L’odyssée des mondes, Everness T1 – Ian McDonald

L’odyssée des mondes
Everness T1

De Ian McDonald

Gallimard Jeunesse – 336 pages

Ian McDonald est un auteur qui m’impressionne. Traduire par « fout la trouille ». Quelle trouille ? La trouille de ne pas être un lecteur à la hauteur. Ne faites pas ces yeux là (et, pitié, ne les levez pas non plus au ciel). J’ai déjà dit que j’étais une froussarde vis-à-vis de certains auteurs ou de certains romans. La lecture de La Maison des derviches et du Bifrost spécial McDonad n’y a rien changé. J’ai toujours la trouille face à des romans comme Brasyl ou Le Fleuve des Dieux (ou comme Roi du Matin, reine du jour). Alors je me rattrape comme je peux, avec des textes plus accessibles. Et ça tombe bien, Ian McDonald se lance dans l’écriture à destination de la jeunesse. Qui dit jeunesse dit accessibilité puisque c’est une caractéristique gravée en lettres d’or dans le cahier des charges, avec d’autres comme : roman initiatique, intrigue à suspens mais sans être alambiquée, construction plus ou moins linéaire mais toujours facile à suivre, beaucoup d’action et de péripéties, un jeune garçon ou une jeune fille pour héros ou héroïne de l’histoire (mais de toute façon les deux seront présents puisqu’il y aura une histoire d’amitié amoureuse). Bref beaucoup de romans jeunesse sont calibrés ou respectent des codes, y compris dans les messages qu’ils font passer. Pour autant, une bonne partie des romans jeunesse que je lis (et en ce moment j’en lis beaucoup) parviennent à dépasser ce cahier des charges. Je n’ai pas l’impression de lire tout le temps le même roman, de voir fonctionner les mêmes ressorts narratifs. Chaque auteur parvient à tirer son épingle du jeu et à apporter sa touche personnelle et une touche d’originalité. A ce petit jeu, Ian McDonald s’en tire bien.

Everett Singh,14 ans, assiste au kidnapping de son père. Ni la police, ni sa mère (les parents sont divorcés) ne le croient. Après tout qui pourrait vouloir enlever l’un des scientifiques les plus brillants en physique quantique ? Scientifique qui était à deux doigts d’une découverte majeure comme le comprend vite Everett, son père ayant pris le soin de lui laisser un fichier mystérieux et des vidéos codées. Qui, à part son propre gouvernement, prendrait aussi le soin de maquiller la photo du kidnapping, photo qu’il a prise avec son smartphone ? Armé de sa tablette (baptisée Dr Quantum), ne pouvant plus avoir confiance en personne, Everett va se charger de résoudre l’énigme et de retrouver son père. Et si cela implique de passer par un trou de ver, qu’à cela ne tienne… Everett atterrit donc dans un Londres parallèle, un Londres sillonné de zeppelins, comme l’Everness, à bord duquel il se fait embarquer par la charmante mais peste Sen, fille adoptive de la capitaine. Et de tomber sur une vraie méchante, Charlotte Villiers, issue d’un monde parallèle fasciste. Des portes ont été ouvertes sur 10 mondes différents alors qu’il en existe des millions. Everett se rend compte que son père travaillait sur l’élaboration d’une carte des mondes, objet sur lequel Charlotte Villiers compte bien mettre la main. Nous avons donc tous les ingrédients d’un roman jeunesse calibré : un jeune héros intelligent et débrouillard, un monde parallèle exotique, des enjeux planétaires, du suspens, des péripéties (attention on aura droit à un combat dans les airs), de l’amitié, des valeurs positives comme la solidarité, le soutien, l’importance de la famille (famille d’adoption ou famille de naissance) etc.

Comment fait donc Ian McDonald pour dépasser ce calibrage ? Son personnage principal, Everett Singh, est métissé  – fils d’une Anglaise et d’un Penjabi  – et l’exotisme de ses origines ne se traduit pas que par les bons petits plats penjabis qui font saliver. Ian McDonald nous fait intégrer la double culture d’Everett notamment par le prisme de la famille, un terme qui recouvre deux notions bien différentes dans chacune des branches ascendantes d’Everett. Et quand Everett fuit dans le monde de Charlotte Villiers, on sent bien la pointe de racisme couver. Ian McDonald fait aussi tout un travail sur le langage et notamment sur l’argot du peuple des airs. Les Airish, des corsaires de l’air, ont un code d’honneur, une culture et un parler bien particulier. Certains personnages sont haut en couleur et semblent issus de la tradition western : l’un des membres de l’équipage de l’Everness ne parle presque que par citations issues notamment de la Bible (et m’a tout l’air d’être un salaud repenti). Les mondes parallèles, bien construits, mélangent des influences improbables. Et leurs descriptions sont époustouflantes et immersives et on y reconnaît tout de suite le style de Ian McDonald (en tout cas celui que j’ai trouvé dans La Maison des derviches). La place de la science n’est pas dans le décor ou dans le prétexte. Ian McDonald distille quelques concepts de physique quantique en les vulgarisant. Et pour couronner le tout, il y a de l’humour, des petites touches référentielles ou des citations culturelles qui rendent la lecture assez sympa pour un adulte. L’auteur sait rendre les personnages sont attachants et le lecteur en vient à pardonner les grosses ficelles employées. Everett a une compréhension intuitive de la physique quantique – parfois meilleure que celle de son père –  qui fait un peu tiquer mais le lecteur a quand même envie d’y croire. Là réside probablement le plus grand talent de Ian McDonald.

Quelques extraits. Les premières images d’un monde parallèle vues par Everett :
« Ils dominaient une ville. Un soleil aveuglant se reflétait sur des dômes, haut et bas, des dômes d’albâtre blanc, des dômes en terre cuite rouge, des dômes ornés de motifs composés de carreaux de céramique multicolores, des dômes argentés, des dômes enrobés d’or pur, des alignements infinis de minuscules dômes dessinant des lignes et des carrés, des dômes de cent mètres de diamètre et de cent mètres de haut coiffés de croissants de lune étincelants, des cascades de dômes, des dômes creux comme des soucoupes ou ronds comme des oignons. Et entre tous ces dômes se dressaient des tours : des minarets fins comme des crayons et des gratte-ciel de un kilomètre de haut, véritables sculptures. Ils semblaient tricotés au crochet avec du titane et du verre, trop fins et fragiles pour supporter leur propre poids, mais ils formaient des bouquets comme des arbres dans une forêt. La caméra se plaça. Sans doute une sorte de drone, pensa Everett. Il contemplait maintenant, d’en haut, d’en haut, de larges avenues et boulevards arborés. Soudain, la caméra plongea entre des rangées de grands immeubles dont chaque étage surplombait celui d’en dessous. De profondes arcades bordaient les rues, offrant un abri pour se protéger d’un soleil plus éclatant que tous ceux qui avaient qui avaient jamais brillé sur Stoke Newington. La caméra ne saisissait que des images furtives des habitants de cette étrange ville qui marchaient à l’ombre dans la fraîcheur des arcades. »

Un passage bien senti :
« J’ai fait le tour de cette petite planète ronde.
– Nous, on a des avions pour transporter des marchandises, mais rien à voir avec ça.
– Je les ai vus. Il y en a dans la plupart des mondes. On est une exception, apparemment. Cette histoire de pétrole. Je ne me sentirais pas en sécurité dans ces engins. Comment ils font pour rester en l’air ?
– Question de physique.
– C’est pas naturel.
– Dans le monde des humains, la plupart des choses ne sont pas naturelles. C’est ce qui fait le monde des humains, justement. Je vais te dire ce qui est naturel : une mauvaise denture et la mort provoquée par la moindre petite infection. Ça c’est naturel. »

Cet article a 5 commentaires

  1. BlackWolf

    J’ai vraiment bien aimé ce roman et pourtant je ne suis pas très roman jeunesse. Pourtant j’avais un peu peur, connaissant les écrits adultes de l’auteur, d’être déçu par une histoire trop simpliste, mais finalement non car on retrouve dns ce texte certaines des qualités et des thématiques chères à l’auteur amené de façon efficace et entrainante. Content donc que ce premier tome t’ait plu.

  2. Lhisbei

    @BleckWolf : contente aussi. Je partage quelques uns de tes bémols. Je crois qu’on a eu une lecture assez semblable

  3. Lorhkan

    Moi non plus, les lectures jeunesse, ce n’est pas mon truc (à tort sûrement, oui je sais). Il faut surtout que je me jette sur “La maison des derviches”.
    Sinon, c’est vrai que Ian McDonald peut “faire peur”, c’est assez exigeant. Mais surtout, qu’est ce que c’est bon ! Ample, ambitieux, etc… De la bonne came quoi ! Tu peux y aller, à condition d’avoir un peu de cerveau disponible, faut pas se mettre en mode “été” quoi !^^

  4. Vert

    Moi aussi j’ai eu un peu peur des autres romans de Ian McDonald (pourtant Roi du matin reine du jour m’a posé aucun problème), du coup je vais garder ce titre là en tête ^^

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