Demain et le jour d’après – Tom Sweterlitsch

Demain et le jour d’après

De Tom Sweterlitsch

Albin Michel Imaginaire – 416 pages. Traduction de Michel Pagel

Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir¹

La vie de John Dominic Blaxton s’est arrêtée avec la mort de sa femme et de leur enfant à naître lors de l’attentat qui a réduit Pittsburgh en cendres. Dix ans plus tard, il parcourt toujours  l’Archive, copie numérique de la ville d’après les données à disposition, parcellaires et corruptibles pour y revivre un passé à jamais figé et révolu. Blaxton se paie une vie de mort-vivant peuplée de nombreux fantômes puisqu’il enquête aussi au sein de l’Archive pour le compte des assurances. Pour indemniser les familles qui ont perdu un proche, il faut être en capacité de prouver que le disparu est bien décédé à cause de l’attentat (oui, les assurances aiment vous assurer jusqu’à ce qu’elle doivent ouvrir leur portefeuille..) . Pour faciliter son immersion – il ne dispose que d’un neurospam bas de gamme imbriqué avec son cerveau – il abuse de diverses drogues. Incapable de faire son deuil, de se pardonner d’avoir survécu, Blaxton se laisse dériver jusqu’à se trouver une obsession en travaillant sur la disparition de Hannah Massey. C’est aussi le début d’emmerdes plus grosses que lui, le tout dans une réalité parfois augmentée, parfois altérée, mais toujours source de souffrance. La souffrance, voilà un point commun avec Terminus, deuxième roman de l’auteur (mais premier publié en France par les éditions Albin Michel).

Seul contre les monstres

Dans Demain et le jour d’après on retrouve la violence propre à nombres de thrillers avec des cadavres mutilés, des scène de torture et des violences faites aux femmes, parfois jusqu’à l’insoutenable doublée d’une violence psychologique et psychique amplifiée par un contexte cyberpunk, une omniprésence des réseaux avec ses hypersollicitations et un monde virtuel qui efface peu à peu les repères de la réalité. Entre un protagoniste dépressif, suicidaire, se laissant mourir à petit feu, vivant dans l’illusion d’un passé qui ne pourra de nouveau advenir et toute une galerie de personnages infréquentables difficile de garder foi et confiance envers un autre être humain fut-il thérapeute (celui présent dans le roman est gratiné). Tel David s’attaquant à Goliath, Blaxton s’enfonce, au fil du roman, dans une enquête où le sordide le dispute à l’immonde. Sur ce plan c’est réussi (vomitif parfois, mais toujours maîtrisé). Un bémol (non rédhibitoire), le personnage de Blaxton m’a paru parfois trop passif pour avancer dans sa mission. Ses progrès devaient parfois bien plus aux circonstances qu’à sa perspicacité. Il n’a pas non plus le charisme d’une Shannon Moss sans être assez proche d’un M. Toulemonde propulsé dans des enjeux qui le dépasse. Mis à part ce point et si l’on prend en considération qu’il s’agit d”un premier roman, celui-ci impressionne. Bravo M. Sweterlitsch ! (et salutations au traducteur, Michel Pagel, pour avoir rendu élégants certains passages des plus crus).

Une citation

Dans la lumière des augs du pare-brise, les yeux de Timothy me pénètrent comme si je n’étais plus un homme ayant besoin d’aide, voire d’une grâce personnelle, mais un être d’ores et déjà perdu. Je ne supporte pas le poids de son regard. Je le fuis en me perdant dans la neige qui continue de tomber. Voilà ce qu’on doit ressentir quand on est emporté par la marée : on patauge en eaux profondes et on se sent soudain tiré par les pieds, arraché au sol. L’affaire dans laquelle je suis impliqué dépasse la thérapie, la paperasse et les permis de travail. Timothy conduit encore plus vite quand nous nous taisons. Des feux apparaissent, de simples points lumineux qui grossissent vite pour devenir les phares élaborés d’un semi-remorque. Comme il serait facile à Timothy de donner un coup de poignet et de nous jeter dans ces lumières ! Je me demande s’il se dit que, parfois, mourir semble plus facile que vivre. Je ferme les yeux, prêt.

¹Il fallait que quelqu’un la fasse (si, si). Et ce n’est pas pire que cet extrait (je suis encore en PLS) :

Le soir venu, nous écoutons de la vieille musique française – du folk et du jazz acoustique, Carla Bruni et Boris Vian.

Cet article a 6 commentaires

  1. Yuyine

    Il est vrai que le héros n’est pas aussi remarquable que Shannon Moss. Mais c’est effectivement un bon roman, un brin déprimant mais très bon.

    1. Lhisbei

      Oui. C’est très sombre. Mais ça se lit vraiment tout seul.

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