etude psycho-sociologique du triangle Lectrice / Auteur / Editeur dans le cadre des Harlequinades 2009.

Chez Harlequin la lectrice est bien accueillie. La Responsable de collection en personne (notez la majuscule mais l’absence de nom précis) se fend d’une lettre à sa Chère lectrice pour lui présenter les dernières publications de la collection et lui souhaiter une bonne lecture. En fin d’ouvrage la lectrice pourra retrouver des suggestions de lectures et même une proposition d’abonnement que de nombreux avantages exclusifs rendent irrésistible. Harlequin est un éditeur attentionné qui sait prendre soin de ses lectrices.

Comme il s’agit d’un roman historique (collection Les Historiques avec une belle majuscule) et qu’il ne faut pas perdre la lectrice dans les méandres de l’Histoire, l’auteur prend la peine, en introduction, de donner un cours de rattrapage : la vie d’Oliver Cromwell est expliquée avec un esprit de synthèse qui frise la perfection. Harlequin, toujours très attentionné, permet à ses lectrices de se cultiver sans les étourdir de faits et dates inutiles.

L’auteur aussi prend soin de ses lectrices. Pour ajouter au dépaysement de l’époque (le 17eme siècle) elle ajoute le dépaysement géographique. Claire Thornton fait voyager ses personnages dans toutes l’Europe (Londres, Bruges, Ostende, Bruxelles, Florence, Livourne et surtout… Venise, la ville romantique par excellence) et par tous les moyens (cheval, bateau, gondoles…). C’est aussi un auteur pédagogue. Elle joue au guide touristique et en profite pour dispenser des cours d’architecture (visite d’un palazzo vénitien et des quartiers célèbres de Venise), d’économie (la puissance commerciale de la Sérénissime République de Venise), de broderie (dentelle italienne contre dentelle de Flandres).

Attachons nous à l’histoire à présent. Je vous livre la 4eme de couverture.

Angleterre, 1666

Promise contre son gré à Samuel, partisan et ami d’Oliver Cormwell, Athena s’enfuit de chez elle et se réfugie à Londres où elle fait la connaissance du séduisant Marquis de Halross. Entre eux, c’est le coup de foudre. La date de leur mariage est arrêtée, mais, la veille de la cérémonie, Samuel retrouve Athena et la menace : si elle ne rompt pas immédiatement avec le marquis, il veillera à ce que ce dernier soit convaincu d’intelligence avec les Royalistes et pendu pour trahison…

D’habitude on reproche aux 4eme de couv’ d’en dire trop. Ici on peut dire que celui ou celle qui l’a rédigé n’a pas lu le livre. L’intrigue du chantage à la trahison est pliée dès le … prologue. Point de suspense : Athena a épousé Samuel. Point. Rideau. On passe à la suite svp. Et dans le 1er chapitre la lectrice, projetée 8 années plus tard, apprend que 1/ Athéna est parvenue à s’enfuir trois semaines après le mariage et à se réfugier dans un couvent à Bruges 2/ que Samuel est mort (et Cromwell aussi) et 3/ que Athena est devenue une femme intrépide (car elle voyage déguisée en homme et seule) et qu’elle vient de partir pour Venise. Admirons au passage la maîtrise de l’auteur dans l’art de l’ellipse. Mieux encore : Athena se retrouve face à Gabriel (le marquis de Halross) son promis, son amour de jeunesse, dès son arrivée à Venise soit dans le … 2eme chapitre. Pas de quête frénétique, de suspens insoutenable pour retrouver l’être aimé? Non. Le romantisme se perdrait-il chez Harlequin ? Non plus car dans les 300 pages qui suivent se succèdent malentendus, non dits et quiproquos divers qui ne faciliteront pas la reconquête du promis. 300 pages où Athena manque par deux fois de céder à Gabriel, où chacun des protagonistes avance puis recule pour finir par se tomber dans les bras et, tout de même, par se demander en mariage. Oui, vous avez bien lu. C’est dans cet ordre là : d’abord on s’abandonne par Amour, ensuite on se marie par Amour (attention c’est toujours par Amour tout de même). C’est toute la subtilité et la modernité de Claire Thornton. Elle fait de son héroïne du 17eme siècle une féministe avant l’heure qui assume et s’assume. Athena accompagne à Venise la jeune (tout le monde est jeune dans le livre et, de toute façon, on ne vivait pas vieux à cette époque) épouse d’un secrétaire de l’ambassade anglaise car elle se languit de son mari. Ils se sont mariés par Amour (très courant au 17eme siècle) et les retrouvailles sont à la hauteur de l’attente (effusions romantiques, sortez les flonflons, c’est beau mais c’est beau, tellement beau qu’Athena en a les larmes aux yeux). La vision du couple est aussi très contemporaine et surtout idéaliste. Gabriel apprend à faire confiance à Athena, écoute ses avis surtout en affaire… on les croirait presque sur un pied d’égalité. Le vocabulaire des héros, le ton des dialogues est d’ailleurs résolument moderne pour cette époque. La lectrice du 21eme siècle peut donc vibrer à l’unisson avec Athena sans difficulté.

Les personnages sont assez paradoxaux et plus complexes que ce que j’attendais d’un Harlequin. Athena est une jeune femme curieuse et intelligente mais reste une indécrottable cruche sur le plan sentimental. Gabriel est devenu froid et cassant sauf en présence d’Athena, présence qui le métamorphose en incurable Roméo. L’écriture aussi m’a surprise. Les descriptions des personnages sont assez drôles. Athena dans son premier face-à face avec Gabriel constate sa “puissance masculine” car “il se déplaçait avec la souplesse d’un félin et à chacun de ses mouvements, les muscles de ses mollets frémissaient sous la soie de ses chausses”. Or, lors de cette scène, Gabriel est resté pétrifié par l’apparition d’Athena.. Ceci dit je n’avais pas soupçonné un tel potentiel érotique chez mollets masculins surtout couverts d’un bas de soie … Puisque nous abordons maintenant le domaine de l’érotisme, entre les reculades, les rebuffades et les demi-abandons dans les bras musclés de Gabriel nous ne trouvons qu’une scène que l’on peut qualifier d’érotique (et qui, malgré tout, reste très conventionnelle). Cette scène, positionnée stratégiquement au milieu du roman, tombe à point pour relancer l’attention du lecteur et redonner du souffle à l’intrigue amoureuse. La lectrice reçoit donc aussi sa dose de piquant et d’épice.

Malgré quelques tics d’écriture qui font beaucoup rire (on visite souvent “le comble du bonheur”, on est “éperdu d’amour”, “les sens s’embrasent” etc) et les défauts inhérents au genre (une mesure d’eau de rose, deux mesures d’eau de rose… encore une petite louche ?) le roman se laisse lire. Ce qui signifie soit que ma panne de lecture est passée grâce à cet Harlequin (merci Laëtitia La liseuse), soit que je suis mûre pour les romans d’amour historique de Juliette Benzoni.

Un dernier mot, sur la couverture cette fois. Elle ne correspond ni au décor (principalement Venise), ni à l’époque. Mais avec Harlequin il ne faut chercher de crédibilité ni dans la forme ni dans le fond.

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Cet article a 5 commentaires

  1. Lhisbei

    je te comprends Youplala. j’ai eu du mal aussi. Parle en avec tes tripes j’ai hâte de lire ton billet []

  2. La liseuse

    c’est t’y pas mignon, autant d’attention pour la lectrice/Harlequine ! Tu m’a bien fait rire. Je suis bien contente que cette panne lecture soit un mauvais souvenir. Quel est le prochain bouquin ? un petit Benzoni ? []

  3. Ferocias

    As-tu déjà essayé la collection LUNA chez Harlequin?

  4. Edelwe

    Lol! j’adore ces Harlequinades. Chacun de vos billets est un petit bijou d’humour.

  5. Youplala

    Loooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooool!!!! J’adore cette description si palpitante des mollets masculins! [mdr]
    Et j’imagine bien la description de Cromwell : “type anglais ayant pris le pouvoir à un moment donné au cours des siècles passés”. Merci pour cet article, ça a été une sacrée marade! Dommage que tu ne veuilles pas en faire un autre! []

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