De Rakel Haslund
Robert Laffont Ailleurs & Demain. Traduction de Catherine Renaud
Retour de chronique du Bifrost 112
Après nous les oiseaux, premier (court) roman de l’autrice danoise Rakel Haslund, emmène le lecteur dans un monde post-apocalyptique. Bien que les détails restent vagues, des catastrophes écologiques (pollution, montée des eaux) et humaines (guerres, épidémies) ont laissé une planète en ruines où la nature reprend doucement ses droits.
Au cœur de cette désolation, une jeune fille anonyme qui semble être la dernière survivante, décide de quitter son refuge et de marcher vers l’océan. Elle vit dans un isolement absolu depuis la perte de sa mère, une absence marquante qui teinte son cheminement de deuil et de sentiments complexes. Pour le lecteur, l’espoir de la survie d’autres êtres humains cohabite avec la crainte qu’une éventuelle rencontre entre survivants ne se transforme en affrontements.
Au cours de son voyage, notre héroïne tisse un lien ténu avec un oiseau qui semble l’accompagner. Les mots, jadis vecteurs de communication et de compréhension, s’effritent lentement dans son esprit. À mesure que le froid de l’hiver s’installe, l’emprise de l’oubli grandit, effaçant ses souvenirs. Bientôt, il ne subsiste plus de sa mère qu’une simple syllabe, « Am », qui encapsule la mémoire de toute une existence. La perte du langage reflète la dissolution du sens dans un monde sans repère. Pendant un temps, elle lutte contre cette amnésie grandissante en inventant un langage spécifique, imagé et parfois naïf, pour décrire son environnement. Mais à quoi sert le langage lorsqu’on n’a personne avec lequel dialoguer ?
Le style poétique et évocateur de Rakel Haslund se manifeste à travers des descriptions précises qui reflètent le calme et la mélancolie d’un monde dévasté. La narration au présent et le point de vue de la jeune fille offre un aperçu parcellaire, intime, de sa réalité fragmentée. Épurée mais chargée en émotions, l’écriture, admirablement rendue par le travail de traduction de Catherine Renaud, crée une immersion totale et évoque des images parfois glaçantes de la mort.
Après nous les oiseaux se concentre sur l’exploration introspective plutôt que sur l’action. À travers le prisme de sa protagoniste solitaire, il explore les recoins obscurs de l’errance, du désir de continuer à vivre, de la quête de sens et du rôle fondamental des mots dans un monde où la nature impose sa suprématie et où l’homme est redevenu un animal comme les autres. Le roman peut se lire comme une fiction climatique, mais c’est aussi une fable philosophique qui invite à méditer sur la puissance intrinsèque du langage dans la construction et la perception de la réalité. Malgré un prix (trop) élevé au regard de sa brièveté, ce court roman, empreint de tristesse et de beauté, constitue une invitation à explorer les profondeurs de l’âme humaine qu’on aurait tort de décliner. Chaque mot résonne longtemps après la lecture de la dernière page.
Une citation
Elle se dirige vers la mer, et maintenant qu’elle est dans un espace ouvert, penser clairement est plus facile. Elle pense aux mots. Elle ne se souvient d’aucun mot de la période sous terre, Am et elle ne parlaient pas beaucoup ensemble. Si Am ne sortait pas, Am et elle restaient juste sous les couvertures, comme des vers, comme des racines blanches et aveugles, ce n’est qu’avec la lumière que sont venus toutes les plantes, les oiseaux, Jardin-de-roses, toutes les choses qui ont des mots. Mais maintenant qu’Am n’est plus là, beaucoup de mots l’abandonnent et disparaissent. Elle oublie les mots pour les oiseaux, pour les fleurs, et surtout les choses qu’Am lui a racontées, mais qu’elle n’a pas vues. Elle oublie le livre avec les images d’animaux. Sur eux, Am racontait des histoires amusantes, dont Am et elle riaient, la vache sur la glace et la grande fête du cochon, mais ensuite, Am était triste quand même, eux aussi ont disparu, disait Am à presque toutes les images.
Pour aller plus loin
- Lire les avis de Au payx des cave trolls, Le Dragon Galactique, Mondes de poche, L’imaginarium électrique, Les blablas de Tachan et L’épaule d’Orion.
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