De Zygmunt Miłoszewski
Fleuve – 552 pages. Traduit du polonais par Kamil Barbarski.
Retour de chronique du Bifrost 97
Les histoires d’amour finissent mal…
2013, Ludwik, 83 ans, et son épouse Grazyna, 78 ans, se préparent pour une soirée spéciale. Cinquante ans auparavant ils faisaient l’amour pour la première fois. Malgré leurs corps en déliquescence, l’usure de leur couple et la routine quotidienne, ils s’aiment toujours et comptent bien, aidés de quelques artifices, rendre hommage à leurs premiers ébats. Le lendemain, ils se réveillent dans un appartement inconnu, leurs corps rajeunis d’une cinquantaine d’années mais avec tous les souvenirs de leur vie. S’agit-il d’une seconde chance, d’un miracle ou d’une vaste blague ? Pour ajouter à leur désorientation, la Pologne qui les accueille se révèle bien différente de celle qu’ils ont connue. Après la Seconde Guerre mondiale et trois ans sous domination soviétique, les élections de 1947 ont plébiscité une alliance sociale-démocrate-paysanne. Le président, Eugeniusz Kwiatkowski, s’est ensuite rapproché de la France. Cette Pologne alternative, une enclave dans le bloc de l’Est, suscite la convoitise de Moscou, et l’Union slave, parti à sa solde dirigé par Edward Gierek, gagne en popularité en attisant les velléités xénophobes de la population.
La Pologne ?
Zygmunt Miloszewski entrelace le destin de ses personnages à l’histoire de la Pologne. La narration alterne les points de vue : Ludwik qui, malgré sa peur de perdre Grazyna, peine à divorcer de son épouse, puis Grazyna, qui tente de renouer avec son premier amour. En parallèle, il dépeint la société de l’époque et son évolution politique. L’influence française se fait sentir dans l’éducation, les mœurs, le langage et même l’architecture de Varsovie. Malgré cette porte ouverte vers l’Ouest (et ses prémices d’union européenne), la classe dirigeante peine à endiguer la montée d’un parti nationaliste piloté par les soviétiques. Ludwik et Grazyna portent un regard décalé sur un monde étrangement familier et pourtant différent. La dissonance est amplifiée par leur expérience de la vie. Grazyna intègre une institution dédiée à l’éducation des jeunes filles pour se rendre compte, un peu tard, qu’on les prépare à devenir de parfaites et dociles épouses pour Français célibataires.
De multiples facettes
Te souviendras-tu de demain ? pourrait être décrit comme une comédie romantique douce-amère (avec un couple d’octogénaires bien décidés à profiter d’une nouvelle vie), une déclaration d’amour de l’auteur à son pays et à la France (en gardant à l’esprit que celui qui aime bien châtie bien), une double uchronie (politique et personnelle), un voyage dans le temps (aux causes inexpliquées), ou comme tout cela à la fois tant le récit emprunte à toutes ces formes. Intelligent et émouvant, à défaut d’être tout à fait réussi, le roman pose de bonnes questions. Sommes-nous condamnés à reproduire les mêmes erreurs ? Pouvons-nous trier et choisir ce que nous gardons ou jetons tout en acceptant l’inédit ? Avons-nous le pouvoir de maîtriser le cours de notre vie et celui de l’histoire. À ces what if, Zygmunt Miloszewski apporte des réponses partielles, laissant le lecteur se déterminer. À vous de jouer.
Elle regarda à travers le pare-brise : une jeune femme partait en promenade avec un landau. Il avait l’air d’un accessoire de tournage de Rosemary’s Baby : noir, majestueux, affublé d’une capote et de roues hautes comme celles d’un vélo. Les roues restaient coincées dans la boue, la femme n’arrivait plus à le pousser, elle avançait au contraire voûtée en le traînant derrière elle. C’était une variation sur le thème du paysan dont le bœuf vient de mourir et qui doit tirer sa charrue lui-même. Chełmoński aurait pu peindre une telle scène.
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Découvert grâce à Lune, ça avait été une bonne surprise. “ou comme tout cela à la fois” : c’est peut-être ça le plus fort dans ce livre, le foisonnement d’idées et d’angles, qui se marient bien, sans que ça fasse trop.
Et bien, je lie ton billet alors 🙂 (délicat et poignant oui)
Oui, il est très agréable à lire (mais la fin est un peu abrupte je trouve)
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