De Suzanne Palmer
Le Bélial – 400 pages. Traduction de Pierre-Paul Duranstanti
Treize nouvelles, une voix unique
Le recueil réunit treize nouvelles (dont deux prix Hugo) et une bibliographie signée Alain Sprauel, offrant un bel éventail de tons et de formes : humour, poésie, satire sociale, dystopie, space opera… Première publication française pour Suzanne Palmer, ce livre permet de découvrir l’univers d’une autrice américaine jusqu’ici restée méconnue.
Les textes, sélectionnés par Ellen Herzfeld et Dominique Martel, forment un ensemble d’une grande cohérence thématique. À travers bots, humains, IA ou créatures inconnues, Suzanne Palmer explore ce qui pousse un individu – même minuscule ou obsolète – à résister. Ses personnages, qu’ils soient machines ou organiques, cherchent à agir, comprendre, survivre, depuis les marges du système. Rejetés, ignorés, broyés par des systèmes qui les exploitent ou les effacent, ils n’ont pour eux que la débrouille, l’intuition, ou un sursaut de conscience. Rien d’extérieur ne viendra les sauver. leur seule force, c’est l’action individuelle, même minime, même désespérée. Et parfois, au cœur de cette mécanique implacable, surgit une solidarité inattendue — celle qui unit les laissés-pour-compte face à l’indifférence du système.
Suzanne Palmer donne à ses bots et intelligences artificielles une profondeur éthique et émotionnelle, sans céder à l’anthropomorphisme. Ils pensent (à une vitesse inconcevable), hésitent, choisissent. En miroir, ses personnages humains apparaissent vulnérables, faillibles, parfois violents, cruels ou lâches. Le style est fluide, direct, accessible, y compris dans les textes les plus singuliers ou les plus poétiques.
Passons en revue chaque nouvelle.
La Vie secrète des bots
Bot 9, robot d’entretien obsolète, est réactivé pour une mission secondaire : traquer un nuisible dans les conduits d’un vaisseau spatial. Mais il va vite démontrer des capacités bien supérieures à sa programmation initiale… jusqu’à sauver ce qu’il reste de l’humanité. Un récit drôle mettant en scène un robot dépassé mais irrésistiblement attachant.
Vol de retour
Fari, ouvrière dans une station minière spatiale ultra-libérale, doit survivre à un système patriarcal et violent. Une nouvelle dure, engagée, lucide.
Joe 33 %
Déjà paru dans Bifrost n°117, ce texte met en scène Joe, soldat reconstruit à 33 % avec des implants intelligents. Ceux-ci décident un jour de « prendre les choses en main » pour son propre bien…. cf mon avis ici.
Dix poèmes pour les mossums, un pour l’homme
Seul sur une planète étrangère, un écrivain tente de comprendre les mossums, mystérieux « cailloux » vivants. Mais comment dialoguer avec l’incompréhensible ? Une nouvelle poétique, étrange, presque contemplative.
Scinque numéro trente-neuf
Robot terraformeur abandonné sur une planète lointaine, Scinque 39 tente de tromper sa solitude, il se met à « créer » de la vie. Et découvre une facette bien peu glorieuse de l’humanité. Très réussi.
Ramener Icare
Un vaisseau cargo intercepte une capsule contenant un adolescent cryogénisé.. Que faire de lui ? Une nouvelle douce et lumineuse, sur la solidarité, l’hospitalité et les choix moraux face à l’inattendu.
La Boîte de tristesse
Un enfant et une IA s’apprivoisent en pleine guerre civile technologique. Poignant. Un très beau texte.
Pierres dans l’eau, cottage sur la montagne
Une femme revit sans cesse sa dernière journée. Réflexion douce-amère sur la mémoire et les fins possibles du monde. Chaque version est une variation sur le regret, l’amour, la perte.
Tomber du bord du monde
Un vaisseau est pris dans une anomalie. Deux voix, deux existences séparées tentent de se retrouver. L’un des textes les plus ambitieux du recueil, et l’une des plus marquant..
R.U.R.-8 ?
Trois robots obsolètes débattent de leur utilité dans un monde qui n’a plus besoin d’eux. Hommage à Karel Čapek et ses robots fondateurs
Le Plafond est ciel
Phill, citoyen ultra-précaire, tente d’obtenir un CDI dans une société ultra-libérale… mais un moine extraterrestre va contrecarrer ses plans. Une dystopie sociale cinglante, sur fond de colonisation extra-planétaire. La nouvelle fait grincer des dents et la fin fait jubiler.
Peintre d’arbres
Sur une planète colonisée, une espèce autochtone intelligente est peu à peu éradiquée, dans l’indifférence quasi générale. Une nouvelle poignante. L’un des textes les plus marquants du recueil.
Les Bots de l’arche perdue
Suite directe de La Vie secrète des bots, 68 ans plus tard. Bot 9 reprend du service face à une nouvelle crise. Hilarant, rythmé, tendre. Une conclusion parfaite à ce recueil.
En conclusion, La Vie secrète des robots est un excellent recueil de science-fiction contemporaine. Il touche juste, fait réfléchir, amuse parfois, bouleverse souvent.
Suzanne Palmer est une autrice à découvrir et on espère la lire à nouveau très vite.
Un extrait
Conclusion : Les humains sont très variables, complexes et irrationnels. Il se peut, malgré leurs faibles compétences en matière d’évaluation des risques, qu’il s’agisse d’une adaptation réellement nécessaire à la survie.
Pour aller plus loin
- Lire les avis de Gromovar, Stéphanie Chaptal, Weirdaholic, Yossarian et d’autres sur le forum du Bélial.
Challenge Summer Star Wars – Andor saison 2
Il me reste 3 nouvelles, je pioche régulièrement dedans pour savourer chaque texte dont l’humanité est le maitre mot.
Un très beau recueil, j’espère qu’on aura d’autres textes d’elle en français.