Bifrost n°100

Ce Bifrost n°100, à la couverture épique, marque un anniversaire. La revue fête ses 25 ans (un quart de siècle tout de même) et occupe 110 cm de linéaire de bibliothèque. Voilà pour le quantitatif. Ce numéro accueille un dossier Thomay Day (qui est aussi Gilles Dumay), éditeur et auteur incontournable dans le milieu SFFF et partie prenante dans Bifrost depuis ses débuts. L’entretien est à l’image de la couverture, dantesque. Le parcours impressionne (les photos aussi mais pas tout à fait pour les mêmes raisons).
On trouve aussi deux autres interviews intéressantes dans ce numéro : celle de Nicolas Martin dont l’émission La Méthode scientifique sur France Culture est à ne pas rater et celle de Ugo Bellagamba qui évoque son parcours d’auteur lié à celui de Thoas Day.  L’article de Roland Lehoucq (Scientifiction) sur l’antimatière est limpide. Jusqu’ici tout est bon dans ce 100eme numéro. Qu’en est-il des nouvelles ?

La Bête du loch Doine de Thomas Day

Thomas Day ouvre et ferme le bal des nouvelles de ce Bifrost n°100. Direction l’Écosse médiévale où l’on parle un gaélique tout aussi rugueux que le climat – quatre siècles après le règne de Gruoch qui inspira le personnage de Lady Macbeth. Zeite de Massada a rejoint le Grand Temple de Dùn Chailleann dans les Highlands. Rabbin dans son pays, il est en quête personnelle, celle de sa foi, et pense qu’il peut trouver des réponses avec la religion de l’Arbre (autour de l’Yggdrasil). Le Grand Prêtre l’envoie en mission de martelage, une pratique qui permet identifier et marquer des arbres pour la coupe, sur le loch Doine, plus au nord. Deux rencontres vont marquer Zeite : celle de Ryhope, veuve par la faute du Grand Prêtre et femme de pouvoir, mais aussi celle d’une créature qu’on dit éteinte. Qu’on soit clair ici, cette nouvelle est prenante, dense et happe son lecteur. Mais sa fin très ouverte appelle une suite et me laisse sur ma faim. J’en termine la lecture sur une impression désagréable : on dirait une scène d’un tableau plus vaste qu’on effleure à peine ou un préliminaire devançant le principal qui n’advient pas (oui, cette phrase est tendancieuse). Sur le forum du Bélial, Thomas Day indique qu’un fix-up des nouvelles dans cet univers – parues sur différents supports ou en cours d’écriture ou de réécriture – pourrait (notez le conditionnel) voir le jour. Wait and see.

La nature n’a pas le même sens de la justice que nous. Disons-le autrement : la nature est totalement indifférente à nos intrigues.

Circuits de Rich Larson

Rich Larson a publié plus de 150 nouvelles. Il a été traduit dans Brins d’Éternité, Solaris et Galaxies. Premier contact en ce qui me concerne avec « Circuits » et je suis bluffée. Nous avons donc un train piloté par une IA (Mü) dans une terre désertique et post-apocalyptique. Mü s’occupe de ses passagers immobiles, tous morts, sans avoir conscience de leur état. Un élément va venir perturber cette routine et la faire sortir de ses rails. Pour un texte dépouillé de toute humanité, il se révèle émouvant et porteur d’espoir (même si pour l’humanité, c’est mort). On retrouve « Circuits » au sommaire du recueil La Fabrique des lendemains (et je vois bien le rédacteur en chef ajouter un « on dit ça on ne dit rien »).

Des millénaires de silence nous attendent de Catherine Dufour

Claude vient d’avoir trente ans, travaille dans un open-space impersonnel dans lequel l’entité la plus chaleureuse est un aloé vera. Elle se met soudainement à grandir et voit son corps se transformer, se masculiniser. La mutation ne sera pas sans conséquences (en majorité négatives). Caroline a dépassé quatre-vingt-dix ans et ressent les effets de la vieillesse. Elle pressent aussi que sa famille préfèrerait la voir six pieds sous terre pour récupérer son compt en banque bien garni. Les deux se croisent dans la salle d’attente d’une clinique. Claude cherche des réponses, Caroline vient pour un suicide assisté. Une histoire d’amitié, de liberté, de révolte contre les normes d’une société patriarcale, un air de Thelma et Louise, même si le traitement est bien différent (pas de meurtre, pas  de cavale avec la police aux fesses)

Claude tenait les garçons pour des emmerdeurs, mais elle leur avait toujours envié deux choses : leur kit urinaire main libre, et la façon dont les muscles leur venaient, aussi facilement que le gras chez elle. Elle sourit en remuant les épaules, massa ses abdos qui roulèrent sous ses doigts, minauda du jarret comme un culturiste pour admirer ses abducteurs, se frappa à pleine main pour éprouver la tenue de ses fesses. Une chaude bouffée de narcisse parfuma son âme terne et la fit étinceler. Elle se demanda si c’était ce qu’éprouvaient les adolescents, le jour où ils dépassaient enfin toute leur famille sur la photo de Noël – et pourquoi on n’en parlait jamais, de ce cadeau royal que la vie fait aux jeunes hommes. Devenir, en quelques mois, plus grand et plus fort que tout le monde. Plus fort que son père même. Le plus fort du quartier. Faire enfin baisser les yeux à tous, et surtout à toutes, et surtout aux jolies filles. Inspirer le respect, et même la peur. Pouvoir enfin se défouler sans crainte sur, hm… au moins la moitié de l’humanité, sinon les trois-quarts, et impunément – à quelques ennuis avec la police près. Ne plus avoir besoin de se contrôler, de se soucier, d’épier, d’esquiver, et être celui qu’on esquive. Est-ce que ça n’expliquait pas beaucoup de choses, en ce monde ? Le pouvoir la parcourut comme le baiser d’une araignée radioactive – c’était un orgasme, mais elle ne le savait pas.

L’avis de FeydRautha

Décapiter est la seule manière de vaincre de Thomas Day

Dernier texte de ce Bifrost n°100, cette courte nouvelle prend place dans un techno futur à tendance cyberpunk et japonisant (et empreint de symboles). Elle met en scène un duel au sabre entre Umezaki et Sharon, la Renarde. La Renarde s’est choisi un ennemi, un homme pétri de tradition (réac et misogyne de son point de vue) et n’aura de cesse de revenir jusqu’à vaincre (léger conflit de générations ?) Kimiko, fille de Umezaki, est bien décidée à mettre fin à ces duels récurrents. La fin se révèle tranchante, radicale et l’écriture incisive jusque dans sa punchline finale. Très réussi.

En définitive ce Bifrost n°100 est une excellente cuvée. Lire les avis de Tigger Lilly, Lutin, Xapur, Célindanaé et OmbreBones 1 et 2.

Pour aller plus loin

 

Ce Bifrost n°100 compte pour Le #ProjetMaki

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