La Danse des étoiles – Jeanne et Spider Robinson

la danse des étoilesLa Danse des étoiles

De Jeanne et Spider Robinson

ActuSF – epub de 261 pages (368 pages format papier)

Shara Drummond est une talentueuse danseuse et chorégraphe. Elle sait cependant qu’elle ne fera jamais la carrière qu’elle mérite parce que son corps est trop éloigné des normes en vigueur dans le milieu de la danse. Dans une troupe, où l’individualité disparaît, sa taille et ses formes attirent le regard et captivent. Impossible pour elle de se fondre dans la masse. Et son talent n’y changera rien.
Charles Armstead ne peut plus danser : une balle dans la hanche l’a définitivement estropié. Aigri, alcoolique, cynique, il s’est reconverti comme opérateur vidéo. C’est lui qui nous raconte sa rencontre avec Shara, son envol pour l’espace où, libérée de la gravité, elle pourra laisser parler son talent. La danse en chute libre est une recréation de la discipline : en apesanteur, il n’existe plus de haut ni de bas, pas plus que de ligne d’horizon et, dans l’espace, plus de points de repère possibles.  En contrepartie, la créativité est récompensée par de multiples possibilités de mouvements, de “pas” et de figures, inimaginables ou impossibles sur Terre. Si Charles Armstead a pour mission d’enregistrer les danses de Shara, il n’imaginait pas filmer aussi la prise de contact de cette dernière avec des extraterrestres étranges et que l’on devine hostiles. La danse des étoiles de Shara devient alors un langage, universel, à portée philosophique car capable de transcrire la condition humaine.

C’était sans aucun doute la Danse des Étoiles, telle qu’elle en avait préparé la chorégraphie, telle qu’elle avait toujours prévu de l’interpréter. Qu’elle eût quelque chose à dire à des créatures complètement étrangères, sur l’homme et sa nature, n’était pas une coïncidence : c’était le message essentiel et ultime de la plus grande artiste de son époque, et il contenait quelque chose pour Dieu en personne. […]

Car sa danse ne disait rien de plus et rien de moins que la tragédie d’être vivant, et d’être humain. Elle parlait, très éloquemment, du désespoir. Elle parlait de l’humour cruel d’une ambition sans limites rivée à une capacité limitée, de l’espoir éternel investi dans un temps de vie éphémère, du besoin contraignant d’essayer de créer un avenir inexorablement déterminé. Elle parlait de la peur, et de la faim, et, très clairement, de la solitude et de l’aliénation fondamentales de l’animal humain. Elle décrivait l’Univers à travers les yeux de l’homme : une incarnation hostile de l’entropie où nous sommes tous jetés seuls, empêchés par notre nature de toucher un autre esprit sauf indirectement, par ricochet. Elle parlait de la perversité aveugle qui force l’homme à lutter pour une paix qui, une fois atteinte, devient ennui. Et elle parlait de la folie, du terrible paradoxe par lequel l’homme est capable simultanément de raison et de déraison, à jamais incapable de coopérer même avec lui-même.

Elle parlait de Shara et de sa vie.

Et nous n’en sommes qu’à la première partie du roman, une première partie, intense, qui fait sens et qui se suffit à elle-même. Le reste du roman concerne l’après danse des étoiles : la création d’une troupe spécifique à la danse en chute libre et tout un tas d’autres aventures qui découlent de l’invention de la danse en chute libre et de la rencontre avec une race ET intelligente.

Faut-il aimer la danse pour apprécier le roman ? Non. Je n’ai aucun goût pour la danse ni classique, ni contemporaine, ni aucune autre forme de danse d’ailleurs. Les descriptions des chorégraphies, la construction d’une troupe ne m’ont pour autant pas rebutée. Tout simplement parce que nous sommes projetés dans l’espace et que ça change tout. Au delà des classiques vaisseaux et stations spatiales, au delà des combinaisons et propulseurs, au delà des ET et de la rencontre du troisième type qu’on retrouve dans beaucoup de space op’, on trouve dans La danse des étoiles, une poésie propre à vous faire rêver, à vous faire ressentir et, presque, appréhender et comprendre ce qu’est l’espace : dangereux, hostile à la vie, mais aussi fascinant et grandiose. J’avais envie d’y être – même morte de trouille à l’idée qu’une simple poussière d’étoile puisse m’anéantir en une fraction de seconde.

Le choix du narrateur est aussi un point fort du roman. Charles Armstead, alcoolique, tourmenté, cynique, en colère, peut se montrer désagréable au possible, peu fiable, de mauvaise foi. Il appelle un chat un chat et manie plus qu’à son tour humour noir et ironie. Faillible mais loyal, tête à claques mais touchant, son pessimisme sur la nature humaine contrebalance l’idéalisme de Shara.

Le plus souvent, cela se réduisait à un échec à s’adapter, une incapacité à développer sa conscience au-delà de la notion de haut et de bas (voilà le facteur que le saut en parachute ne peut simuler ; un parachutiste sait où est le bas). Ça n’aide pas de se dire que le nord de votre tête est le « haut » et le sud de vos pieds le « bas ». De ce point de vue, l’univers entier bouge sans arrêt (on n’est presque jamais immobile en chute libre), une perception que la plupart des cerveaux se contentent de rejeter. Un tel danseur perd sans arrêt « son point » – son horizon imaginaire – et se trouve irrémédiablement désorienté. Les effets annexes incluent la terreur (de modérée à extrême), le vertige, la nausée, un pouls et une tension aberrants, une migraine de derrière les fagots et des mouvements incontrôlés des viscères.

(Ce dernier point est inconfortable et gênant. À côté de la plomberie des tenues-p, les cabinets au fond du jardin paraissent très bien. Les hommes ont le classique « tube de soulagement », bien sûr, mais pour les femmes et pour la défécation chez les deux sexes nous nous fions au déploiement stratégique d’un matériau spécialement traité qui… ah, merde, on porte une couche et on essaie de se retenir jusqu’à ce qu’on soit rentré. Fin de la première et inévitable digression.)

En définitive, La danse des étoiles, paru initialement en 1977 en France, méritait bel et bien une réédition. Avec cette couverture magnifique de Jamie Olivier, c’est encore mieux.

Une dernière citation pour la route :

Car voici ce que signifie être humain : rire de ce qu’un autre appellerait tragédie.

ssw 3Summer Star Wars Episode III

 

 

Cet article a 13 commentaires

  1. Vert

    Va falloir que je m’en occupe de celui-là ^^

  2. Val

    Comme dit Vert, va falloir le lire 🙂 j’ai bien envie de découvrir ce côté obscur de ce danseur déchu.

    1. Lhisbei

      Attention, il est parfois très con dans ses réactions (humain quoi)

  3. shaya

    C’est vrai qu’il est chouette ce roman, et je suis totalement d’accord pour la couverture, elle est très belle !

  4. Lorhkan

    Lecture prévue bien sûr, suite à un certain concours… 😉

    1. Lhisbei

      Je te souhaite une excellente lecture Lorhkan 🙂

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