Morgane Pendragon – Jean-Laurent Del Socorro

Morgane Pendragon

De Jean-Laurent Del Socorro

Albin Michel Imaginaire – 368 pages

Morgane la Reine

En l’an 601 sur l’île de Bretagne, au soir de l’Imbolc, Merlin, Arthur et Morgane se rendent sur la tombe d’Uther Pendragon. La prophétie annonce qu’à l’aube du nouveau siècle serait désigné l’héritier Pendragon à condition de parvenir à ôter l’épée du défunt, enchâssée dans sa pierre tombale. Arthur, fils de Goleudydd et du duc Gorlois de Tintagel, ne parvient pas à faire bouger la lame. Morgane, fille d’Ygerne et Uther Pendragon, cachée au monde par Merlin pour la protéger, déloge l’arme sans difficulté et hérite d’un trône laissé vacant depuis des années dans un contexte où la faërie a presque disparu et où le christianisme commence à s’implanter.

Mécanique uchronique

La mécanique narrative ressemble à celle d’une uchronie avec un point de divergence explicite –  Morgane retire l’épée qui fait d’elle la reine de Logres, à la place d’Arthur – et un contexte social qui implique un ou plusieurs probables points de bascule avant même l’avènement de la rein. Une société dans laquelle les jeunes nobles sont élevés de la même manière, y compris dans le maniement des armes, peuvent devenir chevalier qu’ils soient filles ou garçons, et se marier là aussi indifféremment du genre, au VIIe siècle, nécessite une très légère (énorme) divergence en amont. Morgane peut donc épouser Guenièvre sans aucun problème et le royaume se retrouver avec deux reines. On retrouve aussi des divergences en cascade (tels les destins de Tristant et Yseut par exemple) et des clins d’oeil à la légende que l’on connaît, avec ces mots d’Arthur par exemple :

J’en viens à rêver d’une réalité où c’est moi qui aurais retiré l’épée de la pierre, et où le roi Arthur régnerait sur Logres. Est-il encore trop tard pour écrire cette légende-là ?

Cependant, la réécriture de l’histoire, ou plutôt de la légende, n’est pas prégnante : Morgane gouverne le royaume de Logres, gère les intrigues politiques, tente de concilier les ennemis de toujours et des religions incompatibles (l’une se montrant bien moins tolérante que l’autre), orchestre des mariages et des alliances, épouse Genièvre, crée la Table Ronde tout comme Arthur l’a fait, aussi bien voire mieux (aux lectrices et lecteurs d’en juger) que ce dernier. Morgane Pendragon adopte la forme d’un roman historique – bien que la matière de Bretagne tienne du mythe – teinté de fantasy (le bestiaire de la faërie s’y retrouve au complet). Marion Zimmer Bradley avait raconté la légende arthurienne du point de vue des femmes (Viviane, la Dame du Lac, Ygerne, Guenièvre, Morgane la fée), Jean-Laurent Del Socorro franchit un pas supplémentaire dans cette transposition par un glissement des protagonistes. Et cela fonctionne parfaitement : le roman se lit d’une traite et nous embarque sous la bannière de la Dragonne blanche. Sa narration limpide nous entraîne dans une histoire captivante entre histoire et légende (et les quelques références qui parsèment le récit font mouche). Les chapitres alternent les points de vue d’Arthur et de Morgane, s’attachant à leur état d’esprit, les sentiments et jouant sur les non-dits, les regrets, les jalousies tout autant que l’amour, l’amitié et la fidélité. Pour Morgane le défi est immense. Comment gouverner et incarner Logres quand tout le monde ou presque attendait Arthur sur le trône ? Quant à Arthur, comment accepter de ne pas être à la place de Morgane ? Dans ce contexte, le rôle donné à Merlin, mentor et homme de l’ombre, ambigu au possible, relève du tragique.

Avec Morgane Pendragon, épopée enchanteresse, Jean-Laurent Del Socorro nous montre l’étendue de son talent. Une réussite et un roman auquel on souhaite beaucoup de succès parce qu’il le vaut bien.

Citations

Les histoires d’amour finissent mal en général :

– Tu es l’amour de ma vie.
Je voudrais lui dire qu’il l’est également, mais mes lèvres demeurent inertes. Est-ce ainsi que les amours se terminent, par un silence que l’on n’a pas eu le courage de briser ?

Une infinité de divergence possible dont l’une est déjà connue :

– L’humanité et la faërie ont déjà vécu ensemble ?
– Nous étions là bien avant vous. Si notre histoire est immobile, vous n’avez de cesse de réécrire la vôtre et d’en effacer les souvenirs qui vous encombrent pour qu’elle n’appartienne qu’à vous.
Mes certitudes sont ébranlées après chacune de mes discussions avec Bisclavret. Se peut-il qu’il n’y ait pas qu’une seule version du monde, mais une infinité toujours recomposée au fil du temps qui s’égrène ? J’en viens à rêver d’une réalité où c’est moi qui aurais retiré l’épée de la pierre, et où le roi Arthur régnerait sur Logres. Est-il encore trop tard pour écrire cette légende-là ?

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