De Anne Rice
1. Le Lien maléfique – Pocket – 992 pages. Traduction d’Annick Granger-de-Scriba
2. L’Heure des sorcières – Pocket – 800 pages. Traduction d’Annick Granger-de-Scriba
3. Taltos – Pocket – 640 pages. Traduction d’Annick Granger-de-Scriba
Retour de chronique du Bifrost 112
Vaste épopée familiale, la « Saga des sorcières Mayfair » explore un monde mêlant amour, richesse et créatures surnaturelles, en suivant la lignée éponyme à la trilogie.
Le premier tome, Le Lien maléfique, s’attache à Rowan Mayfair, jeune neurochirurgienne dotée de pouvoirs psychiques, soustraite enfant à sa famille pour être emmenée à San Francisco. Bien que son don, le pouvoir de modifier la matière cellulaire, lui permette de sauver des vies, il lui octroie aussi la capacité de tuer, sur simple volonté. Accompagnée de Michael Curry, un entrepreneur du bâtiment qu’elle a sauvé de la noyade, elle revient dans la maison familiale située dans le quartier du Garden District de la Nouvelle-Orléans. La maison, délabrée, est hantée par un esprit nommé Lasher. Rowan, malgré elle, devient l’héritière de plusieurs générations de sorcières. Ignorante de l’histoire familiale, elle cherche à percer les secrets de ses origines et révéler sa véritable identité tout en affrontant Lasher. En parallèle de son histoire, les archives du Talamasca, une société secrète étudiant les phénomènes surnaturels depuis le Moyen Âge, retracent l’histoire et la généalogie des sorcières Mayfair et leur lien avec Lasher. Le récit de la vie des sorcières, raconté par divers témoignages à multiples points de vue, offre une vue d’ensemble approfondie des enjeux complexes et des ramifications qui se déploient au fil des trois volumes.
Le deuxième tome, L’Heure des sorcières, se concentre sur Lasher, ses origines, sa relation complexe avec la famille Mayfair. Entité éternelle, Lasher prend forme lorsque la première des Mayfair, envoyée au bûcher pour sorcellerie, lui accorde son attention, l’éveillant ainsi à sa propre existence. Ses interactions avec les sorcières au cours des siècles lui permettent de se développer et de renforcer son pouvoir. Incarné en tant qu’humain, il ne cesse de chercher à se reproduire. La narration alterne avec le récit de Julien, l’un des sorciers les plus puissants de la famille, exclu de l’héritage du fait de sa condition d’homme. Son enquête sur Lasher nous est livrée, bien après son décès, par l’entremise d’un gramophone enchanté, un appareil contre lequel Lasher ne peut rien.
Le dernier volet, Taltos, se penche sur les origines des créatures surnaturelles liées aux Mayfair, les Taltos. L’intrigue se focalise sur deux protagonistes : Mona, la jeune héritière de la famille Mayfair, qui se trouve enceinte à l’âge tendre de treize ans suite à sa liaison avec Michaël ; et Ashlar, un Taltos survivant qui se démarque par sa sagesse et sa maturité parmi ses semblables. Les Taltos, êtres légendaires issus d’une époque révolue où géants, esprits et humains coexistaient, possèdent une longévité exceptionnelle et une capacité à penser sur un temps long, tout en conservant une forme de candeur. Au sein du Talamasca, une faction dissidente détient une Taltos femelle. L’éventualité de la procréation entre ces deux créatures soulève des enjeux monumentaux : la possible extinction de l’humanité elle-même. Le concept des Taltos vient enrichir la mythologie d’un univers partagé qui englobe à la fois les « Chroniques des vampires » et la « Saga des sorcières ». Dans ces dernières, Anne Rice lie surnaturel et sensualité, bien que certaines scènes de sexe, violentes, sombrent dans le ridicule. Les forces occultes confèrent pouvoir, richesse et connaissance, mais peuvent aussi corrompre et brouiller les frontières entre le bien et le mal. Pris dans l’implacable machination ourdie par un esprit immortel, les personnages, complexes et ambigus, aux prises avec leurs démons intérieurs, aspirent à un avenir meilleur. La trilogie interroge le libre arbitre et explore la dualité entre choix et destin. Le surnaturel s’intègre subtilement dans la réalité, les forces et les esprits exploitant des phénomènes naturels tels que tempêtes, maladies mentales ou crises cardiaques pour masquer leur intervention. D’abord mystérieux et puissant, il se pare peu à peu de justifications rationnelles, se mêlant étroitement à la génétique. Les thèmes de la famille et des liens du sang, si chers à l’autrice, trouvent un écho dans l’ADN, où la mémoire génétique entrelace relations, substance et continuité.
Anne Rice tire son inspiration de son environnement, notamment sa vaste demeure à la Nouvelle-Orléans, et de sa propre vie, y compris son retour d’exil à San Francisco. Pour plus d’authenticité, elle convoque les images de son passé, des écoles aux églises, en passant par le défilé du Mardi Gras, les réunions familiales et même les cérémonies funéraires. Ajoutés à une écriture ample et poétique, ces éléments lui permettent de déployer, dans le premier tome, tout son talent de conteuse maîtrisant l’art de créer des images vivantes. Cependant, la qualité diminue au fil des volumes. L’introduction du catholicisme, du personnage de Saint Ashlar et de la métaphysique personnelle de l’autrice, ainsi que les longs passages discursifs, dans Taltos, finissent par susciter l’ennui.
C’est d’autant plus frustrant que l’autrice démontre une réelle sensibilité aux évolutions de son époque. Mona utilise un ordinateur personnel, une technologie émergente dont la pleine puissance demeure encore méconnue. Son regard acéré sur l’économie, la société capitaliste et son virage ultralibéral, s’incarne à travers de la jeune fille qui mûrit rapidement et s’émancipe par la maîtrise du sexe et de l’argent. En conclusion, on se limitera à la lecture du premier volet de La Saga des sorcières Mayfair sans redouter d’y perdre.
Une citation
— Tout vient d’un enchaînement d’erreurs. J’avais un choix à faire et j’ai péché par orgueil. J’ai cru que je pouvais y parvenir, que j’en sortirais gagnante. D’un bout à l’autre, l’histoire des sorcières Mayfair n’a été qu’une question d’orgueil. Les événements me sont apparus enveloppés dans les mystères de la science. Nous avons une conception complètement erronée de la science, tu sais. Nous pensons qu’elle ne contient que ce qui est défini, précis, connu. En fait, elle est constituée d’une succession illimitée de portes vers un inconnu aussi vaste que l’univers, c’est-à-dire l’infini. Je le savais mais je l’ai occulté. Ce fut là mon erreur.
Pour aller plus loin
- Lire l’avis de La Geekosophe sur Le Lien maléfique.
Excellemment résumé. Au début, c’est bien. Après aussi. Mais ça finit par lasser.
Oui, et la tendance c’est plutôt : « c’est de moins en moins bien au fil des tomes ». Snif
(et merci pour le compliment)