De Marianne Stern
Le Chat Noir – 344 pages
Le steampunk doit-il être victorien ? Avec Marianne Stern, la réponse, limpide, est non. Avec elle, le smog quitte Londres pour l’Allemagne du début du XXeme siècle. Bienvenue à Germania, capitale d’un Reich gouverné d’une main de fer par le Kaiser Wilhem. Plutôt que de s’inquiéter de la dégradations des relations avec la France et d’une potentielle guerre à venir, il choisit de laisser libre cours à ses fantasmes technologiques et à ses multiples obsessions et fantaisies. Il délaisse aussi sa fille, Viktoria Luise Von Pressen. Orpheline de mère, Viktoria, en grandissant, défie régulièrement les interdits de son père en sortant se balader dans la ville. Tout cela ne prête pas vraiment à conséquence – Viktoria dispose, contre sa volonté, d’un chien de garde bien trop efficace pour se sentir réellement en danger et l’être effectivement. L’Exécuteur, chargé de la protéger, a la réputation d’être le plus doué et le plus dangereux des assassins du Reich. Néanmoins, quand les tentatives d’assassinat sur sa personne se multiplient et qu’elle frôle véritablement la mort, la donne change. Elle se retrouve plongée dans un complot dont les enjeux dépasse sa simple personne. Et pour couronner le tout, ses aventures vont la conduire à rencontrer Maxwell, capitaine de zeppelin, maître espion du Kaiser et jumeau de l’Exécuteur.
Résumé comme cela, vous vous dites que cette histoire paraît très classique : une romance avec un triangle amoureux, de la technologie à vapeur et des rouages steampunk à tous les coins de page, une jeune peste qui apprend la « vraie vie »… Et bien, pas tout à fait.
Les principaux codes du steampunk sont effectivement respectés : technologie galopante, révolution industrielle, mécanismes ingénieux, sources de progrès fulgurants, s’accompagnent d’une pollution délétère, d’une misère sociale, de naissances de castes de privilégiés, sans scrupules ni morale. Si le corps humain peut-être réparé, l’inventivité en matière d’armes ne connaît pas de limite. L’originalité de ce Smog of Germania tient dans le léger déplacement géographique imaginé par Marianne Stern. Placer sa révolution industrielle dans l’Empire Germanique, sous la coupe d’un empereur féru de technologie et dont la santé mentale vacille promet quelques surprises intéressantes (je n’en dirais pas plus). L’intrigue qu’elle développe, vaste complot à multiples ramifications, si elle reste classique sur le fond, ménage le suspens, met en permanence le lecteur sous tension et surprend agréablement par son ampleur.
Du côté des personnages, là aussi, l’auteur nous révèle quelques surprises. Viktoria reste une princesse « rebelle » tête à claques, naïve et agaçante, mais Marianne Stern parvient à estomper ses défauts au fil du récit. Les aventures de l’enfant gâtée lui dessillent les yeux, lui permettent de mûrir. Sa volonté de lutter déclenche une forme d’empathie admirative. Point aussi très positif, pour moi, les courses poursuites et les bagarres en robes à froufrous, corsets bien serrés et bottines à talons ne sont pas de mise ici. Quand Viktoria affronte les dangers qu’abrite le smog, elle le fait habillée en homme. Enfin un roman dans lequel, l’esthétique steampunk ne nuit pas à la cohérence de l’histoire. Autre point positif, les personnages des jumeaux, l’Exécuteur et le Maître-espion, à la psychologie bien développée, aux interactions complexes et qui polarisent l’attention. Avec ces deux protagonistes, le roman prend un petit air science-fictif : le corps de l’Exécuteur, à force d’être modifié, réparé, amélioré, se rapproche plus d’une machine (l’homme augmenté, une thématique très SF). Quant à son frère, il endosse le rôle ingrat du Dr Frankenstein. Autre personnage secondaire réussi : le Kaiser Wilhem, glaçant à souhait dans son rôle de savant fou.
Venons-en à la romance, autre point bloquant chez la vieille peau dénuée de romantisme que je suis. L’attirance de Viktoria pour les jumeaux ne constitue pas le moteur principal de l’histoire, mais un ressort supplémentaire pour explorer la psychologie des personnages. La romance reste ici très accessoire (et c’est tant mieux). Elle vous décevra peut-être par son absence de guimauve, sachez-le. Dernier point à aborder : l’écriture de Marianne Stern. Très travaillée, elle se révèle paradoxale. Très immersive par moment, notamment pendant les plongées dans le smog lorsque Viktoria sillonne la ville, il lui arrive aussi de tendre vers une froideur qui tient le lecteur à distance.
En définitive, j’ai passé un agréable moment avec Smog of Germania de Marianne Stern, un roman qui, s’il ne révolutionne pas la littérature satempunk, déborde, parfois et avec bonheur, les codes dans lesquels il s’inscrit.
- Lire les avis de Cécile Duquenne, If is dead, Mille et une pages.
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