Rossignol – Audrey Pleynet

Rossignol

Audrey Pleynet

Le Bélial – Une Heure-Lumière. 144 pages

Cette année, j’ai eu le plaisir de participer à la Betiz Connexion, la convention française de science-fiction. À mon arrivée, on m’a remis un recueil des nouvelles finalistes du Prix Rosny Aîné, afin que je puisse voter en toute connaissance de cause. Parmi les œuvres présentées figurait Rossignol, une novella d’Audrey Pleynet publiée dans la collection Une Heure-Lumière, qui dormait jusqu’ici dans ma pile à lire. Les autres nouvelles au sommaire ont été chroniquées ici.

Utopie

Rossignol nous transporte dans un futur lointain où l’humanité a colonisé les étoiles et rencontré diverses espèces extraterrestres. Les conflits interstellaires qui ont suivi ont conduit à des manipulations génétiques, et certains combattants ont découvert que leurs similitudes étaient plus significatives que leurs différences, les poussant à déserter. Ces déserteurs, rejoints par des contrebandiers, ont fondé une station spatiale. Celle-ci tire ses revenus du commerce des minerais extraits des astéroïdes et héberge une diversité biologique remarquable. La station utilise des technologies avancées pour répondre aux besoins variés des différentes espèces présentes. Les Paramètres ajustent en permanence l’environnement (température, pression, atmosphère, gravité) pour permettre cette coexistence. L’hybridation entre espèces, rendue possible par un savoir-faire génétique sophistiqué, crée un melting-pot fascinant.

Guerre civile

Le conflit central de Rossignol oppose les Spéciens, qui militent pour un retour à une “pureté” génétique et une séparation stricte entre les espèces, aux Fusionnistes, fervents défenseurs de l’hybridation totale et des échanges inter espèces. Ce différend idéologique évolue en une guerre civile au sein de la station, mettant en lumière les tensions entre les idéaux utopiques de coexistence et les réalités du quotidien. La narratrice, une hybride majoritairement humaine et mère d’un jeune fils également hybridé, se retrouve plongée au cœur de ce conflit sans savoir qu’elle détient une clé essentielle qui peut peser dans l’issue de la guerre. Et malgré le conflit, l’espoir et l’amour, notamment maternel, restent des forces puissantes.

Narration

Le récit, narré à la première personne, utilise une structure non linéaire avec des retours en arrière pour dévoiler progressivement l’intrigue et la dynamique sociale complexe de la station. Cette approche permet aussi d’explorer en profondeur la question de l’identité dans un monde hybride, avec une protagoniste qui se définit tout autant par son ADN que par son évolution personnelle et ses expériences de vie.

Avec Rossignol, Audrey Peynet livre une novella remarquable, alliant ambition et émotion. Un plaidoyer puissant en faveur de la tolérance et de l’acceptation des différences.

Un extrait

Au détour d’une anecdote, je demandai au nouveau venu quels étaient ses pourcentages. Une question innocente ici, presque systématique. Comme il ne répondait pas, je commençai à énumérer les miens. Une onde puissante m’arrêta bientôt.
« Ne me donne pas ce pouvoir. Et ne te le donne pas non plus. »
Je fronçai les sourcils sans comprendre.
« Mon hybridation, tu la vois, tu la devines. Je pourrais te la détailler. Mais la domination que tu en tirerais sur moi, tu la construirais. Elle se renforcerait de ces chiffres. Tu es seule en toi ? Dans ton esprit ? Tu as éclos ici ?
– Née ici, oui, répondis-je dans un souffle. Et, oui, il n’y a que moi en moi.
– Alors tu dois savoir plus que quiconque ce que tu donnes en étalant tes pourcentages. Ce que tu figes. Reste cohérente, ne te laisse pas fragmenter. Dans l’esprit de l’autre, tu dois être 100 %. Quel pouvoir cherches-tu quand tu lui demandes ses pourcentages. Le classement que tu feras. Car il se fera. Détache-toi de ça. Je suis là, stationnien, devant toi. Le reste n’est que technique et ne doit appartenir qu’au Paramétrage. C’est tout. »
C’était tout. La texture de sa voix s’étiola dans un silence de plomb. Je finis ma pause sans un mot, saisis mon matériel dans une semi-conscience, lourde, retournai à mon poste diriger ma sonde, poser mes charges, stabiliser le métal extrait.
« Reste cohérente. »
« Ne fige pas ton rapport à l’autre. »
C’était une façon sans concession de décrire le monde dans lequel je vivais. Effrayante.

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