Après nos premières impressions des Utopiales 2024, le billet sur les dédicaces, le focus sur les remises de prix, les conférences inaugurales, et celles du jeudi, poursuivons avec celles du vendredi.
Pour commencer, direction la scène Shayol à 9h15 (oui, c’est trop tôt) pour la conférence sur Les vaisseaux générationnels qui réunissait Roland Lehoucq (astrophysicien et vulgarisateur), Romain Lucazeau (auteur de science-fiction qui n’a rien écrit sur les vaisseaux générationnels), Adrian Tchaikovsky (auteur britannique) et Jérôme Vincent en tant que modérateur.
Un vaisseau générationnel est une immense structure spatiale conçue pour des voyages interstellaires extrêmement longs, s’étalant sur plusieurs générations. Par exemple, l’étoile la plus proche de nous, Proxima du Centaure, est située à 4 années-lumière. Même à une vitesse équivalente à 1 % de celle de la lumière, le voyage prendrait 400 ans. Ces expéditions posent donc des défis immenses, surtout en l’absence de technologies comme la stase ou la cryogénisation, qui ne sont pas encore maîtrisées. Un voyage de cette envergure impose de surmonter de nombreuses contraintes. Le vaisseau doit pouvoir produire et réguler ses propres ressources (eau, air, nourriture) sur une durée prolongée, stocker son énergie et se protéger des dangers de l’espace que ce soit particules de haute énergie, les débris interstellaires ou encore l’usure progressive des systèmes (entropie) qui menacent constamment le vaisseau et ses occupants.
Sur une échelle de temps aussi longue, ce sont également les sociétés humaines à bord qui deviennent un enjeu majeur. La vie dans un vaisseau générationnel crée des microcosmes sociaux où chaque aspect de la vie humaine est amplifié. Quel sens donner à sa vie lorsqu’on fait partie des générations intermédiaires, qui ne verront jamais la destination finale ? Avec le temps, des systèmes politiques, des croyances et une culture propre émergent, parfois au détriment de l’objectif initial. Et la régulation des naissances est essentielle pour éviter la surpopulation et préserver l’équilibre des ressources.
Les vaisseaux générationnels offrent à la science-fiction un laboratoire narratif, permettant d’explorer des dilemmes éthiques, sociaux et technologiques. Ces récits nous interrogent sur notre rapport au temps, à la société et à la technologie. En reproduisant à petite échelle des phénomènes tels que l’effondrement des civilisations ou l’émergence de nouvelles croyances, ils deviennent une métaphore de la condition humaine. Ils rappellent également que, dans un environnement clos, le danger vient très souvent de l’intérieur : conflits sociaux, dérives politiques ou dysfonctionnements technologiques. Finalement, ces récits nous confrontent à notre propre finitude et à nos responsabilités face au monde actuel. Un seul regret pour moi sur cette table ronde passionnante : il manquait Emilie Querbalec qui traite magnifiquement de ces sujets dans Les Chants de Nüying. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut se revoir sur la chaîne de Ideas in science : ici.

Nous restons assis (une place assise aux Utopiales, c’est précieux) pour la conférence suivante Une réalité dissonante avec Dave Côté (auteur canadien), Victor LaValle (écrivain américain), Mu Ming (autrice chinoise) et Sara Doke (autrice & traductrice) à la modération. Les intervenants explorent les frontières entre réalisme et fantastique, tout en partageant leurs approches de l’écriture. Mu Ming met en lumière le rôle symbolique du jardin dans la culture chinoise, un espace où le réel et l’imaginaire se rejoignent. Pour elle, le jardin est une métaphore de la création littéraire : une relecture du réel à travers une logique propre à l’auteur. Victor LaValle, quant à lui, installe d’abord une réalité familière avant d’y introduire l’horreur ou l’étrange, jouant sur la lente révélation de monstres tapis dans l’ombre. Dave Côté préfère un mélange de ruptures et d’allégories : il part d’un élément impossible qu’il s’efforce de traiter de la manière la plus vraisemblable possible.
Pour ces auteurs, l’écriture devient un outil de réflexion permettant d’aborder des thématiques complexes sous un angle détourné. Victor LaValle utilise la littérature d’horreur pour traiter de réalités sociales difficiles grâce à des figures monstrueuses symboliques. De son côté, Mu Ming s’inspire de la culture chinoise ancienne pour interroger les bouleversements historiques, tels que l’effondrement des dynasties ou l’influence occidentale. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut se revoir ici.

A 11h45 direction l’auditorium pour Erreurs du présent, solutions du futur ? avec Véro Cazot et Anaïs Bernabé, scénaristes et dessinatrices de BD, créatrices de Le Champ des possibles, Philippe Ciais et Louis Delannoy, scientifiques spécialisés respectivement dans le cycle du carbone et les crises interconnectées et Quentin Lazzarotto à la modération. Les intervenants s’interrogent sur les raisons de l’inaction face à l’urgence climatique. L’usage intensif des énergies fossiles et la déforestation pour l’agriculture émettent du CO2 qui reste dans l’atmosphère pendant des milliers d’années. Les décisions passées continuent donc de peser sur le futur. Les scientifiques ont clairement identifiés les risques climatiques depuis longtemps, mais que l’inaction a été principalement politique. Le Protocole de Kyoto n’était pas mondial et les engagements de l’Accord de Paris restaient insuffisants. À un niveau individuel, la prise de conscience écologique peut être tardive, renforcée par un sentiment d’impuissance face à un système global. La crise climatique est multiple : plusieurs crises sont en fait interconnectées climatique, financière et aussi sociales. Pour envisager des solutions, il est impératif de repenser notre relation à la nature et aux autres êtres vivants. La décroissance est évoquée comme un champ émergent, mais encore en manque de modèles financiers et géopolitiques adaptés. Il est crucial de l’articuler avec une justice sociale, afin de ne pas freiner les pays en développement dans l’amélioration de leur qualité de vie. Certaines innovations, comme la capture du carbone, sont prometteuses, mais leurs coûts et leur portée restent limités face à l’ampleur des émissions actuelles. Malgré quelques signaux encourageants, comme l’essor des énergies renouvelables, la vitesse de transition reste insuffisante pour limiter les dégâts climatiques. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut se revoir ici ou s’écouter là.

A 15h, direction Les histoires de la science-fiction à travers le monde avec Mary Robinette Kowal (romancière américaine), Hirotaka Osawa (professeur et président de la Science Fiction and Fantasy Writers of Japan), Xavier Dollo (scénariste français de la BD Une histoire de la science-fiction) et Vincent Bontems à la modération. Cette conférence explore l’histoire de la science-fiction dans trois grandes cultures : les États-Unis, la France et le Japon. Les intervenants mettent en lumière les spécificités culturelles propres à chaque pays tout en soulignant les influences croisées qui ont enrichi le genre. Parmi les thèmes abordés : l’étymologie du terme « science-fiction » et ses variations selon les langues et les cultures, les moments clés de l’histoire du genre, depuis ses origines jusqu’à ses transformations récentes,l’impact de la traduction et la manière dont elle a permis la diffusion mondiale d’œuvres qui transcendent les frontières culturelles, l’héritage et les évolutions nationales, avec un focus sur ce qui distingue chaque tradition SF, tout en interrogeant les influences étrangères, le présent et les questions sociétales, notamment comment la science-fiction reflète et questionne les préoccupations actuelles et l’avenir du genre, en envisageant ses possibles directions dans un monde en perpétuel changement. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut se revoir ici.

Photos par C.Schlonsok tous droits réservés à l’auteur
Nous avons ensuite enchaîné avec les remises de prix. Cela nous fait tout de même quatre conférences pour ce vendredi – une journée bien remplie ! Nous vous donnons rendez-vous ici dans quelques jours pour la suite des billets sur les conférences des Utopiales 2024.
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