Ring Shout, Cantique rituel – P. Djèlí Clark

Ring Shout
Cantique rituel

De P. Djèlí Clark

L’Atalante 176 pages. Traduction de Mathilde Montier

One way or another

En 1915, une cinquantaine d’années après la fin de la Guerre de Sécession, le succès du film Naissance d’une nation, apologie de la ségrégation raciale, a fait renaître le Klu Klux Klan, société secrète suprémaciste blanche  fondée par des vétérans sudistes et presque disparue à l’époque de la sortie du film. Un engouement dont se seraient bien passés les USA au vu des exactions commises : meurtres, attentats, lynchages de Noirs, Juifs ou immigrés… P. Djèlí Clark part du principe que Naissance d’une nation est empreint de magie et a ensorcelé une partie du pays. Nombre de Blancs ont rejoint les Klans, persuadés que les klanistes, possédés par des démons, étaient les vrais héros du Sud, luttant contre les monstres, les Noirs. Vous voyez le bazar ?
Maryse, jeune femme noire de Géorgie, a perdu sa famille. Elle est l’élue, soutenue dans sa lutte par une trinité d’êtres surnaturels. Maryse n’a pas le choix. On lui a refilé une épée pour poutrer du méchant. Elle poutrera des Ku Kluxes avec ses amis, sa communauté, tout en réglant ses propres dilemmes. L’intrigue est un archétype de la fantasy ? Oui, mais attendez de voir comment P. Djèlí Clark l’utilise.

In hell she’ll be in good company

L’auteur s’affranchit des horizons habituels en piochant dans les mythes et le folklore de la culture gullah-geechee, celle des Afro-Américains du Sud américain, descendants d’esclaves, et en situant son action dans les années 20, en plein âge d’or pour le KKK. Un cadre différent, inhabituel, bien loin d’un simple décor dépaysant ou exotique. Les traditions, comme les ring shout, ces rituels religieux dansés et chantés deviennent autant de cercles d’invocation d’une magie puissante et millénaire contre les forces du mal. Les monstres que Maryse combat, d’inspiration assez lovecraftienne, s’incarnent dans une menace mortelle toujours existante de nos jours. Le roman, dense, monte en tension au fil des chapitres jusqu’au bouquet final. Pour l’édition française, P. Djèlí Clark a pris le soin de rédiger un avant propos qui n’est rien de moins qu’éclairant.
Ring shout est extraordinaire dans son traitement des thématiques qui agitent les US et présente une densité dingue en terme d’idées. La manière dont elles affleurent à la conscience du lecteur par le vecteur d’une histoire populaire force l’admiration. Et le roman est porté par une langue inventive, des néologismes culturels et un imaginaire afro-américain qui revisite les figures imposées connues et archiconnues. La traduction, en prime, n’a pas dû être facile, encore plus dans les nombreux dialogues qui émaillent le roman et le travail de Mathilde Montier est à saluer. Ring Shout est aussi un livre « qui se mérite » un peu, pas toujours facile d’accès puisqu’il jette ses lecteurices dans un maelstrom qui décape dès les premières pages. Un must-read en somme !

Citations

On dit partout que Dieu est bon. Faut croire qu’il a aussi le sens de l’ironie.

Le Shout, ça date du temps de l’esclavage. Même si, à en croire Oncle Will, ça remonterait encore plus loin. Les esclaves ils pratiquaient durant leur jour de repos le dimanche. Ou alors ils se retrouvaient en secret dans les bois, où ils s’y prenaient de la même façon : le meneur, l’homme au bâton et les accompagnateurs chantent, battent la mesure, tapent du pied pendant que les Shouters bougent en rythme. Durant le rituel, il faut bouger comme l’esprit veut qu’on bouge, et pas moyen de s’arrêter tant qu’il nous a pas libérés. Allez pas appeler ça une danse non plus ! À moins de vouloir qu’Oncle Will vous fasse asseoir et vous sermonne bien droit. Figurez-vous que le Shout c’est pas tant la chanson que le mouvement. Oncle Will il dit que, les Shouts dans le genre de çui-là, c’est eux qu’ont le plus de pouvoir : ceux qui parlent de survivre à l’esclavage, de prier pour la liberté et de demander à Dieu de mettre fin à toute cette mauvaiseté.

Pour aller plus loin

Cet article a 6 commentaires

  1. Baroona

    Il vieillit très bien dans mon esprit, mon appréciation est de plus en plus grande je crois. Est-ce que ça veut dire que j’ai de plus en plus envie d’une épée magique pour poutrer des méchants ? Hum…

    1. Lhisbei

      Une épée magique, c’est comme un AssaSynth, faut toujours en avoir un.e sur soi 😉

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