Utopiales 2024 – Les conférences du dimanche

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Après nos premières impressions des Utopiales 2024, le billet sur les dédicaces, le focus sur les remises de prix, les conférences inaugurales et celles du jeudi, du vendredi et du samedi, voici celles du dimanche.

Pour ce dernier jour, nous démarrons un peu plus tard avec la conférence de 10h30 intitulée Adaptations, équilibres et trahisons avec Nicolas Allard (universitaire français, spécialiste des cultures populaires et de la science-fiction), Jacek Dukaj (auteur polonais de science-fiction et de fantasy), John Scalzi (auteur américain de science-fiction) et Simon Riaux (journaliste et critique de cinéma) à la modération. La question centrale posée est simple : adapter, est-ce trahir ? Une adaptation peut-elle être fidèle sans être mécanique ? L’idée centrale est qu’une adaptation est rarement fidèle à l’œuvre originale. Au lieu d’une simple traduction, une adaptation est influencée par des facteurs commerciaux, des choix artistiques, et même des impératifs technologiques. Les intervenants ont évoqué l’influence des producteurs et acteurs sur le processus et l’altération de la direction du projet qui en découle parfois, les contraintes inhérentes au médias audiovisuels, comme l’impossibilité de retranscrire des réflexions internes ou des concepts complexes sur écran et mis en lumière des exemples d’adaptations réussies ou controversées, comme Blade Runner, The Shining ou Starship Troopers. Les adaptations ne sont pas uniquement un défi artistique. Elles s’inscrivent aussi dans des logiques économiques et culturelles. Leurs motivations sont souvent liées à la capitalisation sur une base de fans existante ou à l’exploitation de mythes universels. Par ailleurs, les intervenants remarquent que les auteurs eux-mêmes sont influencés par les médias qu’ils consomment, tels que la télévision ou les jeux vidéo, ce qui structure de manière implicite leurs récits pour les rendre plus facilement adaptables. Chaque médium apporte ses forces et ses limites. La littérature, par exemple, permet des explorations philosophiques et introspectives difficiles à retranscrire sur un écran, tandis que le cinéma et les séries offrent une immersion visuelle et sonore unique. Les jeux vidéo, quant à eux, introduisent une dimension interactive, où le joueur devient co-créateur de l’histoire. Les auteurs présents ont souligné qu’une adaptation réussie repose souvent sur la confiance entre le créateur original et les adaptateurs. Le respect de l’essence ou de la « vibe » d’une œuvre est plus important que la fidélité littérale. John Scalzi a parlé de son expérience avec Netflix (Love, Death & Robots), où certaines adaptations surpassaient ses histoires originales.  Jacek Dukaj partage des expériences contrastées, entre un court-métrage artisanal profondément respectueux de son travail et une adaptation Netflix qui a pris d’importantes libertés narratives. Les adaptations littéraires sont une quête d’équilibre entre fidélité et trahison : l’adaptation, loin d’être une simple traduction, est une re-création influencée par des choix artistiques, des contraintes pratiques, et les attentes du public. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei ici. La conférence se visionne sur la chaîne Ideas in science.

Adaptations, équilibres et trahisons – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

A 11h45 nous assistons à la conférence Recherches de sens avec Naomi Alderman (romancière britannique), Pierre Bordage (écrivain français), Lavie Tidhar (auteur israélien) et Ugo Bellagamba à la modération. La conférence explore les relations entre science-fiction, spiritualité et quête de sens, en mettant en lumière les interactions entre rationalité scientifique et pensée religieuse ou spirituelle.A noter pendant cette conférence, Lavie Tidhar a beaucoup « disagree » (et avec beaucoup d’humour). Je crois que je n’avais pas entendu ce mot aussi souvent en conférence, toujours dans le respect, la bienveillance et la nuance. A l’heure où chacun tente de maîtriser sa communication à 100%, c’est plutôt rafraichissant. Naomi Alderman a partagé son expérience d’avoir grandi dans une communauté juive orthodoxe. Elle établit un parallèle entre la religion et les représentations de transcendance dans la science-fiction, en expliquant comment des concepts comme l’intelligence artificielle ou la vie prolongée imitent des notions spirituelles. Ayant grandi dans un kibboutz laïque, Lavie Tidhar explore la diversité des religions dans ses récits. Il met en avant la capacité de la science-fiction à poser les « grandes questions » : pourquoi existons-nous ? Quel est le sens de la vie ? Il critique la fiction littéraire traditionnelle pour son incapacité à embrasser ces thèmes à grande échelle. Pierre Bordage a porté l’idée qu’il est possible d’imaginer un futur sans religion, citant des œuvres comme celles des frères Strougatski. Il fait également référence à la façon dont les nouveaux récits religieux émergent dans l’ère moderne, notamment via les communautés en ligne. Les intervenants nous mettent en garde sur la responsabilité des auteurs dans la construction de mondes fictifs qui peuvent devenir des croyances ou des cultes (comme la fondation de la Scientologie à partir de récits de science-fiction). La science-fiction est un outil puissant pour poser des questions existentielles et explorer la spiritualité dans un cadre rationnel. La quête de sens se manifeste autant dans les récits fictifs que dans les pratiques religieuses modernes ou les communautés en ligne. Les intervenants partagent des visions variées, allant de la spiritualité personnelle à une vision plus sceptique, mais convergent sur l’importance de créer un dialogue. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei ici. La conférence se visionne sur la chaîne Ideas in science.

Pierre Bordage et Ugo Bellagamba – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

A 15h direction Pourquoi lire de la science-fiction ? avec Ariel Kyrou (essayiste et co-auteur, avec Jérôme Vincent, de de l’ouvrage Pourquoi lire de la science-fiction ?). Après avoir posé la question, il tente d’y répondre. Il s’intéresse d’abord à l’histoire et aux origines du terme science-fiction. Il mentionne les premières traces de récits d’anticipation, comme L’Histoire véritable de Lucien de Samosate, les écrits de Cyrano de Bergerac, ou encore Frankenstein de Mary Shelley, souvent considéré comme un texte fondateur. Il explique que le terme science-fiction a été inventé par Hugo Gernsback en 1929 dans le magazine Science Wonder Stories et insiste sur l’importance du trait d’union dans l’expression, qui relie science et fiction tout en élargissant le genre à des dimensions philosophiques et mythologiques. Ariel Kyrou explore ensuite les raisons de lire de la science-fiction, qu’il regroupe en trois grands axes. D’abord, il évoque le plaisir et l’émerveillement que procure la SF, une littérature qui stimule l’imagination et offre des expériences immersives uniques. En lisant, chaque lecteur se construit sa propre représentation mentale des mondes décrits, comme les célèbres vers de Dune avant de les découvrir au cinéma. Cet émerveillement peut se nourrir de concepts réalistes ou de mondes totalement fictifs. Il aborde ensuite la capacité de la SF à explorer des mondes alternatifs, en imaginant des alternatives sociales, politiques et écologiques. Par exemple, La Main gauche de la nuit d’Ursula K. Le Guin décrit une société dépourvue de hiérarchie et de binarité de genre, élargissant ainsi les horizons de pensée et nourrissant les réflexions sur d’autres possibles. Enfin, la science-fiction est également un outil d’exploration de la connaissance et du sens. Elle revisite les mythologies modernes, questionne nos valeurs et éclaire les grandes problématiques sociétales. Des œuvres comme 1984 de George Orwell, véritable alerte politique, ou Le Troupeau aveugle de John Brunner, qui anticipe les crises écologiques, montrent à quel point ce genre peut servir d’avertissement ou de critique du monde contemporain. Ariel Kyrou introduit également le concept de « philo-fiction », une fiction à portée philosophique qui relie les lecteurs aux autres, tout en explorant de nouveaux systèmes de pensée et d’organisation sociale. Enfin, il insiste sur l’impact de la science-fiction sur le réel. Elle inspire les technologies et les innovations tout en critiquant leurs dérives. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei ici. La conférence s’écoute en podcast sur le site d’ActuSF.

Ariel Kyrou – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

A 16h15 nous assistons à la dernière conférence de nos Utopiales 2024 : la Rencontre avec Caza modérée par Gilles Francescano. Ensemble, ils explorent les 60 ans de carrière de l’artiste. La discussion a porté sur son parcours, son style distinctif, ses projets récents et ses réflexions sur des sujets comme l’illustration numérique et l’intelligence artificielle. Caza a eu droit à une standing ovation. L’illustrateur a détaillé son évolution stylistique et technique depuis ses débuts en noir et blanc, avec un travail méticuleux sur les ombres et les dégradés, le passage à l’aérographe puis la transition vers l’illustration numérique avec Photoshop. Il est aussi revenu sur son engagement écologique marqué dès les années 70, influencé par des auteurs comme Jean-Pierre Andrevon et sa volonté de transmettre des messages à travers des fictions plutôt que par des discours militants. Caza est inquiet des impacts de l’IA sur les métiers créatifs. Il redoute une vague de chômage même s’il reconnaît que certaines personnes autour de lui, notamment des graphistes et des artistes, sont attirées par l’IA pour son côté innovant et ludique, un outil excitant et expérimental. Il estime que les résultats produits par des IA manquent de substance et d’originalité. Il rappelle un aspect souvent ignoré : la consommation énergétique massive des IA. Retrouvez toutes les photos de M. Lhisbei ici. La conférence s’écoute en podcast sur le site d’ActuSF.

Caza – Utopiales 2024 – Photo par C.Schlonsok.

Photos par C.Schlonsok tous droits réservés à l’auteur

Nous vous donnons rendez-vous ici dans quelques jours pour le dernier billets sur ces Utopiales 2024. Il sera consacré aux expositions.

 

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