Le Chien du forgeron – Camille Leboulanger

Le Chien du Forgeron

De Camille Leboulanger

Argyll – 256 pages

Sur les terres d’Irlande, il était un gamin…

Sur l’invitation de Camille Leboulanger, installez-vous auprès de l’âtre, bien au chaud, pour l’écouter conter, toute une nuit durant, la légende de Cuchulainn, Le Chien du Forgeron. Né du mariage de Sualtam de Muithemne et Dechtire, soeur du roi Conchobar Mac Nessa, conçu dans des circonstances particulières, Setanta se réclame fils du dieu Lug. Impétueux dès son plus jeune âge, assoiffé de domination, il devient incontrôlable lorsqu’il est pris de riastrad, une forme de fureur guerrière. Cette dernière le conduit à tuer le molosse du forgeron Culann. Le druide Cathbad, en guise de leçon, le fait déshabiller et garder la porte de la forge, tel un chien, pendant plusieurs jours. Cuchulainn se fond dans le rôle au point d’inquiéter le sage. A la cour du roi, pressé de briller, il multiplie les provocations, les bravades et les joutes. Il tente d’impressionner le monde pour conquérir le coeur d’Emer, fille de Forgall Monach, sur laquelle il a jeté son dévolu et qui n’est un combat de plus. Pour lui, tout n’est que batailles à remporter, ennemis à écraser, exploit à accomplir. Il ne connaît que la force, ne recherche que la puissance et la gloire.

Du mythe à la biographie fictionnelle

Cuchulainn est l’un des personnages les plus importants de la mythologie celtique, le protecteur de l’Ulster. Camille Leboulanger en dresse un portrait peu flatteur mettant en lumière l’homme malsain qui se cache derrière le héros conquérant. Il interroge aussi ce qui pousse à faire du Chien ce qu’il est devenu, ce qui fait de lui un homme, nécessairement viril, fort, rapide. Setanta se construit dans la masculinité, une masculinité encombrante qui n’apporte finalement que discorde et conflits. Dans la légende, Setanta fait face à un choix : la gloire de devenir le plus grand des guerriers que la terre d’Ulster ait porté ou une mort auprès de ses proches après une longue vie anonyme. Son choix fait, il assume son lot de conséquences, et le reste du monde avec lui. Avec une écriture travaillée et par l’intermédiaire d’un narrateur qui ne tient pas le Chien en haute estime, Camille Leboulanger noue éloigne de la grandeur de la légende pour mieux nous plonger la noirceur d’une âme tourmentée. A lire !

Citation

Puisque les hommes ne pouvaient se mettre d’accord, c’était à lui, ollam de tout l’Ulaid de montrer le chemin de la justice. Les guerriers, même les plus sages d’entre eux, même son fils le roi, n’étaient que des enfants.
« Que tous les hommes présents m’écoutent et soient témoins de mon jugement ! »
Conchobar et Chulainn interrompirent leur dispute et se tournèrent vers le druide.
« Un chien de la même lignée sera dressé pour remplacer celui qui est mort. Le garçon qui s’est battu comme un chien le remplacera jusqu’à ce que la bête nouvelle en soit capable. »
Cathbad se pencha vers l’enfant.
« Setanta, fils de Sualtam de Muithemne, telle sera ta peine. Jusqu’à ce qu’un autre animal que toi puisse prendre ta place, tu garderas la porte des forges de Chulainn. De ce jour, personne ne s’adressera à toi autrement que comme Cuchulainn, le Chien du Forgeron. »
Dechtire haleta de détresse. Le châtiment était rude et exemplaire. Heureusement pour Sualtam, il n’était pas là pour en être témoin. La peine de voir son hériter réduit à la stature d’une bête aurait pu tuer le vieux seigneur. Personne ne protesta. Le jugement de Cathbad était bon en cela qu’il ne satisfaisait tout à fait personne et n’avantageait ni le coupable ni la victime. Un enfant ne pouvait pas réellement remplacer un molosse mais, en d’autres temps, le Forgeron aurait pu exiger le sang pour le sang. Cathbad, dans le secret de son cœur, espérait que la punition calmerait les ardeurs de l’enfant et mettrait un peu de fer dans son esprit.
Des serviteurs enlevèrent le cadavre du molosse noir. Puis, sur les ordres de Chulainn, on passa son collier au cou de l’enfant que l’on attacha devant la porte. Le Chien ne protesta pas. Il ne dit rien. Sa mère voulut lui donner quelque vêtement mais Conchobar intervint pour l’en empêcher.
« Le jugement de l’ollam a été rendu. On n’habille pas un chien comme on habille un homme. De plus, le garçon s’est battu nu. Il a vaincu nu. Il gardera nu la porte des forges nu, comme le chien qu’il est. »

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