La fille qui sauva Hiroshima – Stéphane Desienne

La fille qui sauva Hiroshima

Stéphane Desienne

Gephyre éditions – 160 pages.

Deux lignes de vie

À Hiroshima, à l’été 1945, Hitomi Sakamura grandit dans un pays exsangue : rationnements, silence des autorités, rumeurs… Son frère Ato, aviateur de l’armée impériale, a disparu. Ses parents lui cachent la vérité, écrasés par la douleur et le devoir. Mais pour Hitomi, il n’est pas mort. Il lui apparaît en rêve, lui parle, jusqu’à lui confier une mission dont elle ignore encore la portée.

Quinze ans plus tard, en 1960, aux États-Unis, le président charge un historien, Grant Mallory, d’enquêter sur un événement effacé des archives militaires : la bombe destinée à Hiroshima n’a jamais frappé sa cible. L’Histoire ne retient qu’un seul bombardement atomique, celui de Nagasaki le 9 août 1945, présenté comme l’acte décisif ayant conduit à la capitulation du Japon. Mais aucun rapport officiel ne mentionne l’échec de la mission précédente. Grant part au Japon, interroge témoins, archives et silences, jusqu’à croiser le chemin d’Hitomi, désormais adulte.

Ces deux trajectoires ne se superposent pas, elles se répondent en miroir avant de se rejoindre. L’une avance inexorablement vers le 6 août 1945, jour où l’Histoire aurait dû basculer. L’autre remonte ce fil pour en comprendre l’origine.

Des personnages face à la guerre

Hitomi incarne l’innocence rattrapée par les horreurs de la guerre. Ses rêves d’une ville en flammes, de corps consumés par un souffle de feu, traduisent une conscience aiguë du désastre à venir. Seule face à ces visions, seule à pouvoir empêcher qu’elles adviennent…

Son frère Ato symbolise la logique sacrificielle du Japon de 1945 : mourir pour l’Empereur est un devoir, une forme d’honneur. Son retour sous forme d’apparition — rêve, souvenir ou fantôme — entretient l’ambiguïté. Est-il une vision née du chagrin de sa soeur ou une force qui défie le réel ?

En miroir, Grant représente le regard extérieur. Historien, rationnel, il n’a pas traversé la guerre mais en affronte les cicatrices : archives verrouillées, vérités classifiées, mémoire mutilée. Son enquête l’oblige à confronter la logique des faits à l’irruption de l’inexplicable. Peu à peu, son scepticisme se fissure — non par fascination pour le surnaturel, mais par nécessité d’admettre ce qui échappe aux rapports officiels.

Entre histoire et poésie

Dans La Fille qui sauva Hiroshima, deux époques, deux continents, deux sensibilités se croisent. La narration alterne entre Hitomi et Grant, comme deux pièces d’un origami que le lecteur replie pour en révéler la forme. L’auteur ne propose pas de réécrire l’Histoire, mais d’en explorer une faille : que se passerait-il si un geste invisible, un acte intime, pouvait empêcher un désastre sans pour autant effacer la guerre ?

L’écriture Stéphane Desienne, précise, maîtrisée, sans emphase, refuse le pathos. Certains passages, presque poétiques, offrent des instants de répit sans occulter la violence du contexte.

Au fond, le roman ne raconte pas seulement ce qui aurait pu ne pas advenir. Il raconte ce que les survivants acceptent de porter, ce qu’ils choisissent de taire, et comment l’Histoire se construit autant sur les faits que sur les silences.

Un extrait

Mon premier contact avec la ville de Hiroshima fut une odeur de brûlé. Des paysans avaient mis le feu dans un champ, pratique séculaire un peu partout dans le monde. Une drôle d’imprégnation flottait dans l’air. J’eus l’impression qu’ils incinéraient également autre chose que des plantes. La même fragrance alourdissait l’atmosphère au-dessus du bocage normand où j’avais été débarqué avec ma compagnie, en juin 1944. Dans une autre vie, me sembla-t-il.

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