Hiver, Le Demi-Monde T1 – Rod Rees

Hiver
Le Demi-Monde T1

De Rod Rees

J’ai Lu Nouveaux Millénaires – 544 pages

Une fois n’est pas coutume, la présentation de l’éditeur est tout à fait pertinente :

Le Demi-Monde est la simulation informatique la plus avancée jamais conçue. Créé pour entraîner les soldats à la guérilla urbaine, ce monde virtuel est volontairement bloqué dans une guerre civile permanente. Ses trente millions d’habitants numériques sont gouvernés par les avatars des plus cruels tyrans de l’Histoire : Heydrich, l’architecte de l’Holocauste ; Beria, le bourreau de Staline ; Torquemada, l’Inquisiteur sans pitié ; Robespierre, le visage de la Terreur…
Mais quelque chose s’est détraqué à l’intérieur même du Demi-Monde, et la fille du Président des États-Unis y est restée coincée. Il incombe à l’agent Ella Thomas d’aller la récupérer, mais, une fois sur place, la jeune femme se rend compte que les règles du jeu sont faussées…
Le monde réel pourrait bien courir un danger que nul n’a encore osé imaginer !

Attention blockbuster en vue. Hollywoodien même ce blockbuster (encore qu’il faille que je vérifie la nationalité de l’auteur : il est anglais je crois). J’aime bien un blockbuster hollywoodien de temps à autre, ça vide la tête, ça divertit et certains sont assez bien fichus pour faire réfléchir un peu.

C’est tout à fait le cas avec cet Hiver qui se révèle être un page-turner addictif : action à chaque page, machinations et complots politiques, revirements et suspens spectaculaires, l’auteur nous accorde même une révolution quasi messianique et une belle bataille dans le ghetto de Varsovie reconstituée à la fin de ce premier tome. Sans compter un magnifique cliffhanger final qui laisse le lecteur dans l’expectative. Lecteur qui devra se montrer patient puisque le tome 2, Printemps ne sortira qu’en octobre 2013. Je suppose qu’il y aura au moins quatre tomes (pour les quatre saisons) ce qui promet nombre de rebondissements. Le Demi-monde est présenté de manière extrêmement fouillée par l’auteur avec un souci du détail et de la minutie impressionnants jusque dans les épigraphes présentant les doctrines en vigueur. Et c’est réellement le point fort de ce roman : un monde clos mais complexe.

Alors oui c’est un page-turner addictif mais il faut bien lui reconnaître un défaut : ce roman manque cruellement de subtilité. Trop de religions et de philosophie antagonistes, trop de bourreaux historiques, trop de monde, trop de saleté, trop de tout pour que ce ne soit pas le chaos intégral. Car s’il y a des guerres, il y a aussi des Dupes (les doubles des humains dans cette simulation) à la vie normale, des rues bondées, des commerces et des pubs et surtout un semblant d’ordre et d’organisation (avec une société qui ressemble fort à la bonne société victorienne dans les Essaims, l’un des quartiers du Demi-Monde) et une économie qui a l’air de tourner à peu près normalement malgré la corruption qui y règne (avec une élite, une bourgeoisie qui n’a pas l’air bien malheureuse). Alors qu’avec pas moins de 20 avatars des plus grands tyrans et criminels que notre histoire a engendré, dans un espace aussi confiné, on devrait plutôt avoir un Demi-Monde à feu et à sang en permanence. Ce pour quoi le Demi-Monde a d’ailleurs été conçu : une simulation de guerre hors norme. Las ! Le résultat final a encore une apparence de normalité trop importante même si on se croirait dans un roman de Dickens (et personne n’aimerait vivre dans un roman de Dickens).

Le principe qui a fondé la simulation est que c’est le personnage qui fait l’histoire et pas l’histoire qui fait le personnage. Je m’explique : Heydrich sans le parti nazi et le IIIeme Reich que serait-il devenu ? Fonctionnaire zélé et monomaniaque d’une administration quelconque, partageant ses loisirs entre le sport et le violon ? Il aurait été tout aussi mauvais : arrogant, méprisant, sadique etc. mais il n’aurait pas eu d’autre terrain de jeu que celui dont dispose le commun des mortels (un boulot, une famille) ce qui limite la nuisance. Ce qui a fait qu’Heydrich est devenu SS-Obergruppenführer, Protecteur adjoint du Reich en Bohême-Moravie et organisateur logistique de la « solution finale », c’est une conjonction de facteurs : sa personnalité, celles de Hitler, Himmler et de centaines d’autres, le nazisme à l’échelle d’un pays, sous-tendu par des courants de pensées bien particuliers mais aussi l’histoire (avec entre autres les traces laissées par la Première Guerre Mondiale), l’économie (et la crise) etc. Le monstre n’est jamais monstre par hasard, ni par sa seule nature. Donc ici l’auteur part du principe que ce sont les Hommes (et pas forcément des Grands) qui font l’histoire, même si chaque partie du Demi-Monde connaît un contexte propre à exacerber leur personnalité. Et comme ce n’est pas l’histoire qui fait l’homme, les opposants, les résistants sont presque absents. Sauf le courant antagoniste bien sûr. Mais il n’y a pas au niveau individuel de personnage fort, une incarnation du bien, qui tente de résister ou de fédérer. Il n’y a que deux types de Dupes : les leaders fous et tyranniques et les moutons. Même les personnages qui se révèlent être de grands résistants au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue (comme Trixie) montrent des tendances de psychopathes. Et côtoyer des personnages aussi monstrueux en permanence sur la longueur du roman a aussi tendance à écoeurer un peu.

Le manque de subtilité est aussi présent dans la psychologie des personnages. Leurs bassesses et petites lâchetés sont exacerbées en permanence dans le Demi-Monde. Leurs psychologie est uniforme et parfois leurs réactions sont tout à fait improbables ou bizarres (et je ne compte plus le nombre de fois où l’auteur trouve ça bizarre aussi : “bizarrement, il avait l’air sincère”, “bizarrement elle le crut”). Et dans le monde réel le lecteur se retrouve face à des revirements pour le moins spectaculaires mais assez difficilement explicables. Un exemple avec notre héroïne Ella. Dans le monde réel, elle est belle, intelligente, mince et chante divinement bien. Elle est métissée. Malgré tout et à cause d’un frère drogué qui dilapide son argent, elle est sans emploi et à deux doigts de se retrouver SDF (sortez les mouchoirs). Lorsqu’elle auditionne pour l’armée, on lui propose un million de dollars. « Un million de dollars, ça ne se refuse pas ». Puis on lui présente le Demi-Monde par le menu et on lui fait rencontrer le Dupe d’Heydrich. Comme c’est une fille intelligente, elle refuse très logiquement de se faire envoyer dans un monde à côté duquel un club de vacances tenu par le Ku Klux Klan paraîtrait relever d’une promenade de santé. L’armée tente de la convaincre, la supplie un peu. Elle refuse toujours. Elle refuse par trois fois : même le téléconseiller le plus tenace raccroche au troisième refus. Puis on lui propose cinq millions de dollars. Et là c’est le chiffre magique : l’auteur la fait changer d’avis d’un « Cinq millions de dollars, ça ne se refuse pas ». Bien sûr si elle dit non, l’histoire s’arrête. Elle doit donc accepter la mission. Tant pis si sa réaction ne cadre pas tout à fait avec le personnage. Le spectaculaire plutôt que le vraisemblable. Un blockbuster.

Au cinéma un blockbuster sur 1h45, 2h ça passe. Sur 3h moins. En roman, sur 200 pages ça pouvait passer, mais sur 544 pages (à multiplier probablement par 4) je frise l’indigestion. Je me suis enlisée à la lecture et ne rempilerais probablement pas pour la suite. Dommage j’attendais beaucoup de ce roman qu’on présentait comme l’évènement SF de l’année.

Cet article a 12 commentaires

  1. Nick_Holmes

    “Mais quelque chose s’est détraqué à l’intérieur même du Demi-Monde, et la fille du Président des États-Unis y est restée coincée”
    Appelez Snake !!! :p

  2. Vert

    Nan mais c’est nul, soit on accepte le million direct, soit on refuse les 5, soyons cohérents quand même, de toute façon tout sera pris par les impôts

  3. Lune

    Je suis dedans, et un peu comme toi, y a plein de choses intéressantes, mais assez peu de nuances. Après je pense lire la suite, sauf si dans la 2nde moitié du livre je ne m’amuse pas du tout.

  4. Bertrand

    Coucou Karine (et les autres aussi) ^^
    Pour ma part j’ai lâché au début des pages 200 (faudra que je regarde où est le marque-pages pour déclarer scientifiquement où exactement).
    @ Nick : C’est tout à fait ce qu’à dit un critique sur le Net : C’est Snake débarquant dans une prison virtuelle… Si cela avait été le cas j’aurai signé des deux mains… un bon thriller page-turner écrit au 2nd degré fait énormément de bien… Mais là j’ai lâché l’affaire et c’est arrivé comme ça, la fatigue (j’ai du mal à me concentrer), la difficulté à ressentir quelque chose pour les persos et l’intrigue qui se relance à coups de cliffanghers (qui commencent à m’ennuyer). Et puis une lassitude de voir des bouquins de plus en plus gros tout en ayant l’impression qu’on aurait pû résumer tout ça en 350 pages (voire en dessous).
    Et même si l’héroïne est bien foutue, on a du mal à piger pourquoi on l’envoie dans ce bordel : Pourquoi ne pas envoyer une soldat bad-ass avec un casier long comme le bras et 2-3 opérations plutôt dégueulasses au comptoir ? Une Marine à la Vasquez ? (je me comprends)… Parce que j’ai l’impression que l’auteur se complique un peu les choses et coupe les cheveux en quatre… Bref je ne sais pas si je vais le finir (et puis quand je vois ma PAL uchronique je me dis que j’ai d’autres trucs plus rigolos à lire)…
    See You.
    Bertrand

  5. Lorhkan

    C’est marrant, à la lecture de ta chronique (très bonne d’ailleurs), j’ai eu les mêmes réactions que Bertrand et Nick.
    Pourquoi envoyer un bleu alors qu’on pourrait envoyer un vétéran ?
    Et si l’auteur ne s’est pas inspiré de Snake avec le jeu Metal Gear Solid 2, je veux bien manger mon chapeau !

  6. Tigger Lilly

    Dommage la couverture est jolie (j’avais dit exactement la même chose pour New Victoria je pense xd)

  7. Héhé, on a un début de réponse au pourquoi du comment ils envoient Ella en début du deuxième volume La crédibilité relative ne m’a pas gênée, parce que finalement pas mal de choses semblent avoir un sens par la suite. Et n’oublions pas que le “jeu” est supposé être imprévisible et aléatoire ))

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