Manhattan à l’envers – Peter F. Hamilton

Manhattan à l’envers

De Peter F. Hamilton

Bragelonne – 360 pages

Manhattan à l’envers est un recueil de sept nouvelles, plutôt longues que courtes, de Peter F. Hamilton. Dans son introduction l’auteur précise qu’il ne produit qu’une nouvelle par an parce qu’il consacre le plus clair de son temps à ses romans. Et que les textes courts, chez lui, sont une exception plutôt que la règle. Les trois dernières nouvelles sont à rattacher à un des cycles de l’auteur. « Le piège à démons » et « Manhattan à l’envers », deux enquêtes du détective Paula Myo, prennent place dans l’univers de la Saga du Commonwealth. « Béni par un ange », déjà parue dans l’anthologie Le nouveau Space Opera, se rattache à la Trilogie du Vide. Si, pour les deux premières, la non lecture du cycle ne pose pas de problème particulier – l’auteur prend le soin de contextualiser, de donner au lecteur des éléments clés de l’univers, pour le dernier texte, j’ai senti qu’il me manquait quelque chose pour l’appréhender correctement. Ce recueil  de Peter F. Hamilton était en effet mon premier contact avec cet auteur. Globalement, la découverte fut très agréable. S’il n’y a pas de fil rouge dans ce recueil, tous les textes traitent de thématiques récurrentes. Tous les textes évoquent le vieillissement – ou plutôt le rajeunissement permanent, que ce soit par clones ou par nanotechnologie, qui donne à l’être humain une quasi-immortalité, et son impact sur la société (avec la nécessité de coloniser d’autres mondes pour éviter le surpeuplement de notre planète), le développement de l’intelligence artificielle et, plus globalement, du progrès technique qui oblige l’homme à s’adapter : ce que les IA font (gérer la logistique complexe de l’humanité par exemple, oui rien que ça) relègue les compétences humaines à l’âge de pierre. Dans une société bien proprement gérée, quelle est encore sa place ? Et d’ailleurs qu’est-ce qui fait l’humain ? Et la continuité de sa conscience, de son individualité ? Et quels choix d’évolution faire quand on peut tout recommencer sur une nouvelle colonie ? Quelle orientation donner à une nouvelle humanité ? Ces thématiques concourent à donner une cohérence à recueil a priori disparate.

Parlons un peu plus en détail des textes qui composent Manhattan à l’envers. « En regardant pousser les arbres », la nouvelle nouvelle uchronique et science-fictive sur laquelle s’ouvre le recueil plaçait ma découverte de Peter F. Hamilton sous d’heureux auspices. J’ai eu coup de coeur pour ce texte qui procure le vertige auquel tout lecteur de SF finit par devenir accro. La nouvelle, novella au vu de sa taille, a tout pour me plaire. Inventaire. Un univers riche  et suffisamment solide pour être offert sans digressions inutiles ou fioritures destinées à masquer les failles. Une uchronie ancienne puisqu’elle remonte à l’Empire Romain qui donne un univers alternatif exotique mais culturellement proche (avec des touches insolites comme celle-ci : les hommes n’ont pas opté pour une société “tout pétrole”, les voitures sont électriques et leur vitesse de pointe atteint… les 40km/h). Une histoire où les avancées scientifiques et techniques participent à la résolution de l’intrigue, ici une intrigue policière : Edward travaille pour la famille Raleigh et se retrouve à enquêter sur le meurtre de l’un des membres de cette famille, un étudiant très prometteur, heureux en amour et aimé de tous. L’assassinat a lieu en 1832. Edward résoudra l’affaire en 2038 au gré des avancées de la médecine légale. Des personnages bien caractérisés, y compris ceux qui ne jouent qu’un rôle mineur (avec une mention spéciale pour la ténacité et la patience d’Edward). Un développement philosophique (j’entends par là, une philosophie de vie, les réflexions issues d’une très longue vie). « En regardant pousser les arbres » est un texte à la hauteur de ses ambitions. Après une telle claque, les autres textes risquent de faire pâle figure.
Un extrait, piquant :
« Je suis née à une époque où les femmes de ma lignée et de mon rang étaient des poules de luxe. Leur vie ? Une succession de bals entrecoupée de soirées à l’opéra et de vacances dans des stations balnéaires ! Aujourd’hui, je dois sortir dans le vaste monde et gagner mon pain.
– Vous n’y êtes pas obligée, dis-je en souriant.
– Pour l’amour de Marie, Edward ! J’ai eu dix-sept enfants sains et superbes avant que mes ovaires demandent grâce, autour de mes cent ans. Après avoir élevé tant de petits, j’avais besoin de voir autre chose. Et, mon cher, j’ai toujours détesté l’opéra. Ce travail, en revanche, je l’adore. Les vieux schnocks s’indignent qu’une femme soit aux avant-postes de la science. Mais je n’ai pas perdu mon temps… Suis-moi ! »

Les autres textes du recueil font, comme je le craignais, pâle figure. « Un électorat qui marche » touche une corde sensible : un couple divorcé, le père qui a refait sa vie et décide d’emmener en week-end ses deux enfants (un garçon, une fille). La destination ? New Suffolk, une planète lointaine, accessible par un trou de ver ouvert par un Anglais excentrique excédé par la déliquescence de son pays. Évidemment, il ne compte pas revenir. Ce drame familial sort de l’anecdotique grâce au contexte politique développé, qui touche juste et à sa chute (qui m’a laissée pantoise)
Un extrait :
« Tu sais que j’ai grandi au milieu d’un tas d’émissions et de films de science-fiction ; c’est amusant de voir comment leur vocabulaire et leurs images se sont intégrés dans la culture moderne. Ils avaient tous ces satanés gros vaisseaux volant à travers l’espace ; des capitaines assis à leur poste de commandement et prenant des décisions vitales, tirant des lasers et des missiles sur des monstres aux yeux d’insectes. Tout le monde savait que ça devait se passer de cette façon-là. Puis Murray a trouvé le moyen d’ouvrir son trou de ver et le petit enfoiré refuse de dire comment il s’y est pris. Non pas que je l’en blâme. Il a parfaitement raison, on ne ferait que mal utiliser la technologie. Nous le faisons toujours. C’est juste que… ce n’est pas la noble traversée du vide que je m’étais imaginée. Ça ressemble presque à une trahison de mes croyances. »

« Si du premier coup… » souffre d’un manque d’ampleur : le point de vue narratif – la confession, l’enjeu très personnel du narrateur et sa taille ne confèrent pas à ce voyage à rebrousse-temps toute la portée qu’il aurait pu développer. Le texte se lit sans déplaisir mais ne marque pas les esprits. Dans la continuité, la nouvelle la plus courte, « Le chaton éternel » m’a laissée un peu froide. Elle ne manque pas d’efficacité mais reste anecdotique.

Les deux textes suivants « Le piège à démons » et « Manhattan à l’envers » m’ont paru plus intéressants. Ils mettent tous deux en scène Paula Myo, un être génétiquement créé pour incarner sa fonction sociale : policier. Sur sa planète de naissance, tous les êtres humains répondent à une fonction de la société. L’auteur nous épargne une dystopie puisque Paula a quitté son monde natal pour exercer dans le Commonwealth intersolaire. Ses deux enquêtes seront le prétexte à explorer la nature de l’humanité (et la qualification de ses actes) et à se poser des questions sur le regard qu’elle porte sur les espèces extra-terrestres. J’ai une petite préférence pour « Manhattan à l’envers » – dont le titre est parfaitement justifié même si, avant lecture, on se demande ce qu’il fait là – parce que je reste une incurable idéaliste. Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas Paula Myo, personnage étonnant et détonant, ces nouvelles forment une belle introduction au reste de l’oeuvre de Peter F. Hamilton. Une phrase, juste pour le plaisir : « Agacée, Paula leva les yeux au ciel. C’était peut-être cela, la civilisation ; au lieu de dégainer son arme, on appelait son avocat. »

Je ne m’étenderai pas sur le dernier texte du recueil, « Béni par un ange », parce que, sans bien savoir pourquoi, je n’ai pas accroché plus que ça. Elle m’a paru très terre-à-terre, très technologique mais elle m’a laissée froide.

Au final, le bilan reste largement positif tant sur les thématiques abordées que sur leur traitement. Sur les sept textes présentés, une nouvelle exceptionnelle (« En regardant pousser les arbres »), deux excellentes (« Le piège à démons » et « Manhattan à l’envers »), une très bonne (« Un électorat qui marche »),  pour deux textes anecdotiques (« Si du premier coup… » et « Le chaton éternel ») et un texte vraiment “bof” (« Béni par un ange »).

  • Et une kyrielle de logo, pour la déco

  
JLNN                           SSW – Episode I


Lu pour le Prix ActuSF de l’Uchronie 2013

Cet article a 5 commentaires

  1. Herbefol

    J’avoue que la chute de “Un électorat qui marche” m’a moi aussi surpris. Par contre, j’y ai préféré “Le chaton éternel” et “Si du premier coup…”. Dans cette dernière, j’aime bien l’idée qu’utilise le narrateur pour gagner sa croûte dans sa nouvelle vie.
    Concernant Paula Myo, je n’ai pas encore lu les textes en question, donc je ne sais pas si Hamilton y précise la façon elle a quitté sa planète d’origine, parce qu’il y a un truc assez plaisant (de mon point de vue) à ce propos.

  2. Lhisbei

    @Herbefol : elle est un peu brutale et pas totalement justifiée par le cheminement du personnage (la réaction de l’ex-mari est encore moins crédible). Dans “si du premier coup” je me suis dis que le narrateur se laissait aller à la facilité (il devait bien se douter que sa façon de faire éveillerait les soupçons… ou alors il est plus bête qu’il n’y paraît). Hamilton n’entre pas dans les détails concernant Paula Myo : il explique simplement qu’elle a été enlevée juste après sa naissance par des activistes politiques qui voulaient libérer” son monde natal.

  3. Lorhkan

    Hamilotn fait partie des auteurs auxquels j’aimerais me frotter mais ça commencera sans doute par ses romans, soit “Dragon déchu” soit le cycle du Commonwealth.
    J’aurais bien tenté le gigantesque cycle de “L’aube de la nuit”, mais certains volumes sont difficiles à trouver…

  4. Nick_Holmes

    “Le chaton éternel” éveille ma curiosité. Cela parle de quoi ?

  5. Gromovar

    Bonen pioche donc.
    Lorhkan évite Dragon déchu, c’est très moyen.
    Le Commonwealth est sûrement le mieux de ce qu’il a écrit même si j’ai commencé par L’aube de la nuit

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