Les Champs de la Lune – Catherine Dufour

Les Champs de la Lune

De Catherine Dufour

Robert Laffont, collection Ailleurs et demain – 288 pages.

Dans un futur lointain, en 2324, la Lune est devenue le dernier refuge de l’humanité. Sous sa surface inhospitalière, les soulunaires ont bâti des cités troglodytes dans d’anciens tunnels de lave. À l’écart de cette société souterraine, El-Jarline vit seule en surface, sous un dôme agricole. Sa ferme, oasis botanique au sein d’un désert irradié, alimente en ressources végétales et animales la cité voisine de Mut.

Accompagnée de Trym, un chat augmenté à l’humour discret, El-Jarline mène une vie réglée, faite de rapports techniques et de routines agricoles. Elle envoie régulièrement des rapports.   Jugés trop techniques, ces comptes rendus doivent s’étoffer : El Jarline est priée de lire pour enrichir son vocabulaire et rendre ses rapports plus lisibles et compréhensibles pour des profanes. La vie de El Jarline change avec la première visite de Sileqi, une enfant douée avec les plantes et les animaux. El-Jarline, qui voit en elle une apprentie potentielle, la prend sous son aile. La mort brutale de la fillette, victime de la fièvre aspic – une épidémie qui décime les populations lunaires –, la pousse à enquêter sur l’origine de l’épidémie et à remettre en question la société lunaire.

La narration sous forme de rapports envoyés à la cité de Mut change au fil du récit et de l’évolution d’El Jarline – qui découvre ce que c’est de vivre. Ils gagnent en densité, en humanité et en portée philosophique. Pourtant ils ne semblent jamais lus et les alertes de El Jarnine restent lettres mortes : la fissure du dôme s’élargit à chaque tempête solaire menaçant l’écosystème de la ferme et aucune action de prévention n’est mise en place contre la minicola – première espèce vivante à s’adapter spontanément aux conditions lunaires- proliférant à la surface. Comme sur Terre autrefois, l’aveuglement collectif face aux catastrophes prévaut. L’être humaine semble reproduire le même schéma mortifère. La ville de Mut, silencieuse, absurde, indifférente, fonctionne comme contrepoint à la micro-utopie de la ferme. La population se focalise sur des priorités absurdes, des micro-nouvelles ou des thèses complotistes.

Le dilemme est simple : les êtres humains ne sont pas faits pour vivre sur la Lune. Et la Terre n’est plus faite pour eux, désormais. Ce qui laisse peu d’options.

Les Champs de la Lune explore deux formes de perte étroitement liées : une perte intime, celle de Sileqi, qui bouleverse El-Jarline, et une perte collective, celle du vivant, symbolisée par la Terre qui passe du bleu au gris et la fragilité de l’écosystème de la ferme. Le deuil allié à la littérature vient transformer El-Jarline, personnage ambigu dont la nature exacte – humaine, robotique, hybride – demeure indéterminée. D’abord rigoureusement logique, elle développe une conscience affective, découvre l’importance du lien social et apprend à ressentir.

La structure du roman est linéaire, mais sa progression se veut lente, presque méditative. Catherine Dufour intègre des ellipses discrètes, des digressions sous forme de souvenirs, de lectures, ou d’observations botaniques. Le style oscille entre le journal technique, le conte philosophique et la fable écologique. L’écriture, à la fois mélancolique et élégante, déploie une plume poétique, parfois lyrique, souvent métaphorique, ponctuée de traits d’humour discrets. La contemplation y prend nettement le pas sur l’action, et l’absence de tension narrative forte pourra tour à tour séduire ou désarçonner selon la sensibilité du lecteur.

Pour ma part, j’ai été touchée par l’évolution d’El-Jarline, et bousculée par ce que son regard singulier et décentré, à la fois naïf et perspicace, révèle de notre humanité en déliquescence. Les Champs de la Lune s’impose comme un grand roman de science-fiction, à la fois intime et universel, mélancolique et lucide.

Deux extraits

Ma curiosité au sujet d’Eveilang et des parents de Sileqi, de leur façon de penser, de vivre et de ressentir, m’a moi-même surprise. D’habitude, je m’intéresse surtout aux plantes. J’imagine que ce sont tous les livres que j’ai téléchargés qui me poussent à des spéculations. La littérature accorde une place importante aux mécanismes les plus minuscules de la psyché, surtout à ceux des humeurs chagrines. Et, de fait, tout cela n’est pas gai. Mais qui est gai aujourd’hui, à Mut ? La fièvre aspic passe et repasse sans relâche sa grande faux, tranchant les vies de beaucoup et la bonne humeur de tout le monde.

Je songe que le grand mouvement végétal qui mène de la graine à la plante, à son déclin et son retour à l’humus au service d’une nouvelle graine, est moins traversé de déchirements intimes que les destinées humaines.
J’espère que ce rapport est assez « rédigé », ni trop ni trop peu. Je note cependant que mon taux de lecture ne s’améliore pas. Et je n’ai toujours pas de réactions en ce qui concerne les minicolas. Je demande que la branche géologique de la Commanderie de Mut se penche sur mes calculs. De même pour la dalle fissurée de la cote 237 : je n’ai aucune réponse. Elle a pourtant pris encore un centimètre.

Pour aller plus loin

Cet article a 2 commentaires

  1. Baroona

    Ça a l’air d’être le genre de livre qu’on peut aussi facilement adorer que passer à côté. Et v u ce que tu en dis, j’ai vraiment envie que ça soit le premier choix. Va falloir choisir le bon moment pour le lire.

    1. Lhisbei

      Oui. Je crois que je comprends pourquoi Zoé a failli abandonner : plus le récit se déroule, plus c’est contemplatif. Plus El-Jarline devient écrivain, plus on s’éloigne de l’intrigue. ça passe ou ça casse 🙂

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