Petites Morts – Laurent Kloetzer

Petites Morts

De Laurent Kloetzer

Mnémos – 288 pages

Le premier contact avec les écrits de Laurent Kloetzer s’est fait lors de la lecture de la première anthologie des Imaginales, Rois et capitaines. « L’Orage », la nouvelle de Laurent Kloetzer mettait en scène le personnage principal de Petites Morts, Jaël de Kherdan, séducteur libertin dans un monde de fantasy inspiré du XVIIIe siècle. Et le moins que l’on puisse dire c’est que j’étais passée à côté de ce texte malgré un univers qui me plaisait vraiment. La narration sous forme de rêves successifs qui allaient jusqu’à effacer la notion de réalité et la fin qui ne permettait pas de démêler le réel de l’imaginaire m’avaient plongée dans la confusion. Je sentais qu’il me manquait un élément pour comprendre, donner du sens à ce texte. La plume de l’auteur et la fantaisie de l’univers dans lequel évoluait Jaël (j’adore ce prénom !) m’avaient pourtant donné envie de découvrir un peu plus l’oeuvre de l’auteur et c’est CLEERUne fantaisie corporate, écrit à quatre mains avec son épouse Laure Kloetzer, qui m’a définitivement convaincue qu’il ne fallait pas passer à côté de cet auteur.

Petites Morts reprend donc le personnage de Jaël de Kherdan dans différentes aventures, semées de violence, de morts et d’extases amoureuses. On y retrouve une reprise de « L’Orage » et toutes les nouvelles ont ce point commun d’effacer la notion de réel. Dans les trois premières nouvelles, Jaël est écrivain (il narre ses propres aventures), duelliste à l’épée, libertin ; il joue les casanova, mais perd régulièrement la mémoire, oublie ce qu’il a été, son passé, ses amours et n’a pas à en assumer les conséquence. Il se laisse porter par une rencontre, une envie, un rêve éveillé. Impossible pour le lecteur de démêler ce qui est de la fiction (les aventures écrites par Jaël), de l’onirique – lui même ne sait plus ce qu’il a écrit, rêvé ou vécu. Pour autant la construction, parfaitement maîtrisée du début jusqu’à la fin, réussi à ne pas perdre le lecteur en route. La perte des repères n’amène pas de confusion tant la logique interne du récit est solide. Arrivée à ce point du roman (p. 173) une image s’impose : celles de matriochkas, colorées et enjouées, imbriquées parfaitement les unes dans les autres, avec lesquelles on joue à deviner à quoi ressemblera la suivante et qui nous intriguent – combien sont-elles ? Avec Jaël jusqu’où irons-nous ? La construction m’a tellement émerveillée que la passivité de Jaël a même réussi l’exploit de ne pas m’agacer. Il se laisse porter par les évènements, d’extases en extases, de fêtes en duels, de jeunes filles en femme. A chaque réveil (d’une mort, d’un rêve) Jaël est l’incarnation d’une page blanche, page sur laquelle l’histoire suivante peut-être écrite. Qu’importe si Jaël revient sur ses pas, comme au jeu de l’oie, commettant les même erreurs, n’apprenant jamais de son passé. Le monde dans lequel il évolue nous offre une fantasy sombre et baroque, marquées par les arcanes du tarot de Marseille, où l’amour et le sexes sont indissociables de la violence, de la perversité, de la mort, du sang. Où le rêve peut, au moindre instant, finir en cauchemar et où la vie ne tient qu’à un fil.

Les deux dernières nouvelles font basculer le recueil dans tout autre chose (mais que nous tairons ici pour ne pas ôter le sel et le plaisir aux futurs lecteurs), nous arrache à cette Renaissance onirique et apporte une dimension supplémentaire, une perspective nouvelle et un angle pour relire les trois premiers textes. Vertigineux ! Des réponses sont proposées mais la fin après la fin, permet toutes les interprétations. Et, magie ou talent – chaque interprétation fait sens. Moi qui préfère les fins nettes et tranchées, je suis subjuguée jusqu’aux derniers mots, accepte de ne pas savoir (après tout la réalité n’est qu’une perception) et espère recroiser Jaël dans un monde ou dans l’autre.

J’ai été bien longue pour parler de ce livre – et encore je ne vous ai pas parlé de la Magicienne, du jardin et de ses lys, des chiens ou du chat… (ce sont des clefs, débrouillez-vous pour trouver les serrures). J’ajouterai un dernier mot sur la couverture qui colle parfaitement à l’ambiance des premiers textes et qui me séduit autant que le roman.

Cet article a 10 commentaires

  1. Lhisbei

    @ Gromovar : tricornes, marquises, épées, libertinage… c’est la meilleure époque pour un décor en 3D (clef inside). Le décroché se fait dans les deux dernières nouvelles, plus contemporaines (je dirais même d’anticipation proche).

  2. Cachou

    (argh, deux fois que mon commentaire disparaît [Ordi casser])
    Mon avis diffère totalement du tien, comme tu t’en doutes. Mais une chose m’étonne: j’ai, de mon côté, trouvé l’histoire trop elliptique. Onirique certes (le seul côté à m’avoir plu dedans d’ailleurs), mais hésitant entre liaison et séparation d’une manière que j’ai trouvée confuse, j’ai souvent décroché du récit à cause de sa construction (avant de décrocher pour l’autre raison dont je t’ai parlé).
    Bref, je ferai court dessus, Kloetzer n’est définitivement pas un auteur pour moi. Billet ce soir, quand j’aurai terminé le livre en cours.

  3. Efelle

    “Qu’importe si Jaël revient sur ses pas, comme au jeu de l’oie, commettant les même erreurs, n’apprenant jamais de son passé.”
    Voilà qui n’est pas sans rappeler le concept de la Voie du Cygne (où Jaël ne fait qu’une brève apparition dans l’épilogue), je verrai ça dans quelques semaines.

  4. Lorhkan

    Intrigant tout ça ! J’aime beaucoup l’écriture de L. Kloetzer. Peut être me laisserai-je tenter…
    Ha, et bravo pour le titre du livre, avec ce joli double sens…

  5. Lystig

    (euh, j’en rougis[:s], mais pour moi, et à cette époque, “petite mort” avait un autre sens…)

  6. NicK

    “c’est CLEER – Une fantaisie corporate, écrit à quatre mains avec son épouse Laure Kloetzer, qui m’a définitivement convaincue qu’il ne fallait pas passer à côté de cet auteur.”
    L’Empire Blessé est son meilleur roman. [Oui] Faut-il lire La Voie du Cygne avant ?
    “Kloetzer n’est définitivement pas un auteur pour moi” /* Mode je taquine ON */
    @Cachou : en fait la Fantasy et la SF sont-elles vraiment pour toi ? [mdr]
    /* Mode je taquine OFF */
    Sinon ton chat va bien ? [Cheese]
    NicK.

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