Utopiales 2024 – Les conférences du samedi

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Festival
  • Commentaires de la publication :0 commentaire

Après nos premières impressions des Utopiales 2024, le billet sur les dédicaces, le focus sur les remises de prix, les conférences inaugurales, et celles du jeudi et celles du vendredi, poursuivons avec celles du samedi.

A 9h15 (c’est toujours trop tôt), direction la Scène Shayol pour la table-ronde Dans le reflet de la machine avec Laurent Borgiès (responsable communication du Groupement interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche), Christopher Bouix (auteur de SF), Hirotaka Osawa (professeur associé à l’Université de Kyoto, directeur du Centre de recherche et de développement en science-fiction et Président de l’Association des auteurs et autrices de fantasy et science-fiction au Japon), Brigitte Rault (de l’INSERM) et Élisa Thévenet à la modération. La table ronde s’intéresse aux interactions homme-machine et aux implications de l’intelligence artificielle (IA). La science-fiction, en tant que laboratoire d’idées, influence la conception des technologies, tandis que celles-ci inspirent les récits. Des œuvres comme Frankenstein ou Alfie explorent les relations complexes entre humains et machines, souvent à travers des récits de domination, mais de nouvelles approches cherchent à imaginer des futurs plus apaisés. Les intervenants ont discuté de l’effacement progressif des frontières entre l’humain, l’animal, et la machine, abordant des questions comme l’empathie, la sensibilité et les droits potentiels des robots. Les biais dans les données utilisées par l’IA, notamment en médecine, soulèvent des enjeux éthiques cruciaux. Le Japon, influencé par le shintoïsme, adopte une vision souvent différente des récits occidentaux (centrés sur des affrontements) de l’interaction homme-machine. Les participants montrent qu’il est nécessaire de créer des récits constructifs pour anticiper et encadrer les dérives technologiques. Ils soulignent le rôle de la fiction pour questionner et imaginer de nouvelles formes d’interaction homme-machine. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut se revoir sur la chaîne de Ideas in science : ici.

Dans le reflet de la machine – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

 

A 10h30 nous assistons à la table ronde La Fédération est-elle vraiment en paix ? avec Jeanne-A Debats (autrice de SF et ancienne déléguée artistique des Utopiales),  John Scalzi (auteur américain de SF et ancien président de la Science Fiction and Fantasy Writers of America) et David Meulemans à la modération. On y explore les multiples facettes de l’univers de Star Trek, série emblématique de science-fiction créée par Gene Roddenberry en 1964 et comment Star Trek reflète et interagit avec les préoccupations sociétales et politiques de ses époques successives. Les intervenants ont rappelé que Star Trek a été conçu comme une réponse à la Guerre froide, proposant un futur dans lequel l’humanité a surmonté ses divisions. La Fédération des Planètes Unies, pierre angulaire de cet univers, représente une société post-capitaliste fondée sur l’abondance et la coopération interespèces. Les premiers épisodes diffusés en 1966 posaient déjà les bases de cette vision optimiste. Jeanne Abats a souligné le caractère révolutionnaire de Star Trek dans sa représentation de la diversité. Avec des personnages comme Uhura, femme noire occupant un poste de responsabilité sur le pont de l’Enterprise, la série a marqué une étape importante pour les représentations médiatiques. Cependant, elle a aussi relevé certaines limites, comme un paternalisme sous-jacent dans la représentation des races extraterrestres. John Scalzi a expliqué comment Star Trek sert de miroir aux évolutions de la société américaine. Bien que la série prône des valeurs de paix et de collaboration, des tensions émergent dans les histoires, notamment à travers la “Directive Première” (non-ingérence) ou les conflits avec des civilisations comme les Klingons et les Borgs. Scalzi a également abordé l’évolution vers des thèmes plus sombres dans les séries récentes et les films modernes, reflétant un déclin de l’optimisme général. La discussion a également mis en avant l’influence durable de Star Trek sur la culture populaire et la science. La franchise a inspiré des générations, notamment à travers son rôle dans la promotion de la diversité et son impact sur des institutions comme la NASA. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut s’écouter sur le site d’ActuSF ici.

John Scalzi – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

A 11h45 toujours scène Shayol, nous assistons à la conférence / démonstration / expérience intitulée C’est l’histoire d’un blob qui rencontre une IA avec Audrey Dussutour (biologiste, éthologiste, directrice de recherche au CNRS et spécialiste du blob), Yann Rayon (ingénieur travaillant sur les simulations),  Jérôme Caudrelier (spécialiste en IA et fondateur d’Ex Machina) et François Millet (médiateur scientifique). Audrey Dussautour présente le blob et ce que l’on en sait. Le blob (Physarum polycephalum) est une cellule unique sans cerveau, apparue il y a un milliard d’années qui appartient au règne des myxomycètes, cousins des animaux et champignons. Il se nourrit de bactéries et de champignons, se déplace grâce à des contractions, et peut atteindre une taille impressionnante (jusqu’à 10 m²). Le blob possède des capacités d’apprentissage (comme trouver de la nourriture et s’habituer à des substances toxiques comme la quinine), il peut fusionner avec d’autres blobs, entrer en dormance et se réveiller pour continuer à croître ensuite. Il a aussi démontré une capacité à optimiser des trajets dans des labyrinthes. L’expérience réalisée par le scientifique Toshiyuki Nakagaki illustre le potentiel du blob pour optimiser les réseaux de transport de Tokyo. On construit une réplique miniature où chaque ville est représentée par un flocon d’avoine (la nourriture préférée du blob). Le blob est placé sur Tokyo, et les chercheurs observent comment il se développe pour connecter les points. Le blob explore l’espace, puis se rétracte progressivement des chemins inutiles pour ne garder que les connexions les plus efficaces. Le réseau final créé par le blob est plus robuste et plus optimisé que le réseau ferroviaire conçu par des ingénieurs humains. On en apprend beaucoup sur le blob et ça donne presque envie d’en adopter un.
Jérôme Caudrelier évoque ensuite l’intelligence artificielle. Il établit des parallèles entre les blobs, les IA et des œuvres de la culture populaire et évoque les biais cognitifs humains et les défis de l’IA, notamment les « hallucinations » des modèles génératifs et les problèmes éthiques liés à leurs entraînements. Il pose les enjeux éthiques et environnementaux. Les modèles d’IA actuels consomment énormément de ressources énergétiques. Les bases de données utilisées pour entraîner les IA sont souvent constituées sans consentement des créateurs, soulevant des problématiques de droits d’auteur. Jérôme Caudrelier invite à réfléchir à un modèle européen d’IA plus respectueux des spécificités culturelles et des principes éthiques. L’expérience consiste ensuite à voir si une IA peut reproduire fidèlement le comportement du blob en s’appuyant sur des données visuelles et des algorithmes d’apprentissage. Il a fallu 36 000 images de blobs pour entraîner des modèles d’IA puis tester plusieurs scénarios impliquant le blob : occupation d’un territoire (par exemple, reproduction des réseaux ferroviaires japonais), déplacement dans un environnement avec obstacles, fusion de blobs, simulations dans des contextes fictifs (univers de Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux). Les IA ont bien reproduit plusieurs comportements du blob, comme l’optimisation des trajets ou la fusion. Cependant, des limites ont été identifiées, notamment dans la gestion des obstacles (les blobs simulés « trichent » parfois en traversant des barrières). Audrey Dussautour et Yann Rayon soulignent l’intérêt scientifique d’utiliser l’IA pour modéliser et comprendre les comportements du blob. Les résultats obtenus pourraient servir à développer des applications concrètes, comme l’optimisation des réseaux ou des systèmes de transport. Cette conférence était passionnante ! Mon plus gros kif des Utos 2024 (mais je n’ai pas eu le droit de ramener un blob à la maison, snif). Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut s’écouter ici.

Audrey Dussutour – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

A 15h nous étudions Les kaijū avec Marvin Ringard (auteur du livre Le Guide du Tokusatsu), John Scalzi (auteur américain de SF, ancien président de la Science Fiction and Fantasy Writers of America et auteur de La Société Protectrice des Kaiju), Julien Sévéon (co-auteur d’un dossier Mad Movies sur Godzilla et commissaire de l’exposition Kaiju aux Utopiales 2024)  et Yonathan Bartak (alias Yoka, membre de l’association Ouestampes dont l’objectif est la promotion de la culture visuelle moderne japonaise) à la modération. Les intervenants commencent par définir ce que sont les kaijū : des créatures gigantesques associées à la destruction dans les films japonais avec des effets spéciaux spécifiques comme le tokusatsu (costumes, maquettes, pyrotechnie) dans Godzilla ou Gamera.  Ils se penchent ensuite sur l’histoire et l’évolution des kaijū et une comparaison avec les techniques américaines (stop-motion, CGI) à travers le film Godzilla de 1954 (réalisme métaphorique lié au nucléaire) et le plus récent Godzilla Minus One. Le kaijū peut être vu comme une métaphore des menaces / catastrophes nucléaires ou climatiques ou militaires mais aussi des changements sociopolitiques. Les intervenants explorent ensuite les interactions entre le kaijū et l’humanité et l’évolution de celles-ci (le kaijū comme force protectrice). Et évoquent l’expansion et l’influence mondiale de la figure du kaijū, sa réception en Occident, l’impact sur la culture populaire (mangas, jouets, films) et la réappropriation des codes ou des adaptations dans différents pays. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut s’écouter ici.

A 16h15 nous explorons Des liens curieux avec Pierre Kerner (biologiste), Mary Robinette Kowal (autrice de SF), Ray Nayler (auteur de SF) et Grégoire Courtois à la modération. La conférence propose une réflexion sur les relations entre les espèces, la communication inter-espèces et la perception de l’intelligence animale et humaine. Elle aborde également les impacts des technologies, notamment des intelligences artificielles, sur ces dynamiques.  Les intervenants évoquent la notion de kinship (Donna Haraway), qui invite à développer des relations éthiques et équilibrées avec les espèces non humaines. Mary Robinette Kowal explique comment elle communique avec son chat Elsie en utilisant des boutons. Elle décrit comment ces interactions ont modifié sa perception de l’intelligence animale. Les sur le langage animal, comme celle de l’Université de San Diego impliquant 10 000 animaux (essentiellement des chiens) sont citées. Les animaux développent des formes de communication complexes, parfois proches de la culture humaine. Quelques exemples : un marsouin apprenant à « parler dauphin » en vivant avec des dauphins, les corbeaux, dont la survie dépend de leur adaptation culturelle au sein du groupe… Les intervenants explorent les limites du langage. Le langage humain repose sur des symboles et permet la transmission intergénérationnelle des savoirs (ex. écriture). Les animaux utilisent également des « grammaires » gestuelles ou sonores pour communiquer, mais ces formes restent contextuelles et limitées dans le temps. Mary Robinette Kowal fait la distinctions entre le sens des mots pour un humain et pour un animal, en s’appuyant sur les comportements de son chat Elsie (par exemple un mot peut désigner une action plutôt qu’un objet). D’autres exemples sont abordés : les dauphins qui collaborent pour exécuter un acte inédit synchronisé, les oiseaux ou les chats utilisent une forme de langage pour ruser ou manipuler leurs congénères ou les humains. La conférence aborde aussi la question de l’intelligence artificielle, notamment à travers l’intervention de Ray Nayler. Celui-ci questionne le rôle croissant des intelligences artificielles dans nos sociétés et met en garde contre la délégation de tâches éthiques critiques, telles que les décisions militaires, à ces technologies. Cette conférence montre que les frontières entre langage, communication et intelligence sont floues, et que ces concepts ne se limitent pas à l’humain. Elle invite à reconsidérer notre rapport aux autres espèces et aux technologies, tout en réfléchissant à l’éthique de nos interactions avec le vivant et l’artificiel. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. La conférence peut se visionner ici.

Des liens curieux – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

A 17h30 direction l’espace CIC Ouest, qui met à disposition sa salle de conférence, pour Le chant du cosmos avec Catherine Dufour (autrice de SF), Jean-Philippe Uzan (Chercheur au CNRS, spécialiste de gravitation et de cosmologie, Institut d’astrophysique de Paris), Bart Van Tiggelen (Physicien théoricien, spécialiste de la propagation des ondes dans les milieux complexes. Directeur de recherche au CNRS, Directeur scientifique adjoint de son Institut de Physique) et Ugo Bellagamba à la modération. Cette conférence a permis d’explorer les concepts scientifiques et littéraires liés aux signaux cosmiques et à leur perception par l’humanité, en croisant les perspectives de la science et de la fiction. C’est la 6eme conférence de la journée, les sièges de l’amphi du CIC sont d’un moelleux et d’un confort incomparables et je me laisse bercer par les résonances et les harmoniques de l’univers… Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei dans cette publication. Je n’ai pas trouvé de captation (et c’est bien dommage parce que Catherine Dufour avait vachement bien préparé ses interventions, elle a partagé ses recherches et ses notes pour aborder le thème de la conférence qui ne lui était pas familier).

Le chant du cosmos – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

Photos par C.Schlonsok tous droits réservés à l’auteur

Nous vous donnons rendez-vous ici dans quelques jours pour les deux derniers billets sur les conférences des Utopiales 2024.

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.