Super triste histoire d’amour – Gary Shteyngart

Super triste histoire d’amour

De Gary Shteyngart

Points – 408 pages

Dans un futur proche Lenny Abramov, presque quadragénaire New-Yorkais traque (mollement) des Individus à Capitaux Propres Elevés (c’est-à-dire des hommes et femmes riches mais peu endettés) pour leur vendre un traitement révolutionnaire ralentissant le vieillissement. Il glandouille en Italie, de partouzes en orgies et tombe amoureux de Eunice Park, une jeune coréenne d’une vingtaine d’année, belle mais torturée et égoïste au possible. Lenny est juif, d’origine russe, se sent décalé vis à vis du monde hautement technologique dans lequel il est contraint de vivre. Il a du mal à se servir de son äppärät, un smartphone ultra-perfectionné. Il conserve précieusement des livres, objets anachroniques dans cette société de l’image et des réseau sociaux qu’on appelle “articles Médias imprimés, reliés”. Son retour au bercail ne se passe pas très bien. L’économie de son pays décline, le climat politique se tend, ses relations avec ses parents, son patrons, ses amis sont compliquées. Sa hantise de la mort et de la décrépitude qui l’accompagne le taraude jour et nuit et il désespère de ne pas pouvoir se payer le traitement qu’il vent aux autres.

Passé la découverte du monde, une dystopie économique, politique et sociale intéressante, des personnages horripilants tant ils paraissent une caricature de personnages de romans contemporains américains (voire même new-yorkais), je m’y suis ennuyée (ferme) et, bizarrement, la Rupture, ce basculement politique qui fait sombrer les États-Unis dans le chaos et la guerre civile dans la deuxième partie ne m’a ni émue, ni intéressée . L’effrondrement d’une société ce n’est tout de même pas rien, mais vu pas un Lenny dépressif cela manque de contraste, de vie, de couleurs. L’histoire d’amour qui tourne en rond tout au long du roman et les jérémiades (littéraires) de Lenny m’ont fatiguée, ces dernières ont réussi l’exploit de me faire prendre en grippe Lenny dès le premier chapitre. Et j’ai vraiment du me faire violence pour poursuivre. Les lamentations de Lenny couchées dans son journal intime alternent avec les échanges de mails ou de tchat de Eunice avec sa famille ou ses amis. Autant le style de Lenny se veut littéraire (sans finesse parfois), autant les échanges de mails d’Eunice témoignent d’un appauvrissement du langage, compensé par une forme d’inventivité. Le ton se veut parfois satirique, parfois drôle mais ne m’a jamais arraché l’ombre d’un sourire. Plus le roman avance, plus Lenny devient pathétique et plus le personnage d’Eunice prend corps et quittant une superficialité inhérente à sa génération (même si par moment ses échanges épistolaires m’ont fait penser à Sex in the city mais sans le niveau de langage de Carrie Bradshaw). Il n’en reste pas moins que le roman ne décolle jamais des préoccupations de Lenny et d’Eunice. Pas d’ouverture sur la société dystopique, sur la chute des États-Unis, Eunice se montrant le plus souvent peu concernée par la politique (sauf lorsque celle-ci revêt un enjeu familial personnel), Lenny trop couard pour ouvrir les yeux sur la nature de son employeur et la responsabilité de celui-ci dans les évènements qui surviennent. La prise de conscience survient très tard et Lenny, comme Woody Allen, trouve son salut dans l’exil vers l’ancien monde, l’Europe (comme beaucoup de New-Yorkais déphasés ?). Par la mise en abyme finale le lecteur ne peut que constater que Lenny Abramov n’est que le double mis en scène de Gary Shteyngart par Gary Shteyngart. Ce qui achève de ramener le roman à un nombrilisme bien terre à terre.

Un extrait
« Nous sommes allés dans le salon, que je savais d’une modestie égale au reste de l’appartement. Canapés art déco en velours bleu. Posters de son enfance – affiches de films de science-fiction montrant des femmes avec une choucroute sur la tête et des hommes à mâchoire carrée – aux classiques cadres en chêne, comme pour signifier qu’ils avaient résisté à l’épreuve du temps et s’étaient révélés, sinon des chefs-d’œuvre, du moins d’honorables artefacts. Ne serait-ce que les titres. Soleil vert. L’Âge de cristal. C’étaient les débuts de Joshie. Une enfance contre-utopique de la haute dans divers quartiers résidentiels de l’élite américaine. Immersion totale dans le magazine Isaac Asimov’s Science-Fiction. La première prise de conscience de la mort par un adolescent de douze ans, car le vrai sujet de la science-fiction, c’est la mort, pas la vie. Tout a une fin. La totalité des choses. L’amour de soi. Ne pas vouloir mourir. Vouloir vivre, mais sans bien savoir pourquoi. Lever les yeux vers le ciel nocturne, vers l’éternité noire de l’espace, stupéfait. Haïr ses parents. Vouloir leur amour. Déjà la sensation angoissée du temps qui passe, les sanglots spasmodiques de douleur enfermé dans la salle de bain à la mort du loulou de Poméranie, seul ami fidèle du jeune Joshie, terrassé par un cancer canin sur une pelouse du Maryland. »

Cet article a 7 commentaires

  1. Lune

    ça tombe bien, je voulais pas le lire.

  2. endea

    Je l’ai trouvé terriblement déprimant pour ma part, ce livre qui est une rupture complète de la communication entre les êtres. J’avais mesuré mes propos concernant mon antipathie envers Lenny (j’ai toujours du mal à assumer une manque d’affection pour des personnages car cela revient pour moi à détester automatiquement le livre, lol, je suppose que j’espérais lui donner une autre chance à celui-ci), mais tes termes bien précis trouvent vraiment écho en moi.
    J’ai eu la sensation aussi non pas de m’ennuyer (quoique ….. j’avoue n’avoir lu ce livre que très lentement) mais d’une action qui n’avance pas.
    Il est certain en tout cas qu’il ne sera pas au top de mes livres préférés.

  3. Cachou

    Je l’avais repéré à la bibliothèque après que tu en aies parlé mais là, c’est le deuxième billet qui dit la même chose (cf celui d’Endea), l’envie décroît tout doucement… Je vais réfléchir avant de le rapatrier de la filiale vers l’endroit où je travaille du coup.

  4. Brize

    Je me rends compte, deux mois après lecture, que cet aspect nombriliste du roman est finalement ce qu’il m’en reste. Dommage !

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