L’étrange pouvoir de Finley Jayne, Steampunk Chronicles T1 – Kady Cross

L’étrange pouvoir de Finley Jayne
Steampunk Chronicles T1

De Kady Cross

Harlequin Darkiss – 448 pages

Finley Jayne, 16 ans, a un sacré problème : depuis quelques mois, deux personnalités opposées cohabitent à l’intérieur d’elle ! Et son côté sombre tout à la fois l’effraie et lui joue des tours. Que lui arrive-t-il ? A qui peut-elle en parler ? Et d’où lui viennent soudain cette force et ces colères extraordinaires ? Une nuit, alors qu’elle vient d’administrer une correction à un jeune lord qui tentait d’abuser d’elle, elle fuit à toute vitesse sur son vélo et… percute de plein fouet Griffin, duc de Greythorne, qui la ramène à son manoir pour la soigner. Cette rencontre va bouleverser sa vie et la lancer dans de folles péripéties : Griffin et son petit groupe d’amis aux pouvoirs prodigieux sont en effet à la recherche du dangereux Machiniste, un inventeur mégalo assisté d’une armée d’automates, qui brigue la couronne d’Angleterre… Le résumé que vous venez de lire n’est pas de moi mais pour une fois que le texte en quatrième de couverture reflète bien la teneur du livre, pourquoi se priver de la lecture de ce dernier ?

Il y a des livres qui vous surprennent agréablement. Celui-ci en fait partie. Kady Cross voulait croiser La Ligue des gentlemen extraordinaires et les X-men. Il y a de cela dans son roman. Les pouvoirs des protagonistes sont dus à une mutation (mutation induite par des micro-organismes), l’époque et l’ambiance God save the Queen se rapprochent de celle de la Ligue. Finley Jane et Malicia des X-Men ont pour point commun un malaise et une très grande difficulté à vivre avec leur pouvoir et à le contrôler. On s’approche aussi du radiumpunk puisque le combustible miracle utilisé fait beaucoup penser à de l’uranium. L’étrange pouvoir de Finley Jane pioche dans tout un tas d’univers plaisants et bien balisés. L’univers ainsi recréé se révèle vite familier, très distrayant et parfait pour accueillir les aventures enlevées (bien que prévisibles) de la jeune Finley Jane et de ses amis. Le fil rouge de cette histoire est sentimental (le roman est édité chez Harlequin ne l’oublions pas) et, sur ce point, se montre tout à fait classique : une jeune roturière attirée par un duc (le plus riche et puissant pair du royaume qui plus est). L’attirance, réciproque, se heurte aux obstacles et atermoiement traditionnels : différence de statut social, jeunesse des protagonistes etc. L’amourette reste platonique et chaste, ce qui, mine de rien, repose des romances où les personnages ne peuvent passer plus de dix minutes en compagnie l’un de l’autre sans être consumés de désir et sans violemment y céder sous la première porte cochère qui vient. Les personnages sont attachants même si parfois, leur naïveté exaspère et que leurs comportements, identiques à ceux d’une bande d’ados modernes, paraissent anachroniques.

J’aime le steampunk et j’aime son esthétique même si ma capacité à suspendre mon incrédulité ne suffit souvent pas à me faire accepter les codes vestimentaires de la gent féminine. Un corset par définition « corsette » : il affine la taille en la comprimant. Avec un corset la respiration et le mouvement sont entravés (ce n’est pas pour rien que les femmes émancipées provoquaient en s’habillant en homme à l’époque et pour courser le méchant, les pantalons sont bien plus pratiques que les trois jupons). Les femmes corsetées ne peuvent pas courir ni se battre. Les auteurs de steampunk pourront raccourcir les tenues autant qu’ils veulent ou faire porter à leurs héroïnes des manteaux ne se boutonnant que sur le torse et tombant en pans ouverts pour leur permettre de lever la jambe comme Bruce Lee, avec un corset tout cela est impossible. Ada Byron dans La Machine à différences s’habillait en homme pour faire ce qu’elle avait à faire. La femme victorienne n’a pas de liberté de mouvement ni au sens propre (corps contraint), ni au figuré (place/rôle/statut dans la société). Une parfaite poupée victorienne ne peut pas jouer les Lara Croft, ça n’est tout simplement pas crédible. C’est un des travers du steampunk qui commence à me rester en travers de la gorge. Sur ce point précis, Kady Cross ne fait pas exception même si on ne peut guère que lui reprocher de s’inscrire dans une tradition déjà bien établie

Malgré ses défauts, L’étrange pouvoir de Finley Jane, romance légère dans un monde steampunk, m’a fait passer un bien agréable moment alors que je ne lui en demandais pas tant. J’embarquerai avec plaisir pour la suite.

Un extrait
« Si la ville de Londres avait été un corps, le quartier de Whitechapel en aurait été l’entrejambes : une vaste étendue malpropre qui ne se révélait que dans l’ombre et aux fins les plus salaces. Aucune personne de « bonne » naissance n’aurait jamais admis y avoir mis les pieds, mais chacun l’avait fait un jour ou l’autre — ou du moins le souhaitait. S’encanailler constituait la mode de l’époque.
Une brume semblait flotter en permanence sur les rues, comme l’haleine pestilentielle d’un poivrot. Dans ces quartiers lugubres où abondaient les femmes « perdues », les murs servaient souvent de lits pour des rapports sordides. On y trouvait du gin à vil prix et, pour qui savait frapper à la bonne porte, il était facile de monnayer un peu d’oubli dans une fumerie d’opium ou bien, auprès d’un trafiquant d’Ether, quelques minutes avec un cher disparu. Dans cette partie de la ville, les automates, de facture grossière, étaient usés et gauches.
En bref, c’était un endroit misérable et triste que le monde moderne semblait avoir oublié, ou plutôt qu’il choisissait soigneusement d’ignorer. Les réverbères y fonctionnaient encore au gaz, jetant sur les rues une lumière jaunâtre et tremblotante. Au dispendieux combustible bleuté vendu par King Industries, on préférait le charbon, plus facile à voler. Ici s’improvisait dentiste quiconque disposait d’une paire de pinces ; les bains publics vous assuraient d’attraper toutes sortes de maladies. Tous les péchés concevables par l’esprit humain y étaient disponibles, et ce pour moins cher que n’importe où à Londres.
Et, bien entendu, on en avait pour son argent. »


Lu pour le Prix ActuSF de l’Uchronie 2013

Cet article a 3 commentaires

  1. Escrocgriffe

    Ta remarque sur le corset est intéressante, en tant qu’homme je n’avais jamais pensé à cet « détail » ! Je ne lirai plus jamais de steampunk de la même façon

  2. Lhisbei

    @Escrocgriffe : les hommes ont peu de contraintes vestimentaires (mis à part celle de souffrir en été parce qu’interdit de bermudas et de marcel sur leur lieu de travail). normal qu’ils n’y pensent pas (en plus le corset c’est quand même sexy, comme les talons hauts dans les films ou séries américaine qui n’empêchent pas de courser le méchant sur les toits de la ville : il n’y a qu’à voir les courses en stiletto pour se rendre contre du manque de crédibilité de la scène)

  3. Vert

    Tu viens de changer à jamais la vision des romans steampunk à plein de gens avec ton histoire de corset, j’espère que tu es fière de toi (c’est fou ça quand même de trouver de chouettes trucs en Harlequin quand même !)

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