de Solvej Balle
Grasset 252 pages et 288 pages. Traduction de Terje Sinding.
Retour de chronique du Bifrost 115
Née en 1962, Solvej Balle a étudié la littérature et la philosophie à l’Université de Copenhague avant de se lancer dans sa carrière d’écrivaine. En France, elle compte un ouvrage traduit, En vertu de la loi, Quatre récits sur l’homme (Gallimard, collection « L’Arpenteur », 1997). La série « Le Volume du temps » est composée de sept volets, dont cinq ont déjà été publiés en version originale, sachant que les trois premiers ont reçu le Nordic Council Literature Prize, en 2022, signe du succès critique et populaire au Danemark du cycle, ce qui a conduit à leur traduction dans plus de vingt langues. Les deux premiers opus, qui nous occupent ici, viennent d’être édités par les éditions Grasset.
Tara Selter et son mari, Thomas, vivent dans un petit village français où ils gèrent ensemble une boutique en ligne spécialisée dans les livres anciens. Lors d’un voyage à Paris pour élargir leur collection, Tara se trouve inexplicablement piégée dans une boucle temporelle, où le 18 novembre se répète sans fin. Thomas, ignorant de cette étrange anomalie, ne peut comprendre la détresse de Tara qui, chaque jour, tente de lui expliquer son calvaire. Épuisée, Tara décide de s’isoler dans la chambre d’amis, où elle commence à consigner ses pensées et ses expériences.
Le premier tome de son journal, allant de la 121e à la 366e journée, détaille son désespoir croissant et son éloignement progressif de Thomas. Confrontée à des circonstances extraordinaires, elle oscille entre résignation et désir de comprendre dans l’espoir d’une issue à cette énigme temporelle. À travers ses notes, Tara explore les notions de perception du temps, les relations de couple et des routines quotidiennes, ainsi que les sentiments de perte et de deuil. Elle semble être un fantôme errant, sans but, dans un monde figé.
Dans le deuxième volume, s’étendant sur plus de trois années, Tara prend une décision radicale : quitter sa maison pour entreprendre un voyage à travers l’Europe.
Chez ses parents, elle improvise un repas de Noël anticipé, comme un adieu symbolique, avant de commencer son périple à la recherche de différentes saisons, explorant les régions du Nord pour l’hiver, l’Angleterre pour le printemps et l’Espagne pour l’été. Malgré ses efforts, le temps refuse de reprendre son cours normal. Elle se tourne alors vers l’étude de la civilisation romaine, en quête de réponses à sa propre stagnation temporelle.
Solvej Balle explore ici la manière dont les individus perçoivent le temps, à travers le vieillissement et son inéluctabilité, en se concentrant sur le ressenti subjectif de Tara confrontée à l’absurdité de sa situation. La narration resserrée sous forme de journal intime, avec son aspect répétitif et contemplatif, ainsi que la sensation d’oppression que la boucle temporelle génère, nous plongent dans une atmosphère étouffante, loin du ton doux-amer du film Un jour sans fin de Harold Ramis. La dernière entrée du journal propose un cliffhanger, probablement destiné à relancer, de manière artificielle, l’attention. Néanmoins, on peut légitimement se demander si les perspectives qu’il ouvre suffisent à justifier l’investissement dans la lecture de ces deux premiers volumes.
Une citation
C’est étrange qu’une anomalie puisse nous ébranler à ce point, ai-je pensé. Après tout, nous savons que notre existence repose sur toutes sortes de coïncidences et de phénomènes bizarres. C’est grâce à cela que nous sommes ici, qu’il y a des êtres humains sur ce que nous appelons notre planète, que nous sommes capables de nous mouvoir à la surface d’un globe tournant sur lui-même dans un univers infini, où flottent des objets immensément grands aux composantes si petites que notre pensée ne peut les concevoir. C’est grâce à cela que ces composantes ne s’éparpillent pas, que nous restons en orbite, que nous sommes en vie, tout simplement. C’est grâce à cela que chacun d’entre nous a pu émerger parmi tant d’autres virtualités. L’impensable est en nous de manière permanente. Nous sommes des êtres improbables, surgis d’une nébulosité de coïncidences. Nos connaissances auraient dû nous préparer à affronter l’invraisemblable, mais ce n’est manifestement pas le cas. Bien au contraire : nous le côtoyons sans être pris de vertige tous les matins. Au lieu d’avancer prudemment et avec un étonnement constant, nous nous comportons comme si tout allait de soi. L’étrangeté nous paraît normale ; le vertige ne nous saisit que lorsque le monde nous apparaît tel qu’il est : incohérent, imprévisible et absurde.
Pour aller plus loin
- Lire l’avis de Dup sur Bookenstock
Dans le film, en plus d’arriver à résoudre le problème, le héros arrivait à s’adapter à la situation, qui lui donnait le temps de devebnir expert en toutes matières qui l’intéressait, avec ce temps perpétuellement renouvelé… Je l’avais plutôt perçu comme une comédie réconfortante!
Ma curiosité pourrait être attirée vers ce livre, pour en découvrir les effets négatifs, merci pour la présentation.
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
Dans le film, le protagoniste se réveillait tous les matins dans son lit et redémarrait du même point. Ici ce n’est pas le cas. Elle se réveille toujours un 18 novembre mais là où elle était la veille au soir. Elle peut donc bouger. Mais c’est tellement lent que je n’ai pas eu le courage de suivre ses « aventures » jusqu’au bout.