Univers 1989 présentée par Pierre K. Rey

univers-1989Univers 1989

Anthologie présentée par Pierre K. Rey

J’ai Lu – 384 pages

Univers est une anthologie périodique de textes de SF publiée entre 1975 et 1990 aux éditions J’ai Lu par Jacques Sadoul et Yves Frémion. En format poche, elle est d’abord trimestrielle avant de devenir annuelle en 1980. Elle a pour ambition de publier des textes de qualité, souvent primés ou de nouveaux auteurs. Le recueil contient aussi des articles de fond. Penchons-nous sur l’anthologie de 1989, l’avant-dernière. Elle contient 11 nouvelles de 5 autrices et 6 écrivains (cette donnée à son importance) et deux articles en plus de l’éditorial.

Commençons par les articles. L’éditorial de Pierre K. Rey, traditionnel dans sa construction, présente les nouvelles au sommaire. Je vous livre le début qui, j’avoue, m’a fait tousser (le passage où je me suis étranglée est en gras).

Les liseurs de sommaire n’auront pas été sans remarquer une participation, plutôt inhabituelle, dans le domaine des écrivains de sexe féminin. Hasards de la sélection, certes, mais hasards non point fortuits, puisque aussi bien les femmes ont écrasé l’an dernier de leur présence – en tout cas au niveau des nouvelles – les deux prix les plus importants de la science-fiction américaine, le Hugo et le Nebula (notons au passage que le Grand Prix de la Science-Fiction Française, décerné au festival de Clermont-Ferrand, a couronné Le créateur chimérique de Joëlle Wintrebert, aux présentes éditions). Hasards d’autant moins fortuits que se dessine, ainsi que nous voulons le montrer dans les Échos de l’Univers, une tendance récente vers un courant qualifié aux États-Unis de « réalisme magique », à forte représentation d’auteurs féminins.

Il est tout à fait normal que les hommes reçoivent des prix mais quand des femmes en obtiennent quelques uns alors que le reste du palmarès est masculin, les voilà qui « écrasent de leur présence les prix ». En 1988, sur les 15 catégories des trois principaux prix US (Nébula, Hugo et Locus), les femmes remportent 6 prix. 60% du palmarès reste masculin (au temps pour l’écrasement, non ?). Bon, le coup de gueule sur cette formulation quelque peu maladroite – je n’ai perçu aucune intention malsaine sur cette préface, c’est bien l’admiration qui transparaît – passé, regardons de plus près les deux articles. Le premier, « Échos de l’univers », fait écho à la préface et la prolonge. La forte présence des femmes en SF s’explique par le fait qu’elles ne font pas de SF pure et dure puisqu’elles donnent dans le réalisme magique comme l’expliquent Jacques Barbéri, Pierre-Paul Durastanti et Pierre K. Rey. Nous est expliqué aussi que la SF pure et dure perd du terrain au profit de la fantasy ou d’oeuvres moins typées, dans lesquelles les frontières avec les autres genres deviennent plus floues. Dans « California, the end », Pascal J. Thomas étudie l’importance croissante de la SF cataclysmique ou post apocalyptique, reflet d’une époque pas très optimiste (mais quand on voit le monde tourner, il n’y a guère de raison de se montrer optimiste). Plus de 25 ans après leur parution, ces articles restent globalement intéressants à lire.

Du côté des nouvelles à présent, voyons les dans l’ordre  de lecture.

« Krash-Bangg Joe et l’équation Pinéal-Zen » de Eric Brown met en scène Sita, télépathe embauchée (sous un statut qui relève plus de l’esclavagisme que d’un contrat de travail honnête) par une agence de détective privé de seconde zone. Camée jusqu’à la moelle des os, au gré de ses pérégrinations de bar louche en gargote minable, elle rencontre Joe, un homme pur dont l’esprit fascine dans un monde pourri jusqu’au tréfonds. Elle tombe amoureuse et qui dit amour, dans un univers cyberpunk, dit aussi emmerdes. Avec un texte aussi puissant (les thématiques abordées sont nombreuses), au ton sombre mais pas désespéré, l’anthologie commence très bien.

Difficile d’évoquer « A toi pour toujours, Anna » de Kate Wilhem sans en déflorer toute l’intrigue. Gordon, graphologue à l’éthique inébranlable, vient de divorcer. Il se voit chargé par une grande firme de retrouver la mystérieuse Anna qui serait en possession des notes de leur plus grand chercheur. Entre de mauvaises mains, ces notes pourraient être exploitées pour créer une nouvelle arme de destruction massive. Anna devient la plus grande obsession de Gordon… Le temps jour-t-il contre lui ou pas ?  Deuxième très bon texte de l’anthologie.

« Dream baby » de Bruce McAllister combine guerre du Vietnam et pouvoirs psy. Mary est une jeune infirmière qui s’engage pour sauver des vies. Au fur et à mesure qu’elle voit mourir les soldats, elle développe un pouvoir de prémonition. Repérée par le chef d’une unité spéciale, elle se retrouve transférée dans une base secrète qui n’accueille que des recrues dotées de capacités nouvelles. Reste que le commandant ne lui permet pas d’utiliser son pouvoir pour sauver des vies… Encore un texte percutant dans la lignée d’un Apocalypse Now où la violence physique et psychologique le dispute à la folie.

« Joli mec sur l’écran » de Pat Cadigan n’a pas perdu de son actualité à l’ère de la téléréalité où certaines stars n’existent que dans ces émissions. Ici le raisonnement est poussé jusqu’au bout puisque le Joli Mec peut le rester à tout jamais en transférant son esprit sur une puce. Un pas qu’a franchi Bobby, l’ami du Joli Mec que nous suivons. A 16 ans, ce dernier hésite à franchir le cap, malgré les multiples pressions (une vidéo de Joli Mec peut rapporter beaucoup d’agent). Il tente de réfléchir et de voir plus loin que quelques pixels…

D’abord tu vois vidéo. Puis tu t’habilles vidéo. Puis tu manges vidéo. Puis tu es vidéo.

                                                                                                                            L’Évangile selon saint Marc le Visuel.

Regarder ou Être Regardé.

                                                                                                                            Credo du Joli Mec.

Après quatre excellents textes, j’ai moins accroché à la nouvelle « Les Voyageurs sans mémoire » de Francis Valéry, nouvelle dans laquelle un Martien (c’est-à-dire un homme génétiquement modifié/fabriqué pour vivre sur Mars puisque la terraformation a échoué) dialogue avec des extra-terrestres sphériques. Il baptise chacune d’entre elles et leur confère une personnalité par une histoire contée, unique et empreinte de nostalgie de la Terre mère. Il ne se doute pas de la capacité de ces voyageurs à transformer ces histoires en réalité. La nouvelle, poétique et nostalgique, fonctionne bien, mais la frustration demeure de ne pas en savoir plus sur ces entités sphériques.

Dans « Le Soir et le matin et la nuit » de Octavia E. Butler nous suivons Lynn, une jeune femme malade du syndrome de Duryea-Gode, une maladie génétique qui conduit les patients à se mutiler, se suicider ou d’assassiner proches ou moins proches. Pas d’espoir de guérison pour cette maladie. Tous les porteurs sont condamnés à plus ou moins long terme. Plus de futur et pas de présent. Glaçant.

« Je me souviens de Carthage » de Michael Bishop est une uchronie dans laquelle la science moderne est advenue bien plus tôt. Carthage est devenue la plus importante ville d’Afrique et la science des Grecs a permis de nombreux progrès. Augustin d’Hippone (saint Augustin) est à la fin de sa vie et reçoit la visite d’Iatanbaal en provenance de Chine. La ville est assiégée par les Vandales et l’électricité manque. C’est donc à la lueur de la bougie qu’Iatanbaal lui dévoile les dernières découvertes des scientifiques chinois. D’accord, l’aspect spéculatif donne le vertige, mais je me suis ennuyée avec ce long dialogue sur les sciences.

« La Cage et le jardin » de Wildy Petoud (qui comme son nom de l’indique pas, est une femme de nationalité suisse) ne fonctionne qu’à moitié. Dans une ambiance de fin du monde – fournaise au dehors, disparition de la nature, confinement des humains – nous plongeons dans le quotidien d’une enfant, mutante et paria. Le texte est percutant, mais très limité par le point de vue adopté.

« L’Horloge de l’émir » de Ian Watson est le texte qui m’a le plus frustrée. Sous l’apparence d’un étudiant un peu frivole, amoureux de l’oeuvre d’Agatha Christie, le Prince Jafar ibn Khalid, futur héritier d’un émirat d’Al-Haziya et surnommé Bunny par ses camarades d’Oxford, ambitionne de faire entrer son pays dans la modernité. La découverte dans une vieille église d’une très ancienne horloge et d’une énigme peut potentiellement répondre à ses attentes. Mon reproche ? La nouvelle s’arrête au moment où elle sort de l’anecdotique et où elle s’ouvre sur des perspectives spéculatives plus intéressantes. Le texte a connu une seconde vie au Bélial en 2015. Elle était offerte à la lecture pendant un mois, à l’occasion de la réédition de L’Enchâssement de Ian Watson.

Dans « Rachel amoureuse » Pat Murphy met en scène Rachel, un singe dont le cerveau accueille l’esprit de Rachel, la fille décédée du professeur Aaron Jacobs. Au décès de ce dernier, Rachel est capturée et envoyée dans un laboratoire médical. Futée, elle cache son intelligence et planifie une évasion (sans oublier de connaître ses premiers émois amoureux). La nouvelle fonctionne bien, avec une mention spéciale pour le rendu des pensées, émotions et états d’esprits de Rachel, singe  et petite fille (une double personnalité non schizophrénique).

« Émergence » de Walter Jon Williams est une longue nouvelle. Trop longue. Anthony s’est exilé sur une planète lointaine pour étudier le langage des baleines. Il est persuadé qu’elles pourront lui servir d’intermédiaires pour communiquer avec  de mystérieuses entités des profondeurs. Sa rencontre avec Philana va modifier son quotidien. Le corps de Philana est le réceptacle d’une entité alien, un Cyclope, qui la possède pour son amusement de temps à autre. Les deux principaux protagonistes de l’histoire sont des êtres torturés, au passé familial lourd et le texte navigue entre violence et moments de grâce avec le chant des baleines.

En définitive, cet Univers 1989 se révèle une bonne surprise. Les textes, d’une grande qualité (pas de fausse note dans la sélection, même si j’ai moins aimé certains textes), ont bien vieilli tant sur la forme que dans leurs thématiques.

  • Les prix reçus :
    « A toi pour toujours, Anna » : prix Nebula (nouvelle) en 1987
    « Rachel amoureuse » : prix Nebula (novelette) en 1987, prix Asimov (novelette) en 1988, prix Locus (novelette) en 1988 et prix Theodore Sturgeon en 1988
    « Les Voyageurs sans mémoire » : prix Rosny aîné (nouvelle) en 1990
  • Lire un avis sur la NooSfere et celui de Jean-Claude Ventroyen.
logo diversité petitItem 4 : Auteur de couleur ou métissé (racisé) => Octavia E. Butler

Cet article a 4 commentaires

  1. Rokdun

    Merci pour cet excellent article, ça donne envie !

    1. Lhisbei

      C’est une bonne anthologie 🙂 bonne lecture !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.