Rainbow Warriors – Ayerdhal

Rainbow Warriors

d’Ayerdhal

Au Diable Vauvert – ebook – 444 pages en 8 épisodes.

Avec une couverture aussi colorée, un titre à tiroir et une quatrième de couverture aussi déjantée je m’attendais à un roman léger, foutraque et engagé. Et si j’ai bien lu un roman engagé, si j’ai bien lu un roman foutraque, j’ai aussi et surtout lu un thriller solide, étayé, drôle et qui traite le thème très sérieusement sans pour autant se prendre au sérieux.

Résumons donc pour commencer ce billet. Le général Geoff Tyler a pris sa retraite avec ses galons et après avoir fait souffrir sa hiérarchie à cause de son caractère de cochon (pour les habitués de séries, il a quelques points communs, dans le genre militaire teigneux, avec Jack O’Neill et Jethro Gibbs). Akwasi Koffane, ancien secrétaire général des Nations Unies (toute ressemblance avec un personnage connu n’est absolument pas fortuite) lui propose de prendre la tête d’une armée privée, levée avec les fonds de célébrités engagées (que le lecteur s’amusera à tenter d’identifier parce qu’il y en a des people) afin de renverser le gouvernement d’un petit pays africain guère réputé pour son respect des droits de l’homme ni de la démocratie. Au Mambesi, une minorité est encore plus maltraitée que les autres : les homosexuels. Le coup d’état au Mambesi donnera l’exemple au monde entier et fera, en tout cas c’est ce qui est espéré, progresser les droits des minorités. Bien entendu, une fois le pays libéré de son dictateur, il est prévu d’organiser des élections. Voici donc le plan. Pour la mise en oeuvre, Geoff Tyler pourra s’appuyer sur 10 000 soldats. 10 000 soldats nouvellement recruté, qu’il faudra former au mieux. 10 000 soldats qui ont la particularité d’être des LGBT : Lesbian, Gay, Bi, Trans.

A partir de ce pitch — qui tient tout entier dans le premier chapitre — je m’attendais donc à un joyeux bazar. Or il n’en est rien. A partir du moment où Tyler prend les choses en main, il applique une discipline et une rigueur tout à fait militaire et le roman décortique de manière très réaliste la levée et la formation de cette armée un peu particulière, le déroulement des évènements pendant et après le coup d’état. Le roman accorde une grande place à la stratégie militaire, l’objectif étant de limiter les pertes en vies humaines tant dans les rangs des soldats qu’au sein des populations civiles. Le premier chapitre plante le décor avec une belle dose d’humour et de loufoquerie pour que le lecteur suspende son incrédulité. Lorsque le lecteur est bien ferré, il ne peut que se laisser entraîner par la machine de guerre qui se déploie dans le chapitres suivants. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une guerre, un coup d’état, l’invasion d’un pays par une armée privée — qu’elle soit composée de gays ne change rien à la donne : un soldat est un soldat peu importe ses origines, sa religion, son sexe, son pays de naissance — et le gouvernement d’exception d’un homme pacifique représentant les droits de l’homme et la démocratie. La fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on instaurer de force la démocratie ? On se retrouve ici dans une configuration assez proche du terrorisme humanitaire de Demain une oasis avec les mêmes questionnements sur l’éthique de la démarche. Même si l’auteur prend partie (et ménage de ce fait une porte de sortie honorable pour Koffane à la fin de son roman), le lecteur reste libre de faire ses propres choix et d’approuver ou pas la démarche.

Côté personnages, je m’attendais un peu à une galerie de “tafioles” représentatives des clichés habituels, mais la cage aux folles c’est bel et bien fini. Les personnages sont nombreux, bien définis et, pour la plupart, dotés de caractères bien trempés. J’ai eu un petit coup de coeur pour Jean-No, assez atypique dans sa façon de penser, l’esprit constamment en ébullition, dont les idées loufoques aboutissent souvent sur des réalisations concrètes et innovantes. Ceux qui écoutent PureFM (radio belge) auront une idée du personnage en écoutant Sébastien Ministru : même esprit acéré, même réparties qui font mouche, même humour parfois grinçant. A chaque fois que Jean-No se retrouvait à dialoguer avec un autre personnages, c’est la voix de Sébastien Ministru que j’entendais. Et cela n’a pas le moins du monde perturbé ma lecture, au contraire.  J’ai aussi noté un profond respect des peuples d’Afrique, de leur culture et de leurs traditions. Ce respect s’incarne dans les personnages de la légendaire Ndidi, à la fois mère, soeur et épouse du pays et la jeune mais perspicace Me’elu (qui symbolise aussi la nouvelle nation Mambésie).

Pour terminer, parlons de la couverture : elle se révèle donc adaptée au fond et à la forme. Tous les symboles sont présents : le casque militaire, l’arc-en-ciel symboles des LGBT, la sagaie pour représenter le Mambesi traditionnel. Elle ne ment pas. Au final, Rainbow Warriors est un thriller engagé, qui remue le cerveau — au moment où l’actualité expose que l’égalité des droits ce n’est pas gagné même au pays des droits de l’homme — et qui mérite d’être lu. Et si tout ce qui précède ne suffit pas à vous en convaincre, goûtez donc à la plume d’Ayerdhal…

Un extrait de l’épisode 6
« Elles discutent depuis trois jours toutes les deux. Dans la case commune, dans celle de la guérisseuse, dans celle des femmes célibataires, dans les plantations de sorgho, dans les champs de mil, dans la forêt, en récoltant les essences, en pilant les grains, en faisant bouillir les racines, en tressant, en tissant, en mangeant. Au milieu des silences ponctués de coups de battoir, des chants, des cris des animaux à la nuit tombée, qui leur rappellent qu’un nouveau jour s’est écoulé. Elles, qui n’ont vécu que quelques mois ensemble, dialoguent comme deux sœurs jumelles, en toute franchise, en toute complicité, en toute connaissance de ce qu’est l’autre, en toute confiance en elles.
En bordure de forêt, le village s’est encore agrandi depuis la dernière fois que Ndidi y a séjourné. Tous les villages de ‘Ounda se sont agrandis. Les Na’Oundele ont connu des années prospères et les femmes ont été plus fertiles. Trop, au goût d’E’unli, qui connaît la fragilité des sols, la versatilité des saisons, les limites des hommes et de ce qu’ils sont capables de réaliser en communauté.
— Les pluies ont été insuffisantes ces deux dernières années. Dans la savane, les puits s’assèchent et la terre, que nous avons trop exploitée, se durcit. Les grains sont plus petits, les bêtes plus maigres. La forêt aussi se fragilise et nous prélevons plus qu’elle ne sait se renouveler. Deux pistes la traversent aujourd’hui et les forestiers viennent depuis Mambala exploiter les essences rares ; d’autres y cherchent de l’or et ils déracinent aux explosifs. Dans la montagne, des sources se sont taries. Dans les vallées et sur le plateau, des hameaux ont dû être déplacés et d’autres tribus se sont installées. Un jour, il suffira d’une étincelle et d’un coup de vent pour que la brousse s’embrase.
Ndidi comprend que la phrase est à entendre au sens propre comme au figuré.
— Nous sommes entre la fin d’un temps et le commencement d’un autre, E’unli.
— C’est le cas de chaque instant, quelle que soit sa durée. »

Un extrait de l’épisode 7
« Finalement, John-Walker préfère encore l’humour du cosmonaute à sa manière de piloter. Il semblerait que celui-ci ne connaisse qu’une configuration de vol : au ras de. De l’eau, du sol, des arbres, des habitations (toits ou murs), des câbles électriques et des ponts (dessous, de préférence). Quand il a le malheur d’en faire la remarque, le Russe est lapidaire :
— Moins on tombe de haut, moins ça fait mal.
À 300 km/h ?
La seule fois que le cosmonaute daigne prendre un peu d’altitude, c’est pour escorter les hélicoptères de transport, mais il vole si près de l’un d’eux qu’ils sont sans arrêt sur le point de se mélanger les pales.
— Et là ? demande John-Walker. Il y a une raison particulière pour que je puisse compter les rivets sur la carlingue de l’appareil d’à côté ?
— Signature radar. Je planque la nôtre dans celle du transporteur parce que celle que nous laissons est typique de ce que nous sommes.
— Et nous sommes quoi ?
— Un croisement de lévrier et d’épagneul qui accompagne des moutons pour les protéger d’une meute de loups.
Rassurant. »

Cet article a 9 commentaires

  1. Vert

    Tu me donnes bien envie, faut que je jette un oeil au premier épisode qui traine sur ma liseuse.

  2. Lhisbei

    @Vert : oui il faut que tu jettes un oeil C’est vraiment un bon bouquin (en même temps c’est Ayerdhal donc il ne peut en être autrement).

  3. Cuné

    Moi tu m’as donné SUPER envie, et l’auteur aussi hier soir à La Grande Librairie

  4. rokdun

    Oui, excellent article, l’a l’air tout bon ce bouquin ^^

  5. Valeriane

    Me réjouis de le découvrir! C’était un de mes achats à Trolls.
    Je n’ai jamais lu Ayerdhal… donc découverte!
    Merci pour ton avis!

  6. endea

    Incroyable !! Déjà c’est du Ayerdahl alors c’est forcément bon mais en plus ce livre engagé et plein d’humour est juste haletant du début à la fin, bon rien à dire de plus sur ta chronique qui résume bien la qualité de ce roman ^^

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