Aucune femme au monde – Catherine Lucille Moore

Aucune femme au monde

De Catherine Lucille Moore

Le Passager Clandestin collection Dyschroniques – 144 pages. Traduction d’Arlette Rosenblum révisée par Dominique Bellec.

Deirdre était une artiste adulée – chanteuse merveilleuse, danseuse hypnotique. Tout lui réussissait jusqu’au ce qu’elle perdre la vie dans l’incendie du théâtre dans lequel elle jouait. Elle devrait être morte mais elle est miraculeusement sauvée grâce au docteur Maltzer. Ce dernier a transplanté son cerveau, intact, dans un corps  de métal tout à fait inédit, un corps magnifique à regarder qui, loin de la priver de ses atouts antérieurs, offre à une artiste de nombreuses possibilités nouvelles. Composé d’anneaux maintenus ensemble par le magnétisme, il permet à Deidre des mouvements fluides, ondoyants, gracieux. La forme de la tête suggère plus un visage qu’il ne l’imite. Même si Deirdre ne dispose plus que de deux sens, la vision et l’ouïe, elle a acquis une parfaite maîtrise de sa nouvelle enveloppe et de son potentiel. L’expérience de Maltzer est une réussite totale.
La nouvelle met en scène trois protagonistes : Deirdre, Harris son manager, quelque peu amoureux et Maltzer le scientifique dont la raison semble vaciller. La narration adopte le point de vue de Harris qui découvre Deirdre après l’année qu’elle a passé en soin avec Maltzer. Il est anxieux : retrouvera-t-il la Deirdre qu’il connait et aime ? Deirdre est-elle toujours elle-même dans ce corps artificiel ? Est-elle encore humaine ? Maltzer lui semble nerveusement épuisé, inquiet de la récente décision de Deirdre de reprendre la scène, de revenir à la vie publique et à sa carrière et angoissé par le potentiel rejet de la nouvelle Deirdre par le reste du monde.

Aucune femme au monde a été publié pour la première fois dans le numéro de décembre 1944 de la revue Astounding Science-Fiction. Des robots humanoïdes et quelques cyborgs existaient déjà dans la littérature ou au cinéma. Catherine Moore, une des première autrices de SF, fait le choix de doter Deirdre d’un corps beaucoup moins humanoïde et d’en gommer l’aspect mécanique. Elle décide aussi d’explorer une dimension psychologique par le truchement d’une renaissance dans un corps artificiel et étranger pour interroger sur ce qui fait l’humanité. En outre, elle met en scène un personnage féminin en pleine possession de ses moyens tant intellectuels que physiques, dont les décisions sont contestées par deux hommes dont l’un revendiquerait presque un titre de propriété sur son corps puisqu’il est son concepteur. Au questionnement sur l’humanité s’imbrique celui sur la condition féminine…
Aux USA, la nouvelle a été régulièrement rééditée, figurant au sommaire d’une quinzaine anthologies des meilleurs textes de SF. Elle est sélectionné en 2020 pour le prix Hugo rétrospectif de la meilleure novelette (c’est-à-dire nouvelle longue) de 1945. En France elle n’a été publié qu’une seule fois dans Histoires de médecins (Grande anthologie de la science-fiction) en 1983. Notons que Catherine Lucille Moore n’a pas utilisé ses initiales pour masquer le fait qu’elle est une femme, mais pour cacher sa carrière d’écrivain à son employeur – « Moore » étant un patronyme courant.

En rééditant Aucune femme au monde, Le Passager Clandestin permet à ce texte précurseur et hautement recommandable d’être à nouveau disponible dans nos contrées.

Une citation

C’était la conviction de la mortalité, en dépit de son corps immortel. Elle n’était pas coupée du reste des êtres de sa race en ce qui concernait l’essence de leur humanité, car, même si elle était recouverte d’un corps d’acier et eux de chair périssable, elle aussi devait périr, et les mêmes craintes et croyances l’unissaient encore aux mortels et aux humains en dépit de son corps d’inhumain chevalier d’Obéron. Certes, même par sa mort elle serait unique – la dislocation en une avalanche d’anneaux cliquetants et sonores, songea-t-il, lui enviant presque la finalité et la beauté de cette mort là -, mais ensuite ils subiraient tous le sort commun de la condition humaine dans ce qu’elle a de plus grandiose ou de plus humble. Ainsi pouvait-elle sentir que son exil dans le métal n’était que temporaire, en dépit de tout.
(En admettant aussi, bien sûr, que l’esprit à l’intérieur du métal ne s’écarte pas de l’humanité dont il a hérité à mesure que les années passeraient. L’habitant d’une maison imprime peut-être sa personnalité sur les murs, mais d’une façon subtile, les murs aussi peuvent modeler l’ego de l’homme.

Cet article a 13 commentaires

  1. Baroona

    Dyschroniques + autrice peu éditée, banco. C’est vraiment une bonne occasion pour découvrir l’autrice, c’est parfait.

  2. shaya

    Intéressant, je ne connaissais pas du tout cette novella mais elle est intrigante !

    1. Lhisbei

      C’est aussi intéressant à lire dans une perspective « féminisme historique » 🙂

  3. Yuyine

    Une découverte que j’ai très envie de faire. Merci de nous mettre en avant ce texte.

  4. Zina

    C’est cool, je l’ai dans ma PAL 🙂

  5. Vert

    Oh très intriguant, va falloir que je me le procure

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