Chien du Heaume – Justine Niogret

Chien du Heaume

De Justine Niogret

Mnémos – 320 pages

Lecture commune avec Lelf et Roxane.

Chien du Heaume accumule les prix littéraires : Prix Imaginales 2010 du roman francophone, Grand Prix de l’Imaginaire – Étonnants Voyageurs 2010 du roman francophone et Prix Oriande 2010 du roman de féérie (prix délivré lors du Printemps des légendes). De quoi être impressionné voire même intimidé avant de commencer la lecture. D’autant plus que Chien du heaume est le premier roman de l’auteur… De Justine Niogret je pensais ne rien avoir lu avant Chien du heaume mais en consultant la bibliographie en début d’ouvrage (ce que je ne fais pas souvent – mais celle-ci était intrigante car plutôt fournie pour un auteur de « premier roman ») je me suis rendue compte que j’avais déjà croisés une de ses nouvelles : Liberté (sa si douce harpie) dans l’anthologie L préparée par Charlotte Bousquet. Et que la demoiselle avait déjà un recueil de nouvelles à son actif ainsi qu’une première nomination au Prix Imaginales en 2005 pour Un chant d’été nouvelle parue dans l’anthologie Les fées (chez les défuntes éditions L’Oxymore). Dois-je préciser que Justine Niogret a tout juste 30 ans ? Voila  qui avait de quoi susciter chez moi des attentes démesurées.  Attentes qui, logiquement, n’ont pas été toutes comblées.

Qui est Chien ? Chien du heaume, mercenaire, orpheline, a tout oublié de son passé jusqu’à son nom et son pays d’origine. Une hache ornée de serpent, qu’elle manie fort bien d’ailleurs, est la seule chose qui lui reste de son père. De la fantasy classique vous ne trouverez rien dans Chien du Heaume : pas de magicien, ni de sorcier, d’épée ensorcelée ou d’anneau magique, point d’elfe, de nain et autre gobelin ou orc. Nous avons affaire à une fantasy médiévale moins héroïque qu’historique. Des codes de la fantasy il ne reste que la quête initiatique et quelques bastons. Enfin « quête » est un bien grand mot. Si la recherche de son nom semble obnubiler Chien dans les premiers chapitres, elle s’en détache assez facilement après sa rencontre avec Sanglier, chevalier charismatique entouré de ses hommes d’armes, et le premier hiver passé au castel de Broe, entre neige et brume. Le château, taillé dans le roc et pris dans les glaces, ferme ses portes pendant les longs et rudes hivers moyenâgeux. C’est l’occasion pour Chien, solitaire par nécessité, de se lier d’amitié et pour le lecteur de faire connaissance avec des personnages attachants ou/et intéressants comme Regehir, le forgeron au visage marqué par le fer rouge. L’un des points forts de ce roman réside dans les personnages. A la lecture l’imposant et chaleureux Sanglier, la gueule cassée de Regehir, le doux et candide Iynge, jeune chevalier pressé de faire ses preuves que Chien prend sous son aile et Noalle, la jeune et perfide épouse de Sanglier, prennent corps. On sentirait presque la chaleur bourrue de l’étreinte fraternelle de Sanglier traverser les pages. Et cela c’est grâce à l’écriture de Justine Niogret, riche sur le plan stylistique et généreuse sur le plan des émotions et des sens.  Voici un extrait pour vous donner une idée :
La forêt était silencieuse, à part les crépitements d’un grand feu qui brûlait haut entre les arbres, si haut que les feuilles se consumaient et certaines branches éclataient sous le bouillonnement de leur sève. Les flammes rongeaient le bois mort, que la saison passée avait su sécher jusqu’au cœur ; des bûches aussi, coupées à la hache pour nourrir le vorace, et la chaleur du foyer sauvage faisait dégouliner la sueur sur la chair de la quinzaine d’hommes qui y marchaient tout autour. Ils se trouvaient nus, ou presque ; tous leurs regards étaient tournés vers ce rouge qui dansait entre eux, qui montait comme autant de serpents brûlants. Rien d’obscène dans leurs corps dévêtus ; c’était leur simple peau qu’ils montraient, luisante de transpiration, cuivrée et noircie par le jeu des ombres et des flammes. Le temps de leur cérémonie était venu, et ils la menaient comme bon leur semblait.

Cet extrait n’est qu’une mise en bouche, le style de Justine Niogret a plusieurs facettes. La tonalité du prologue, dans lequel nous faisons connaissance avec Chien grâce à un  « sniper » à l’arc (on est au moyen âge n’oublions pas), est différente de celle du roman. Ce prologue fournit une entrée en matière jubilatoire : j’étais conquise dès le début. Le lexique, bourré d’humour, contraste (et c’est le moins qu’on puisse dire) avec le reste du livre (lisez l’entrée « Braies »). Enfin les incursions du conteur qui parsèment le récit sont savoureuses. Là aussi un extrait :
Écoutez un instant, écoutez ce que je peux vous dire pendant que Chien marche et trébuche dans la neige, ce que je peux vous dire pendant qu’elle n’entend pas. Il y a deux choses à raconter sur elle si l’on veut bien commencer l’histoire. […]
La seconde chose à savoir, c’est qu’elle se souviendra toute sa vie d’une journée, d’une seule, dans ses moindres détails. Le jour de sa rencontre avec un homme, un chevalier : Bruec. Elle se souviendra de l’odeur fade de la soupe de l’auberge, du feu qui brûlait haut, de la peau de cerf réchauffée par la cheminée et qui puait sa viande. Des pas de Bruec, sa broigne cliquetant son bruit de cuir et de métal. Des doigts du chevalier, plus noirs que les sien, cassés par trop de coups d’épée. La veille de sa mort, Chien aurait encore pu raconter chaque instant et chaque fait de cette journée, jusqu’à la coupure qu’elle avait vu luire dans l’échancrure de la chemise de Bruec. La blessure était profonde et devait avoir gelé ; puis le chevalier était entré dans l’auberge, et le sang, réchauffé, avait recommencé à verser son émail rougi.

Sur le fond j’émettrai quelques réserves : l’intrigue est un peu mince, le rythme de l’histoire pêche un peu (certains passages paraissent s’étirer, d’autres mériteraient qu’on s’y attarde un peu) et surtout j’ai trouvé que, finalement, le personnage de Chien restait un peu trop passif, se laissait porter par les évènements. Une fois le premier hiver passé au château on dirait qu’elle mollit et cela ne cadre plus très bien avec son caractère … de chien.

Malgré ces réserves je conseille vivement Chien du Heaume parce qu’une plume comme celle de Justine Niogret se lit avec gourmandise et plaisir. On en redemande même. D’ailleurs ça tombe bien Justine Niogret est au sommaire de l’anthologie Magiciennes et sorciers, dirigée par Stéphanie Nicot. Anthologie qui figure en bonne place dans ma PAL.

Pour aller plus loin vous pouvez lire des interviews de l’auteur sur le Cafard Cosmique ou sur Mythologica et visiter son blog (à vos risques et périls).

Consulter la bibliographie de l’auteur sur le Répertoire de la Science-Fiction.

Cet article a 6 commentaires

  1. Lhisbei

    @ Sandrine : ça arrive [Bisou] j’ai parfois eu du mal à rester “dedans” par moment. certains passages tenaient du délire … mais ça reste une “expérience” de lecture sacrément bousculante pour moi @ Ferocias : des prix ! des prix ! mais je n’ai pas trouve de billet de toi sur le sujet … ?

  2. SBM

    L’intrigue est en effet un peu mince, de même que l’argument “fantasy”. Je retiens surtout les personnages, l’ambiance et le style qui indiquent assez que l’auteur est à surveiller.

  3. Efelle

    +1 avec Lhisbei concernant l’argument fantasy.
    Ca change agréablement.

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