La Maison des Soleils – Alastair Reynolds

La Maison des Soleils

D’Alastair Reynolds

Le Bélial – 512 pages. Traduction de Pierre-Paul Duranstanti

Princes of the Universe

La Maison des Soleils s’inscrit dans un univers plus vaste développé par Alastair Reynolds. Ce roman est précédé par la novella « La Millième Nuit », qui met en scène les mêmes protagonistes, Campion et Purslane, et suivi par la nouvelle « Les Nuits de Belladone », publiée dans le Bifrost n°114 (que je n’ai pas encore lue).
Alastair Reynolds nous transporte six millions d’années dans le futur, bien après que l’humanité a colonisé toute la Voie lactée. Dans ce lointain avenir, de nouvelles civilisations émergent, prospèrent, et disparaissent en l’espace de quelques centaines de millénaires.
Au cœur de ce vaste univers se trouve la Lignée Gentiane, une lignée composée de mille clones, ou fragments, issus de leur ancêtre Abigail Gentian. Ces clones parcourent la galaxie à bord de gigantesques vaisseaux spatiaux et se réunissent tous les 200 000 ans pour partager leurs souvenirs et leurs découvertes. Ces retrouvailles régulières permettent à chaque fragment d’apporter les connaissances accumulées au fil de leurs explorations solitaires.
Parmi ces fragments, Campion et Purslane se distinguent en enfreignant les règles de leur lignée. Ils entretiennent une relation amoureuse et passent une grande partie de leur temps ensemble, au lieu d’explorer l’univers chacun de leur côté. Les fragments ne voyagent pas à des vitesses supraluminiques. Ils utilisent plutôt des technologies avancées pour ralentir leur vieillissement ou entrer en stase et traverser des milliers d’années en sommeil. Bien que leur médecine soit très avancée, ces clones ne sont pas immortels. Et, malgré leur apparente toute-puissance et leur longévité, ils restent profondément humains dans leurs émotions et leurs actions.

Not today

Campion et Purslane arrivent en retard à la réunion de leur lignée. Ce retard leurs sauve la vie, car la Lignée Gentiane vient d’être presque entièrement décimée par une attaque surprise. Les deux clones échappent au piège, réussissent à secourir des survivants et mettent le cap vers une planète de secours. Mais pourquoi a-t-on cherché à les exterminer ? Cette attaque semble être liée à un ancien conflit oublié, à une lignée mystérieuse appelée La Maison des Soleils, et à la disparition de la galaxie d’Andromède. Les survivants en viennent à redouter qu’un membre de la lignée ait trahi les siens. Cette suspicion exacerbe les tensions au sein des membres restants.
La narration, non linéaire et entrecoupée de l’histoire d’Abigail Gentian, est riche en rebondissements, révélations et découvertes qui maintiennent une tension constante. Le roman se lit comme un page-turner et émerveille par l’immensité de l’univers exploré et la profondeur vertigineuse des idées abordées. Il propose une réflexion sur des thèmes tels que l’immortalité, l’amour et la trahison ainsi que l’éthique et la responsabilité des actes, même ceux relégués à un passé lointain et presque oublié. Les scènes de batailles spatiales, à la fois épiques et réalistes, se déroulent dans le cadre contraignant des vitesses relativistes, ajoutant une intensité supplémentaire.

Vous l’avez compris La Maison des Soleils est une lecture incontournable de cette année 2024.

Un extrait

On a suivi dans le ciel bleu du monde la navette de Betony, une larme de chrome qui s’effilait jusqu’à l’impossible.

(un autre)

« C’est nous qui avons vécu ce qui compte. Le peu de millénaires d’histoire qui nous ont précédés n’était qu’un prologue. L’intrigue principale a commencé quand Abigail a vagi pour la première fois.
– On est des vers des livres qui ont foré des tunnels à travers les pages de l’histoire. » Je me rappelais la manière dont le conservateur de la Vigilance m’avait décrit. « Ce n’est pas tout à fait pareil.
– Mais nous savons ce que nous sommes. Nous savons ce que nous valons. Je ne pourrais pas te tuer, Campion. Même si je désapprouve tes actions et ton dédain des traditions de la Lignée, je ne pourrais pas lever la main sur toi. Ce serait comme détruire un monument, ruiner une écologie fragile – un acte de vandalisme, plus encore qu’un meurtre. Je ne peux que croire que tu ressens la même chose envers moi. »

(un troisième, même)

Le champ de rétention le relâchant petit à petit, Hespéros est descendu jusqu’au sol dans un mouvement d’une lenteur onirique. Ses pieds sont entrés en contact avec le pont et ses bras se sont abaissés le long de ses flancs. Il restait debout, mais rien n’indiquait qu’il était vivant plutôt que simplement posé à cet endroit. Puis sa tête dorée, détournée jusqu’alors, s’est relevée pour me regarder droit dans les yeux.
C’était une machine magnifique.
On aurait cru un homme en armure ajustée, trop mince pour cette enveloppe. Son crâne n’était que plans élégants et courbes luisantes. La Personne Machine était froidement robotique et violemment humaine, telle la caricature stylisée d’une beauté masculine superbe des fables d’antan, rendue en or et chrome. Ses yeux, deux dispositifs à facettes, variaient de l’opale au turquoise en fonction de l’angle de son regard. Son large menton présentait une fossette. Ses pommettes, des brides parallèles de chrome, perçaient sa peau comme pour servir d’éléments refroidissants. Il avait un nez qui ne semblait servir qu’à parfaire ses traits. Sa bouche aux lèvres d’or épaisses, juste entrouvertes, cachait la complexité de ses systèmes phonateurs. Son crâne était en or, hormis deux panneaux de verre multicolore de part et d’autre, juste au-dessus des représentations symboliques de ses oreilles. Les vitraux, derrière lesquels tournoyaient des lueurs pastel, présentaient un fin réseau chromé.
Le reste n’était pas moins beau. Sur le plan esthétique, il n’y avait aucune partie qui ne soit en harmonie avec le tout : un buste sculpté, un abdomen mince, des hanches longues, des membres musclés. Sa seule bizarrerie, l’unique élément déséquilibré, c’était son avant-bras gauche plus épais que le droit, de même que sa main gauche, comme s’il portait un gantelet de métal par-dessus le gantelet de sa propre main.
Rien d’autre ne détonait. Le Peuple Machine se présente sous l’aspect d’hommes et de femmes, parfois d’enfants et en de rares occasions d’êtres asexués en métal lumineux. Le visage et la stature d’Hespéros montraient qu’il avait choisi une incarnation masculine. Arborant même une suggestion d’appareil génital en or, un bas-relief moulé avec goût, il n’avait toutefois rien de vulgaire ni de menaçant. C’était une œuvre d’art exquise, un artefact à admirer et convoiter.
Mais il était vivant. Et puissant, et rapide, et sans doute l’être le plus dangereux et le plus intelligent à avoir jamais arpenté les coursives de Badinage.
« Qui êtes-vous ? » Alors que son visage semblait jusqu’à présent un masque d’or figé, ses lèvres bougeaient. Sa voix, un trille de chant d’oiseau orchestré en phonèmes humains, était le plus beau son que j’aie jamais entendu.

 

Pour aller plus loin

Challenge Summer Star Wars – Ahsoka

Cet article a 10 commentaires

  1. Baroona

    Ça me donne encore plus envie de lire « La Millième Nuit » pour pouvoir ensuite attaquer ce texte-ci.

    1. Lhisbei

      Je vais militer pour une lecture dans cet ordre. J’espère pouvoir lire vite la nouvelle dans Bifrost pour compléter le cycle.

    1. Lhisbei

      Vu la short-list ça va être serré, tu penses bien 🙂
      L’année dernière on a longtemps débattu entre deux titres au dernier tour (le lauréat et Eversion d’Alastair Reynolds et je t’avoue que, entre les deux, mon coeur balançait pour le Reynolds). Cet année, c’est un vrai déchirement cette short-list.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.