Miscellanées de nouvelles (4)

L’année dernière et celle d’avant, j’avais commencé à vous proposer des chroniques de nouvelles. Comme 2013, pour le blog, n’est marqué d’aucune bonne résolution et que j’ai l’esprit de contradiction (je joue les girouettes si je veux), j’ai décidé de reprendre cette série de Miscellanées. La formule ne varie pas : entrée, plat, fromage et dessert. Et parfois je vous ajouterai un apéro, cadeau de la maison ! Boisson à discrétion, bien entendu. Le menu du jour sera presque entièrement numérique.

En guise de mise en bouche, voici une nouvelle parue dans le hors-série de Ciel&Espace de juillet 2012. Ce numéro consacré aux E.T. accueille un texte de Ugo Bellagamba : « Un hiver avec Fermi ». Cette nouvelle, inédite en format papier, est disponible en audiobook depuis juin 2007 sur le site d’Utopod et, plus exactement, ici pour les curieux. Le narrateur est un historien, une conscience désincarnée, qui retrace dans les grandes lignes l’évolution de l’humanité de sa dissémination sur les mondes habitables au repli : grandeur et décadence à l’échelle cosmique … qui remet en perspective la vie et sa place dans l’univers. Ugo Bellagamba offre un texte empreint de poésie et, le ton employé par l’historien narrateur séduit. Comme toujours, je suis charmée par la plume de l’auteur. Un autre avis chez Cédric Jeanneret.

En entrée, je vous propose « Compte-rendu de certains événements survenus à Londres » de China Mieville, une nouvelle numérique de 25 pages parue en juin 2012 au Bélial, et proposée gratuitement au téléchargement ce mois là (mais épuisée depuis). Le texte est paru précédemment dans Bifrost n°53. Ma dernière (et première expérience) avec China Miéville n’ayant pas été des plus concluantes, j’ai traîné un peu pour lire cette nouvelle. Mal m’en a pris parce qu’elle m’a réconciliée avec l’auteur et donné envie de me plonger dans une autre de ses villes. China Miéville (lui-même) reçoit un jour un pli adressé à Charles Melville. Il l’ouvre et découvre des compte-rendus émanant d’une institution obscure, la COVF, institution qui s’est donné pour mission d’étudier les rues sauvages qui apparaissent, disparaissent dans les principales villes du monde. Inventif et prenant du premier au dernier mot. Cette nouvelle a largement mérité son Prix Locus 2005 (et prouve que l’auto-fiction, parfois, c’est le bien). La maquette du fichier epub n’a probablement pas été simple mais se révèle impeccable. Les avis enthousiastes de Julien, Tigger Lilly et Un monde de nouvelles.

En plat de résistance, laissez-moi vous présenter « Radieuse Étoile verte » de Lucius Shepard. Cette nouvelle (une novella presque) de 72 pages (d’où la nécessité de la présenter comme plat de résistance) est extraite du recueil Sous des cieux étrangers. Disponible gratuitement en décembre 2012, elle est maintenant téléchargeable pour la modique somme de 2,49 €. L’histoire, banale et classique, d’un adolescent qui veut se venger de son père. Philip a été mis en sécurité par sa mère dans un cirque, le Cirque de la Radieuse Étoile verte. En cette fin du 21ème siècle ce cirque à l’ancienne, semble anachronique par ses attractions et son mode de fonctionnement. L’intrigue, ici, n’est pas le plus important même si on s’attache très vite à Philip (malgré ses atermoiements) et qu’on s’intéresse à son parcours initiatique jusqu’à l’âge adulte. Tout l’intérêt du texte repose sur la galerie de personnages improbables brossés par l’auteur, et notamment sur le major Martin Boyette, mystérieux survivant de la guerre qui opposât Américains et Vietnamiens ainsi que sur les descriptions du mode de vie de Philip qui nous immerge dans ce Viet-Nâm à la fois suranné et futuriste. Lire les avis de la NooSFere, Efelle, Julien, Thom, BlackWolf

Un extrait tiré de « Radieuse Étoile verte » :
Dans un sens, Binh Khoi était le lieu idéal pour nous, car cette ville, à l’instar de notre cirque, était conçue pour ressembler à un fragment d’une autre époque. Située près du col des Nuages océaniques, dans la cordillère de Truong Son, à une quarantaine de kilomètres au nord de Da Nang, elle offrait à la plupart de ses habitants une vue imprenable sur les collines vertes descendant vers la plaine côtière. Le matin de notre arrivée, ces mêmes collines étaient à demi submergées dans un épais brouillard blanc, les plaines étaient invisibles et les étroites ruelles envahies par une fine brume pâle qui nimbait les lieux d’une aura sinistre et enchanteresse. Bien que les maisons les plus anciennes ne datassent que d’une cinquantaine d’années, elles ressemblaient toutes à ces demeures du XIXe siècle que l’on trouve encore dans certaines quartiers de Hanoi : bâties en pierre, hautes de deux ou trois étages, peintes en gris, en jaune pâle et autres tons sobres, avec des toits fortement inclinés de tuiles vert foncé et des jardins clos par de hauts murs où poussaient bougainvillées, papayers et bananiers. N’eussent été les réverbères des boulevards et les tenues excentriques des piétons, on se serait cru ramené près de deux siècles en arrière ; mais je savais que cette façade pittoresque dissimulait des systèmes de sécurité dernier cri qui nous auraient pulvérisés si nous étions entrés sans les autorisations idoines.

Éric Holstein nous livre une vision très personnelle des soap-operas made in USA dans « Glamour Über Alles », une nouvelle de 22 pages parue en février 2012 dans le 6eme numéro d’Angle Mort. Elle peut se lire ici. La carrière d’acteur de Flint est loin de décoller. C’est donc par dépit et pour gagner sa croûte qu’il atterrit sur le tournage de A l’ombre du destin, l’un des rares soap-opera qui n’a jamais eu à remplacer l’un ses comédiens (on comprendra pourquoi sur la fin) … Un texte qui réussit le pari d’être drôle et glaçant.

Un extrait tiré de « Glamour Über Alles » :
L’horreur. Pendant que Bob nous regardait stupidement et que sa louve quittait le décor dans un tourbillon de soie et de cosmétique, je suis resté comme un sac postal rempli de lettres d’insulte. Aussi expressif que Keanu Reeves dans… eh bien dans n’importe lequel de ses films. Disons My Own Private Idaho… Un tréteau. Mauvais comme un cochon.
Il faut la bourrade de Chris pour m’arracher à la consternation dans laquelle m’a plongé ma propre nullité.
Le réalisateur sourit et enroule mon épaule de son enthousiasme.
« Génial, mec ! Génial ! Je t’avais dit que ça se passerait bien. Tu vois, aucune raison de t’en faire, t’étais parfait ! On aurait dit Christian Bale dans Batman Begins. C’est dire ! »
Ça y est, c’est officiel. Ma carrière est terminée !

Passons donc au dessert avec « Le vieux M. Boudreaux » de Lisa Tuttle, nouvelle de 23 pages extraite du recueil numérique  Ainsi naissent les fantômes aux éditions Dystopia parue en février 2012. Elle est téléchargeable gratuitement mais si vous préférez la version papier, elle est aussi au sommaire de l’anthologie 01. La narratrice rentre au pays à la mort de sa mère et hérite de la maison de son enfance et de son invité permanent, M Boudreaux (et non, ce n’est pas un fantôme). Ici pas de monstres intérieurs comme pour Ainsi naissent les fantômes, mais le retour nostalgique d’une femme sur les terres de son enfance. Un texte tout en finesse et en délicatesse où le fantastique, léger, ne pointe son nez qu’à la toute fin. L’avis de Philémont.

Un extrait du « Vieux M. Boudreaux » pour terminer
Avant même de voir la vieille boîte aux lettres métallique légèrement penchée, j’anticipai sa présence et ralentis pour aborder le virage. Tandis que la voiture avançait en cahotant le long de l’allée grêlée de nids-de-poule pour pénétrer dans le tunnel ombragé à la fraîcheur mystérieuse et à l’odeur de pin, je m’imaginais transportée dans un monde perdu comme celui de Conan Doyle, une bulle d’univers primitif et hors du temps. C’était là une rêverie que je savourais à chaque visite, jusque tard dans l’adolescence. Des souvenirs ressurgirent du passé, des livres pour la plupart : Le Monde perdu, Les Habitants du mirage,Fu Manchu, She, de vieux livres de poche signés Talbot Mundy, P.C. Wren, Louise Gerard, E.M. Hull et Richard Halliburton. Les étagères de mamie regorgeaient de plaisirs exotiques, de récits d’aventures et livres de voyage d’une autre époque. J’étais ravie de pouvoir lire pendant que les adultes discutaient ou jouaient aux cartes, et quand, inévitablement, on m’ordonnait de cesser de m’abîmer les yeux et de sortir prendre l’air, je m’arrangeais pour emporter clandestinement un livre. Il n’y avait pas de meilleur endroit qu’un recoin caché au cœur d’une nature mystérieuse et inconnue pour lire les histoires de mondes oubliés et d’explorateurs se frayant un chemin à coups de machette à travers le Mato Grosso.

J’espère que ceci vous aura mis en appétit.


JLNN

Cet article a 8 commentaires

  1. Lune

    J’ai bien envie de découvrir la nouvelle de Miéville, mais j’avais déjà vu qu’elle était “épuisée” en numérique…

  2. Lhisbei

    @Lune : ouaip j’ai vu ça quand j’ai préparé mon billet.

  3. Lorhkan

    Je profiterai également du challenge de Lune pour relancer mes comptes-rendus groupés de nouvelles.

  4. Didier69

    Merci pour ce bon repas et surtout pour le plat de résistance qui me titille les papilles de lecteur . J’en profite pour te dire aussi que le mode mobile de ton blog est très pratique.

  5. Nick_Holmes

    “« Compte-rendu de certains événements survenus à Londres » de China Mieville, une nouvelle numérique de 25 pages parue en juin 2012 au Bélial, et proposée gratuitement au téléchargement ce mois là (mais épuisée depuis). Le texte est paru précédemment dans Bifrost n°53”
    Elle est franchement pas top celle-ci. Shepard par contre c’est le Bien. (tu as vu ma chro de McDonald le tout mou dans ses intrigues ?)

  6. Tigger Lilly

    J’ai vraiment adoré la nouvelle de Miéville, très très chouette. Et je dois lire M Boudreaux maintenant que j’ai ma liseuse

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