La Porte des mondes, intégrale – Robert Silverberg

La porte des mondesLa Porte des mondes, intégrale

De Robert Silverberg

Mnémos – 432 pages

Cette édition intégrale est bâtie en deux parties. La première abrite La Porte des mondes, roman uchronique de Robert Silverberg. La seconde, baptisée “Par-delà la Porte des mondes” accueille “trois courts romans” situés dans le même univers : Tombouctou à l’heure du lion de Robert Silverberg, Sous le signe de la rose de John Brunner et L’Exaltation des araignées de Chelsea Quinn Yarbro. Il conviendrait plutôt de parler de longues nouvelles (ou novellas) que de courts romans. Leur taille ne me paraît pas relever du court roman, mais le terme est à la mode en ce moment. Tombouctou à l’heure du lion a été précédemment publié dans deux recueils de nouvelles : Le nez de Cléopâtre et Mon nom est Titan. Les textes de John Brunner et de Chelsea Quinn Yarbro bénéficient d’une première publication. Cette intégrale peut être qualifiée de patrimoniale puisqu’elle rend disponible en français la totalité des oeuvres rattachées à l’univers uchronique créé par Robert Silverberg dans La Porte des mondes.

Commençons par le roman fondateur, La Porte des mondes. L’histoire diverge au Moyen Age : la peste noire ravage le continent européen et, en 1348, l’Europe est conquise par l’Empire ottoman. De l’autre côté de l’Atlantique, les Aztèques dominent le Nouveau Monde puisque les conquistadors n’y nt jamais débarqué. Lorsque le lecteur fait a connaissance de Dan Beauchamps, jeune Anglais qui s’embarque pour les Hespérides pour y faire fortune, nous sommes en 1963. Mais ces années 60 sont bien loin des nôtres : on maîtrise à peine la technologie de la vapeur (les voitures à vapeur ont la fâcheuse manie de voir leur moteur exploser trop souvent), les avions sont une chimère, les transports les plus sûrs restent le bateau et les équidés. Le télégraphe fait seulement son apparition. Les Turcs ont imposé leur calendrier, leur religion et leurs lois, entraînant un retard économique, social, technique (médecine comprise) si on compare ce monde uchronique au monde réel. Dans ces années 60 uchroniques, l’empire, en plein déclin, laisse végéter l’Angleterre. Dan Beauchamps, héros d’une naïveté confinant parfois à la stupidité et souvent tête à claques de première catégorie, déteste les Turcs. Et, comme la narration se fait par le prisme de son journal, le parti pris de décrire le monde par ses carences vis à vis du nôtre agace parfois un peu. Il me semble que l’Empire ottoman a plutôt intégré les sciences et les apports des cultures des pays qu’il a conquis (la récupération des thermes, devenus des bains turcs en est un exemple parmi d’autres). Dan Beauchamps relate donc ses multiples aventures outre Atlantique. La Porte des mondes est un récit de voyage où chaque mouvement devient l’occasion de rencontrer de nouveaux personnages, emblématiques ou bien charpentés comme Quéqex qui conceptualise à merveille les mondes parallèles (d’où le titre du roman), doublé d’un récit d’apprentissage dans lequel le personnage principal s’efforce de ne surtout rien retenir des leçons de la vie. Le rythme est enlevé, les péripéties nombreuses et la plume de Silverberg en verve. Dépaysement et divertissement garantis, Robert Silverberg sait y faire.

Continuons avec les nouvelles à présent.

Tombouctou à l’heure du lion a été finaliste à l’élection du prix Locus du meilleur roman court en 1991. Nous avons quitté l’Angleterre pour l’Afrique et plus précisément l’Empire songhaï. Grand Père, le sultan en place, se meurt. Le couronnement de son fils, Petit Père, est imminent. Les nations envoient des ambassadeurs pour assister aux funérailles et fomenter un ou deux complots pour dominer cette partie du monde. Ici aussi, Robert Silverberg met en scène un jeune anglais naïf et tête à claques.  Les ambassadeurs sont tous globalement arrogants et sous estiment avec une constance jamais mise en défaut les peuples autochtones. Intrigues de palais doublées d’intrigues sentimentales, dans la fournaise d’une Afrique que des étrangers semblent totalement inaptes à comprendre (alors pour la conquête, merci de repasser, (ou pas)).

Sous le signe de la rose de John Brunner transpose dans l’univers de La Porte des Mondes un fait historique avéré. En 1364, le roi Casimir le Grand a invité à Cracovie rois et empereurs pour régler les détails de la croisade contre les Turcs. Casimir a somptueusement reçu ses invités, entre autres, grâce au dîner organisé par Nicolas Wierzynek,  bourgeois de Cracovie. Ce dîner aurait duré 21 jours. Pour l’anecdote, le restaurant Wierzynek existe toujours, 652 ans plus tard… Chez John Brunner, Ismaël, bourgeois ottoman exilé à Cracovie, accueille différentes personnalités au cours d’un dîner pendant lequel il espère déplacer la porte des mondes et changer le cours de l’histoire. Autour de la table, les discussions vont bon train : tous les convives ont été soigneusement choisis par Ismaël et chacun révèle peu à peu son passé et sa part d’ombre dans un huis clos au tempo parfaitement maîtrisé. Cependant j’ai trouvé le temps un peu long , comme dans tout dîner qui s’éternise un peu.

L’Exaltation des araignées de Chelsea Quinn Yarbro reste le texte qui m’a le moins convaincue. Nous retraversons l’Atlantique pour rejoindre un empire inca en plein chaos : deux Incas se disputent le pouvoir. L’Inca Illégitime s’allie avec les Turcs pendant que l’Inca Véritable a pour seul espoir de traverser l’océan Pacifique pour nouer une alliance avec les Maoris, une puissance en devenir. Mais la flotte qu’il peut lancer n’est pas la plus grande qui soit. Dans cette société très codifiée, il existe de nombreux clans, spécialisés dans un domaine en particulier (peu importe vos aptitudes personnelles) : la science de la guerre aux Corbeaux, celle de la navigation aux Baleines et le vol revient aux Araignées.

En définitive cette intégrale patrimoniale de La Porte des mondes accueille un roman haut en couleur et divertissant dans un univers exotique solidement construit accompagné de nouvelles très réussies qui étoffent l’univers uchronique mis en place par Robert Silverberg.

 

PRIX UCHRONIE 2015Lu pour le Prix ActuSF de l’Uchronie 2016
CRAAA
Challenge Recueils And Anthologies Addict

Cet article a 16 commentaires

  1. Gromovar

    Une belle chronique d’un beau livre. Mais qu’est ce qu’il est gros et lourd 😉

    1. Lhisbei

      Nan il n’est pas lourd :p Mes poignets en sont témoins 😉

  2. Ferocias

    Des Incas se disputent le pouvoir chez les Aztèques? C’est étrange !

    1. Lhisbei

      My mistake. Point d’Aztèques ni de Toltèques.

      1. Ferocias

        Rien ne m’étonne. Je connais des livres dans lesquels il y a des Mayas dans les Andes ou des Aztèques au Brésil quand ce ne sont pas des Pharaons en Amérique du SUd 😉

  3. Vert

    Curieuse je suis, pas au point de me jeter dessus mais quand même.

    1. Lhisbei

      Tu peux suggérer l’achat en biblio : c’est une édition patrimoniale qui devrait plaire à la biblio de Port Royal 🙂

  4. yueyin

    Ah oui celui là me tente bien 🙂 robert rules…

  5. Lorhkan

    Une belle édition (comme d’habitude avec Mnémos qui font toujours de belles intégrales), et puis c’est Silverberg…
    C’est tentant, mais je n’en fais pas une priorité.

    1. Lhisbei

      Belle édition, c’est Silverberg oui, mais le reste n’est pas tout à fait aussi entraînant que La Porte des mondes 🙂 Les autres courts romans n’ont pas le rythme trépidant du roman fondateur. Pas besoin d’en faire une priorité, en effet.

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