Demain, même heure – Emma Straub

Demain, même heure

De Emma Straub

10/18 – 384 pages. Traduction de Mathilde Bach

Alice Stern, 40 ans, vit une existence figée dans une routine qu’elle n’a jamais vraiment choisie. Elle travaille dans l’école privée où elle a été élève, vit seule et enchaîne des relations amoureuses sans passion. Chaque jour, elle rend visite à son père, Leonard, un écrivain de science-fiction devenu célèbre grâce à un unique best-seller sur le voyage dans le temps. Hospitalisé et mourant, il n’est plus que l’ombre de lui-même.
Le soir de son anniversaire, ivre, Alice s’endort dans la cabane de gardien de l’immeuble de son père et se réveille en 1996, le jour de ses 16 ans. Désormais capable de voyager entre ces deux époques, elle voit là une chance inespérée : peut-elle infléchir le destin et sauver son père en l’orientant vers une meilleure hygiène de vie ?
Mais modifier le passé a ses conséquences. En explorant différentes variations de son existence, Alice comprend que certaines choses sont immuables. La véritable question du roman se pose alors : peut-on vraiment changer le cours du destin, ou faut-il apprendre à l’accepter ?

Voyage dans le temps et uchronie personnelle

Le roman revisite un thème classique : revivre son passé avec l’expérience de l’âge adulte. Contrairement aux récits de science-fiction qui exploitent le voyage temporel pour bouleverser l’Histoire, Demain, même heure en fait un outil d’introspection. Ici, pas de paradoxe temporel complexe, mais une réflexion sur les choix de vie et leurs conséquences.
La relation entre Alice et son père est au cœur du récit. Leonard l’a élevée seul et leur complicité est indéfectible. Revivre des instants avec lui avant qu’il ne tombe malade devient une chance inestimable. Mais peut-on vraiment sauver quelqu’un de son destin ? Cette tentative de modification du passé devient une métaphore du deuil : faut-il lutter contre l’inéluctable ou apprendre à laisser partir ?

Crise de la quarantaine et quête d’identité

Le roman explore la crise existentielle d’Alice à l’approche de la quarantaine. Célibataire, sans enfant, installée dans un emploi qu’elle n’a pas vraiment choisi, enchaînant des relations amoureuses tièdes, elle n’a jamais quitté son quartier. En se comparant à ses anciens camarades, devenus parents et semblant avoir mieux réussi, elle ressent un profond décalage. Elle réalise qu’elle s’est laissé porter par la vie sans jamais en prendre les rênes.
Son amie Sam, enceinte et épanouie, incarne une stabilité et une maturité auxquelles Alice aspire sans parvenir à les atteindre. En naviguant entre passé et présent, elle tente de redessiner son avenir, mais comprend progressivement que tout ne peut être contrôlé. Sa véritable quête ne réside peut-être pas dans la volonté de changer le futur, mais dans la capacité à apprécier pleinement le présent. En explorant les chemins que sa vie aurait pu prendre, elle comprend que le bonheur ne se trouve pas nécessairement dans une autre version d’elle-même, mais dans la manière dont elle choisit d’habiter l’instant..

Une narration immersive et nostalgique

Le récit, adoptant le point de vue d’Alice, plonge le lecteur au cœur de ses émotions et de ses questionnements. Le style fluide, parfois mélancolique, ponctué d’humour et de références culturelles, rend la lecture agréable. Le ton nostalgique, enrichi d’allusions aux années 80/90 (Retour vers le futur, Trente ans sinon rien, Peggy Sue s’est mariée), accentue le charme du voyage temporel.

Demain, même heure mêle voyage dans le temps, introspection et feel-good avec une touche de science-fiction. Sous couvert d’uchronie personnelle, il explore avec sensibilité les regrets, la perte et l’importance d’être pleinement présent à sa propre vie. S’il ne révolutionne pas le genre, il offre une lecture douce-amère et touchante, portée par une écriture immersive et un bel hommage aux relations père-fille.

Une citation

Dans la scène finale de L’Aurore des temps, Aurore était debout au milieu de la prairie des moutons, à Central Park. L’aube se levait, un ciel pâle planait sur la ville silencieuse. Leonard passait une demi-page à décrire son visage, et la manière dont les lueurs rosées du soleil se reflétaient dans les immeubles autour. L’année était, à dessein, indéfinie – Aurore, contrairement aux frères, n’avait aucune envie de passer le reste de sa vie à rebondir d’une décennie et d’un siècle à l’autre. Le lecteur ne pouvait qu’espérer qu’Aurore avait enfin retrouvé son chemin. Les fins heureuses ne convainquaient pas tout le monde, certains les trouvaient fausses, faciles, mais l’espoir – l’espoir, c’était honnête. L’espoir, c’était bien.

Pour aller plus loin

Cet article a 6 commentaires

  1. Baroona

    Ça ne sonne pas très orginal mais ça a l’air d’utiliser très correctement toutes les cases du b.a.-ba de l’uchronie personnelle.

    1. Lhisbei

      Voilà, c’est ça. C’est très émouvant en plus.

  2. Jourdan

    Ça a l’air sympa comme lecture. Il est en bibliothèque et disponible. Donc je le lirai ,j’ai lu par ailleurs que ça pouvait être une bonne lecture de détente tout en faisant réfléchir.

    1. Lhisbei

      Oui, ça correspond parfaitement au livre. Pas de prise de tête, pas d’idées révolutionnaires, mais très émouvant et très humain (et très juste dans le traitement des personnages)

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