Souveraine du Coronado – Emmanuel Chastellière

Souveraine du Coronado

D’Emmanuel Chastellière

Critic – 560 pages

Au coeur d’un empire en déclin

Dans la moiteur de Carthagène, capitale du Nouveau-Coronado, une série de meurtres rituels vient troubler les derniers jours du pouvoir colonial. Alors que la Couronne s’apprête à abandonner la colonie, les élites locales tremblent, les tensions remontent, et les anciens dieux semblent prêts à briser le silence.

Au centre de cette spirale : Ferran, policier métis, enfant du pays et agent d’un empire qui ne veut plus de lui. Son enquête se double d’une quête identitaire : entre fidélité à ses origines et loyauté à une puissance étrangère en déliquescence. En parallèle, Ochozias, un juge en mission spéciale est à la tête d’une expédition prête à réveiller des forces anciennes, refoulées mais jamais oubliées.

Le cadre du Nouveau-Coronado n’est pas un simple décor : c’est un espace politique en tension. Emmanuel Chastellière y déploie un monde en fin de règne, où le pouvoir colonial n’a plus la force de sa violence ni la légitimité de son autorité.

Une enquête, une hantise

Si l’enquête policière sert de fil narratif, elle est vite absorbée par une dimension plus métaphysique. Le roman brouille les repères : fées, dieux oubliés, visions, rêves… Ce n’est pas une magie spectaculaire, mais une présence diffuse, archaïque, dérangeante. Et ce que l’expédition menée par Ochozias cherche à révéler dans la jungle n’est pas une vérité universelle, mais une vérité oubliée, refoulée, peut-être indicible. Emmanuel Chastellière joue la carte d’un fantastique à mi-chemin entre réalisme magique et mythologie imaginaire.

Les personnages, eux, naviguent dans une zone grise, où chacun tente de sauver ce qu’il peut. Souvent, il ne reste plus grand chose à sauver : un nom, une dignité, une mémoire.

Loin de proposer des héros archétypaux ou des figures manichéennes, Souveraine du Coronado met en scène une galerie de personnages complexes, ambivalents, souvent hantés par leurs choix, leur passé, ou ce qu’ils représentent dans un système en train de s’effondrer. L’auteur s’appuie aussi sur des figures féminines marquantes. Tous les personnages du roman semblent être des figures de perte et un reflet fragmentaire d’un monde qui se fissure.

Le style d’Emmanuel Chastellière est à l’image de son propos : précis et tendu, sans effet gratuit, il déploie une écriture de l’atmosphère, où chaque mot contribue à installer un malaise diffus. On ressent une tension permanente, l’insécurité des personnages, la peur sourde de ce qui pourrait resurgir, une mélancolie désabusée (peu d’espoir de voir les situations s’améliorer) et une empathie distante pour des personnages que le récit ne cherche pas à sauver.

Souveraine du Coronado est un roman exigeant, intelligent, parfois âpre, souvent rugueux et sombre. Mais pour qui accepte de s’y perdre, c’est une plongée fascinante dans les limbes d’un monde en ruine, hanté par ce qu’il a voulu taire.

Un extrait

Dans un coin sombre, une partie de cartes s’animait, sous le crépitement des jurons. Sous les regards méfiants des joueurs, le cliquetis des pièces volées qui changeaient de main alourdissait l’atmosphère d’une symphonie discordante.
C’était un refuge pour ceux qui avaient perdu plus qu’ils n’avaient gagné, un havre pour les âmes usées par les revers du destin. La Complainte du Rupicola était l’ultime bastion des vaincus, un lieu où même la flamme fragile de l’espoir vacillait. Ochozias aurait dû s’y sentir à l’aise, mais une bouffée de colère, soudaine et amère, le surprit.>

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