De Arkady Martine
J’ai Lu Nouveaux Millénaires – 128 pages. Traduction de Gilles Goullet
Une rose dans le désert
A la lisière du désert du Mojave, à China Lake, se dresse Rose House, une merveille architecturale conçue par le brillant et mégalomane Basit Deniau. Cette résidence singulière, est gérée par une intelligence artificielle qui centralise et commande des centaines d’autres, intégrées dans chaque matériau de la maison. La personnalité de Deniau a façonné l’IA de Rose House. Et même si elle reflète la personnalité trouble de son créateur, cette dernière est capable de penser par elle-même et prendre ses propres décisions.
Depuis la mort de l’architecte, Rose House demeure hermétiquement close, conformément aux dernières volontés de l’architecte exprimées dans son testament. Toutes ses possessions, ses fichiers et ses croquis, autant de trésors inaccessibles et pourtant convoités, sont confinés dans ses archives dont l’unique gardien est Rose House elle-même. La maison sert aussi de mausolée à son créateur dont le corps a été compressé en un diamant pur.
Le Dr. Selene Gisil, ancienne élève de Deniau et exécutrice testamentaire malgré elle, est la seule autorisée à pénétrer dans Rose House une fois par an, pendant une semaine. Ce privilège, enviée de tous, est un cadeau empoisonné de la part de son ancien mentor qu’elle a renié et qui s’assure ainsi de maintenir son emprise à jamais.
Pourtant, malgré la fermeture apparente, Rose House surprend tout le monde en alertant la police de la découverte d’un cadavre non identifié à l’intérieur de ses murs. Comment une personne étrangère a pu pénétrer dans la maison ? Qui l’a tuée et comment ? Rose House est-elle réellement vide ? Et peut-on vraiment faire confiance à son intelligence artificielle ? Telles sont les questions auxquelles va devoir répondre l’inspectrice Maritza Smith, et ce, de préférence sans mettre sa propre vie en péril.
Demain ou le jour d’après
Arkady Martine place son histoire dans un futur proche, le XXIIème siècle. Les voitures électriques sillonnent les routes et l’intelligence artificielle est très présente. On trouve des motels totalement autonomes ou des flottes de transports autonomes à disposition des voyageurs dans les grandes métropoles. Cependant, dans le coin paumé de China Lake, la réalité est bien différente. Les enquêtes au commissariat se concentrent sur des car-jacking ou des attaques à main armée motivés par la quête désespérée de la ressource vitale qu’est l’eau, en pénurie. Maritza Smith et Oliver Torres, les deux seuls policiers du commissariat ne sont pas armés pour résoudre une telle affaire et encore moins quand cette affaire implique une IA retorse.
« Comme on se retrouve », dit Oliver. Selene Gisil n’avait pas changé depuis leur dernière rencontre : une grande femme au teint un peu cireux et au crâne surmonté d’une tignasse noire, debout dans le hall d’entrée délabré de ce qui était encore, strictement par définition, l’aéroport municipal de China Lake. C’est-à-dire qu’il arrivait que des avions s’y posent. Moins depuis quelque temps, Deniau ne donnant plus de grandes fêtes. Les morts donnent de mauvaises fêtes. Les mourants aussi, puisque ces fiestas avaient cessé quelques années avant que l’existence de Deniau en fasse autant.
Malgré la brièveté du texte, Rose / House offre une réflexion approfondie sur l’influence des intelligences artificielles dans nos vies. Loin d’imposer son propre point de vue, l’autrice invite le lecteur à trouver ses propres questionnements, en écho aux préoccupations contemporaines de la société face à une technologie émergente mais de plus en plus présente dans nos vies. Faut-il imposer une éthique et des limites aux IA ? Et jusqu’à quel point devrions nous les laisser influencer notre quotidien ?
Sur le plan narratif, l’histoire se présente comme une enquête policière doublée d’un mystère de la chambre close, dont le suspense se dévoile assez rapidement. Cependant, l’intérêt de la novella ne réside pas tant dans la résolution que dans la tension subtile que Rose House insuffle dans la vie des personnages. Rose/House se révèle avant tout comme une histoire de maison hantée, transposée en science-fiction, avec une demeure labyrinthique et oppressante, hantée par le fantôme de son créateur et dotée d’une personnalité dangereuse incarnée par une intelligence artificielle inhumaine, dans tous les sens du terme. Impressionnant.
Citation
Une pièce est une sorte de récit. Ce qui y entre et en sort, les contraintes de l’action à l’intérieur. Ce qui est déplacé et ce à quoi on ne touche pas. La composition de la forme d’une personne superposée au cadre de l’environnement bâti. Autrefois, des hommes intelligents – c’étaient surtout des hommes – avaient rêvé que le cadre de vie d’une personne pouvait dicter son comportement. Sa manière d’aimer, sa façon de travailler. Son interdépendance ou sa solitude. Tout construit pour un usage spécifique, tout façonné. Dans l’ensemble, ces hommes se trompaient. Ils ne tenaient pas compte de la superposition du cadre. Une pièce est une sorte de récit quand une intelligence la traverse, l’utilise ou la subit. Sinon, elle reste en suspens. Et une intelligence a ses propres desseins. La rue crée ses propres emplois aux choses : voilà quelque chose que Maritza sait, même si elle ne s’en est pas rendu compte. Selene Gisil le sait aussi, elle connaît même la phrase, citation oubliée qui lui revient à des moments mal choisis.
Rose House ? Rose House le sait très bien.
Pour aller plus loin
- Lire les avis de L’Autre côté des Livres, Les lectures du Maki et Au Pays des cave trolls
Elle est vraiment intrigante cette novella. Ton avis est sûrement le plus enthousiaste que j’ai pu voir, ce qui me rassure un peu sur la possibilité d’apprécier pleinement ce livre. Et me confirme qu’il ne faut pas en attendre une grande intrigue – ce qui est un peu dommage, le pitch s’y prêtait tellement bien !
J’y suis allée sans lire les avis avant et sans attentes particulières. Le plus important dans le bouquin c’est plutôt “Qui est Rose / House” ou “Qu’est Rose / House” plutôt que “Qui a tué X”. Et même si à la fin l’enquête est résolue (l’autrice respecte le contrat passé avec le lecteur), le plus intéressant ça reste Rose / House elle-même et ce qu’elle peut faire ou choisir de faire.
Je rejoins Baroona, ta chronique m’a fait le même effet.
@Zina : je suis assez bonne cliente des histoires d’IA (surtout lorsqu’elles ont une personnalité et qu’elles sont dangereuses) et d’histoires de maison hantée (même si je suis souvent morte de trouille avec ce genre de bouquin)
Je n’ai rien lu sur ce texte que tu me donnes très envie de découvrir. Merci.
Avec plaisir Sandrine ! Je n’ai pas trouvé beaucoup d’avis sur ce texte sur le net 🙁