De Louise Roullier
Critic – 500 pages
Retour de chronique du Bifrost 109
Dans ses premières pages, Grain de sable se présente comme un roman de fantasy classique. Lors d’un tournoi, Cobal Galtès, un mage de renom, s’apprête à faire apparaître un dragon de foudre dans le ciel. Dans les gradins, son épouse et leur fille Lidia assistent, médusées, à sa mort faute d’avoir conjuré jusqu’au bout le sortilège de protection. Une quinzaine d’années plus tard, la famille se trouve désargentée. La mère désespère de ne pouvoir envoyer son fils à l’école des cadets du Prince. Et si elle a hérité du don de son père, sa fille Lidia peine à trouver un emploi de perceptrice, métier peu ouvert aux femmes. La mort de son frère et le procès expéditif qui s’ensuit condamne la famille à un plus grand malheur encore. Ses recherches sur la sorcellerie ont conduit Lidia à recueillir contes et légendes anciennes et oubliées. L’un d’entre eux évoque la possibilité de changer le passé. N’ayant plus rien à perdre, Lidia décide de percer le secret de ce pouvoir pour ramener son père à la vie et effacer le funeste destin qui a détruit sa famille. Si on ajoute à ça une narration à la première personne, par Lidia elle-même, nous voici avec tous les ingrédients d’un roman initiatique doublé d’une quête magique. Sauf que très vite, Grain de sable emprunte un chemin bien moins conventionnel, plongeant son héroïne dans les méandres du voyage dans le temps pour effacer et corriger son histoire…
Lidia ne renonce jamais. Cette ténacité constitue sa plus grande force et le plus encombrant des défauts, source d’erreurs de jugement et d’une forme d’arrogance qui ne lui sera pas pardonnée. Tout choix entraîne des conséquences à assumer. Toute réécriture de l’histoire génère son lot de perturbations et influence le destin d’autres personnes, pour le meilleur comme le pire. Tout occupée à vouloir sauver son père, Lidia occulte une question cruciale. Ce dernier mérite-t-il d’être sauvé ? Le roman traite aussi de thématiques modernes : le racisme entre les peuples des sept royaumes, les luttes des classes dans un contexte de justice corrompue, et le mépris de l’élite des mages envers la sorcellerie issue de la culture populaire.
S’aidant d’artifices typographiques inventifs (passages barrés, lettres manquantes pour marquer les souvenirs qui lui ont été arrachés…), Louise Roullier maîtrise et rend limpides ces multiples allers-retours dans le passé, donnant à son texte une cohérence interne forte, tant sur le système de magie que sur les différentes temporalités. En 2019, d’aucuns ont peut-être croisé la plume élégante de Louise Roullier aux éditions 1115 avec « Infiniment », une nouvelle de science-fiction de belle qualité. Grain de sable, premier roman de fantasy de l’autrice, confirme que l’Imaginaire francophone a une nouvelle voix à suivre.
Un extrait
Je lance un coup d’œil à la fenêtre, à sa noirceur. Modifier le temps est un pouvoir incommensurable, l’apanage des dieux. Mais Fû et moi, avec notre pauvre intelligence et nos pouvoirs démesurés, nous n’avons rien prévu des conséquences de nos actes. Nous avons joué avec le temps et nous l’avons détraqué.
« Ce que je veux dire, c’est que nous sommes pris dans une boucle. Je te vaincs, mon père vit, les rebelles te créent, tu tues mon père, j’acquiers mon pouvoir, je te vaincs, mon père vit, à l’infini… Nous pourrions nous affronter pour l’éternité.
La Fantasy n’est aps pour moi mais ce livre me tente depuis sa sortie, d’autant plus que j’avais adoré sa nouvelle Infiniment… Je vais déjà lire son autre nouvelle Album Culte mais un jour je craquerai !
Bon craquage par anticipation (il y a une mécanique pas loin d’être SF parce que voyage temporel, ça pourrait peut-être te plaire)
Ce livre est vraiment hyper malin dans sa forme. C’est vraiment épatant de parvenir à rendre aussi bien tous ces changements temporels, c’est une belle trouvaille.
Oui, c’est assez bluffant !
Merci pour la lecture et pour cette critique (déjà parue dans Bifrost, non ?). Cela fait plaisir d’avoir des lectrices et lecteurs qui vous soutiennent 🙂
Oui, je l’ai écrite pour Bifrost 109 et rapatriée ici 1 an après parution.
J’ai juste retiré la dernière phrase (qui n’était pas de moi et que je n’aimais pas).
Merci d’avoir pris le temps de laisser un commentaire 🙂
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