La Souris – Ivan Philippov

La Souris

De Ivan Philippov

Editions Blueman – 320 pages. Traduction de Philippe Frison

Moscou ravagée

Le roman s’ouvre sur un prologue historique et satirique qui retrace la création de l’Institut de l’immortalité fonctionnelle. À sa tête, Dmitri Mikhaïline, un brillant scientifique soviétique, se voit confier une mission particulière : maintenir une activité cérébrale minimale chez Brejnev après sa mort, dans l’espoir de prolonger artificiellement son règne. Brejnev meurt avant que les recherches n’aboutissent, mais le projet traverse les époques, survivant sous Andropov, Tchernenko, puis Gorbatchev, avant de sombrer dans l’oubli avec la chute de l’URSS. Contre toute attente, l’Institut se maintient grâce à une découverte secondaire : un sérum destiné à prolonger la vie agit efficacement contre l’impuissance. Ce succès accidentel lui assure un financement de survie. Mais l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine redonne à l’Institut un rôle stratégique. Convaincu qu’il vivra jusqu’à 120 ans, le président ordonne un financement massif des recherches sur l’immortalité. L’Institut développe alors des expériences audacieuses, notamment autour du virus de la rage, modifié pour rendre les cellules cérébrales immortelles.
Mais le projet dégénère : conflits d’intérêts, corruption, dérives scientifiques s’accumulent… Jusqu’au jour où, en 2020, un incendie dû à du matériel de mauvaise qualité permet la fuite d’une souris infectée. Une erreur humaine empêche le déclenchement du protocole de confinement. La pandémie qui s’ensuit ravage Moscou : la majorité de la population meurt, puis ressuscite sous forme de zombies. Le Kremlin est littéralement décapité.

Dans une ville en plein chaos, six survivants tentent d’échapper à l’apocalypse : Seva et Kostia, deux jeunes frères ; Lavrenti, biologiste accusé de trahison, et Tonia, agente du Service fédéral de l’exécution des peines, qui l’accompagne malgré elle ; Assia, étudiante en théâtre déguisée en souris — un costume qui la protège de l’attaque des morts-vivants et Rassul, coursier daghestanais.

Une fable dystopique mordante

Le roman, conçu avant l’invasion de l’Ukraine, a été rédigé pendant les premiers mois de la guerre, mais son intrigue se déroule en 2020, dans une Russie d’avant-guerre, où McDonald’s est encore ouvert et Alexeï Navalny toujours en vie. En juillet 2024, les autorités russes interdisent la vente du livre, accusant l’auteur d’y dépeindre de faux actes de terrorisme et de menacer la stabilité sociale. Le roman est aussi condamné pour avoir imaginé la mort grotesque de figures emblématiques du régime : le président, des propagandistes, le patriarche de l’Église orthodoxe. L’auteur et son éditeur sont étiquetés « agents de l’étranger ». Ivan Philippov vit désormais en exil.

La Souris se lit à la fois comme un récit de survie post-apocalyptique — avec ses scènes d’action, ses courses-poursuites et ses attaques de zombies — et comme une métaphore politique incisive de la société russe contemporaine. L’atmosphère oscille entre horreur et absurde grotesque. L’optimisme de la fin du roman surprend : la chute du régime autoritaire ouvre sur l’émergence d’une Russie démocratique.

Derrière une apparence de fiction horrifique, La Souris s’impose comme une allégorie virulente de la Russie actuelle, entre satire, tragédie et utopie démocratique.

Une citation

« La combinaison m’a sauvée. » Telle fut la première pensée d’Assia lorsqu’elle reprit ses esprits. Ce costume débile de souris rose, dont elle avait honte, qui était pour elle un symbole éternel d’échec, d’impossibilité de se faire une place, c’était lui qui l’avait sauvée de ces fous. Assia n’en avait pas la preuve directe, bien sûr, mais elle était vivante et elle n’était pas infectée. Ça, c’était déjà une preuve.
Elle prit une grande inspiration et comprit que si elle n’enlevait pas la tête de la Souris maintenant, tout de suite, elle deviendrait folle. Elle avait besoin au moins d’une bouffée d’air.

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