Maître de l’espace et du temps – Rudy Rucker

Maître de l’espace et du temps

De Rudy Rucker

Denoël Lunes d’encre – 743 pages

Cette édition Denoël Lunes d’encre de Maître de l’espace et du temps regroupe deux romans, Maître de l’espace et du temps et Le Secret de la vie et un recueil de nouvelles, A l’assaut du cosmos, pour l’essentiel écrites en collaboration avec d’autres auteurs. Un gros pavé et du trois en un, si l’on peut dire, comme le billet qui va suivre.

Rudy Rucker est présenté par l’éditeur comme le fils spirituel de Fredric Brown avec une « science-fiction hilarante, mitonnée à base de savants frappadingues et de mathématiques hallucinées ». Dans Maître de l’espace et du temps, on trouve bien des savants frappadingues et des mathématiques hallucinées mais on est tout de même très loin d’une science-fiction hilarante. Le roman est léger, très léger, amusant, mais sans pour autant être tout le temps drôle. Le lecteur y trouvera même parfois un humour un peu basique ou potache. Harry Gerber et Joey Fletcher inventent un appareil qui permet de modifier la réalité. Baptisé le blonzeur il fonctionne aux gluons. Il n’existe que trois couleurs de gluons. Les principes mathématiques ou physiques ne sont pas très clair pour mois mais le résultat est simple : Harry et Joey se retrouvent avec une lampe magique et trois séries de réalité et donc de voeux à faire (Aladin n’est pas loin). Je vous laisse imaginer ce que deux savants totalement frappés peuvent faire de leurs voeux… En fait non n’essayez pas. Lisez le bouquin vous serez surpris de l’inventivité de Rudy Rucker, qui réussit au passage à ne pas se prendre les pieds dans les paradoxes temporels, ce qui peut relever de l’exploit tant les situations s’imbriquent de manière inextricables dans ce roman.

Le second roman, Le secret de la vie est beaucoup moins léger. Conrad Bunger est un adolescent mal dans sa peu et presque dépressif. Il a une obsession : découvrir le secret de la vie. Il est persuadé d’être un extra-terrestre envoyé sur Terre en mission pour découvrir ce secret. Et il a une technique infaillible : se saouler et se défoncer un maximum pour optimiser ses perceptions et percer la nature profonde de l’être humain. Le roman garde son mystère pendant un petit moment : l’ado est-il un extraterrestre ou juste un môme mal dans sa peau ? Le secret de la vie dépeint une Amérique des sixties en pleine mutation sociétale. Intéressant et beaucoup plus profond que le premier opus de ce volume.

Comme dans tout recueil de nouvelles, certaines plaisent d’autres moins. Dans A l’assaut du cosmos, chaque texte est accompagné d’une courte note d’explication de l’auteur. Procédé très appréciable car, même si certains textes ne m’ont guère séduite, ces notes m’ont permis de comprendre la démarche de l’auteur. Que l’éditeur ait placé ces notes à la fin de chaque nouvelle est encore plus appréciable : cela permet de ne pas déflorer le texte.
La racine carrée de Pythagore, mettant en scène les derniers moments d’un Pythagore assez éloigné de l’image traditionnelle qu’on s’en est fait m’a séduite. Mélange d’onirisme et de mathématiques que j’appellerai conceptuelles par facilité, elle n’a qu’un défaut : une fin un peu trop précipitée.
Le cinquante-septième Franz Kafka, une histoire de clone, ne m’a pas laissé un souvenir impérissable.
Dans L’école Jack Kerouac de poésie désincarnée et La bougie des sables d’Andy Warhol, deux artistes décédés sont ramenés dans le monde des vivants, Jack Kerouac par le biais de la projection d’une modélisation réalisée sur cassette (avec code génétique intégré), Andy Warhol grâce à une bougie. Dans le premier texte, Rudy Rucker rend hommage à l’écrivain qu’il admire et, à la lecture de la chute, la nouvelle donne l’impression d’un texte à portée autobiographique. Dans la seconde nouvelle Rudy Rucker aborde l’errance de deux paumés dont un artiste alcoolique. Cette nouvelle, le lecteur l’apprend dans la note qui l’accompagne a une résonance très personnelle bien que indécelable sans explication. Nous avons là deux très bons textes du recueil.
Les deux nouvelles suivantes Surfer sur les probabilités et Surfer sur le Chaos mélangent allègrement surf, mathématiques et défonce. Un mélange trop expérimental qui n’a pas pris avec moi.
Méduse reprend les ingrédients préférés de Rudy Rucker : les mathématiques hallucinées et un savant frappé. Un mathématicien barré, créateur de méduses artificielles, s’acoquine avec le bras-cassé d’une famille texane de magnats du pétrole. La nouvelle démarre bien mais vire au grand n’importe quoi sur la fin. Dommage.
Le dernier texte, A l’assaut du cosmos, est une petite perle. En URSS, Nikita Globov est un stukach, un mouchard à la solde du KGB, qui dénonce comme il respire. Sa dénonciation du savant Vlad Zipkin va lui valoir des conséquences inattendues. Après avoir lu un roman d’Aleksander Kazantsev (un auteur de SF qui a réellement existé soit-dit en passant) Zipkin monte une expédition en direction de la Toungouska pour y percer le mystère de l’explosion de 1908 (un petit lien wikipédia pour vous éclairer) persuadé que les ET sont de la partie. Nous avons ici le meilleur texte de ce recueil, riche en thématiques (critique politique, SF, conquête spatiale), non dénué d’humour et parfaitement maîtrisé du début jusqu’à la fin. De quoi clore le recueil avec un grand sourire.

Pour terminer je dois avouer que c’est un plaisir de tenir dans les mains un livre de cette qualité-là. Je ne parle pas seulement de la qualité littéraire. Je parle ici du livre en tant qu’objet physique (même si c’est moins pratique à trimballer qu’un poche). Le papier a un grain agréable. La maquette est irréprochable, la couverture glacée ne s’abime pas et quel plaisir de lire un livre de plus de 700 pages dont le dos ne se casse pas et les feuilles ne se décollent pas quand on arrive à la moitié.

Une découverte intéressante grâce à une lecture commune avec Efelle. Merci à toi Efelle.

Cet article a 10 commentaires

  1. Lelf

    Moralité : je dois le faire sortir de ma PAL au lieu de continuer à l’enterrer. C’est bon à savoir :p

  2. Efelle

    De rien…
    Je n’ai pas adoré tout le recueil mais une bonne moitié vaut le détour. J’ai bien fait d’éplucher ta PAL.

  3. Cachou

    Ce livre m’intrigue, je n’avais jamais entendu parler de cet auteur.
    Par contre je ne suis pas très fan des éditions qui regroupent plusieurs tomes en grand format, tout simplement parce que ça fait un peu trop souffrir mon épaule (sac, toussa). Mais si le dos ne marque pas, c’est un énorme plus, car c’est l’autre défaut des grosses éditions grand format.
    Et puis rien ne vaut le plaisir de tenir un bel objet-livre est important. Mais il ne faut pas oublier l’odeur. Je suis en train de lire un petit livre qui est pourtant prenant, mais dont l’odeur me rebute incroyablement, du coup je ne tiens jamais très longtemps pendant ma lecture…

  4. Lhisbei

    @ Lelf : oui il mérite de sortir de la PAL. Mais découpe-le. c’est du trois en un donc la lecture prend du temps @ Efelle : merci d’avoir épluché ma PAL Nos avis se rejoignent sauf sur quelques nouvelles (Surf maths et défonce c’est vraiment pas mon truc )
    @ Cachou : il n’y a aucune odeur . c’est vraiment un livre qui n’a pas bougé après lecture. Et pour tout dire si je le revendais je pourrais mettre “Comme neuf” sur l’annonce : pas une marque, pas un pli, rien. On dirait même que je ne l’ai pas lu ! pour être tout à fait honnête, la collection Lunes d’Encre a la réputation d’être chère mais on sait où vont les euros. QUA-LI-TE ! Elle le vaut bien qu’on se le dise (pas comme d’autres collections aussi chère et dont les bouquins tombent en miettes assez vite) []

  5. NicK

    +42. Les DLE sont très solides pas comme les Br*g*lon** qui cassent souvent à la lecture. Ce recueil est dans ma PAL mais pas près d’en sortir vu que j’ai débuté autre chose… Peut-être le mois prochain !

  6. Maëlig

    Je l’ai trouvé d’occas (8 euros!) après avoir lu ton billet qui m’a donné envie, du coup j’en profite.

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