Auto-uchronia ou Fugue en zut mineur
De Francis Berthelot
Dystopia Workshop – 240 pages
Né en 1946, Francis Berthelot est un artiste pluriel dont la carrière s’étend aux domaines scientifique, littéraire et musical. Chercheur au CNRS, il s’est distingué dans le domaine de la biologie moléculaire. En parallèle, il a marqué les genres de la science-fiction et de la fantasy en tant qu’écrivain et essayiste. Passionné de musique, il est également compositeur de ballets électroacoustiques.
Publié dans la collection « Non-Fiction » des éditions Dystopia Workshop, Auto-Uchronia mêle autobiographie fantasmée (voire même peut-être autofiction) et uchronie personnelle, éclatant ainsi les étiquettes et les repères pour le plus grand plaisir des lecteurs et lectrices. Le texte se divise en deux parties distinctes. La première partie explore la jeunesse de Francis Berthelot, fils d’un physicien renommé, poussé vers un parcours universitaire prédéterminé, dans l’ombre d’un grand frère qui satisfait toutes les attentes de ses parents. Le récit met en lumière les tensions entre une éducation très traditionnelle et le difficile chemin de la découverte de sa sexualité différente. Le point de bascule du récit survient en 1965, lorsque Francis rencontre un inconnu dans une librairie et que ce dernier lui offre une opportunité de changer radicalement sa vie. À partir de ce moment, le récit imagine ce qu’il aurait pu advenir si Francis avait accepté cette proposition. Le texte explore un destin radicalement différent où l’auteur se questionne sur les différentes facettes de lui-même en fonction de ce choix décisif. Auto-Uchronia aborde aussi le thème de l’homosexualité dans une société française conservatrice des années 50 et 60. Francis découvre ses premiers émois sexuels et doit naviguer entre les normes sociales rigides et ses désirs personnels. La découverte de la littérature devient pour lui un moyen d’échapper aux contraintes de sa réalité et d’explorer d’autres mondes.
Auto-Uchronia ou Fugue en zut mineur est une lecture fascinante pour celles et ceux qui apprécient les récits brouillant les frontières entre réalité et fiction.
Un extrait
Mais revenons à la littérature. Là aussi, la boulimie fait rage. Serge ayant apprécié David Copperfield me le recommande. J’approuve et lui rends la politesse avec Les Grandes Espérances. Après avoir vu Macbeth au tnp, il me raconte les sorcières, les apparitions, la tache de sang du remords. Je le renvoie aussitôt à Hamlet, le prince ténébreux qui, cherchant son double dans le crâne d’un bouffon, erre entre songe et folie jusqu’à la mort.
S’ensuit la lecture intégrale de Shakespeare, ce génie qui eut l’astuce de quitter ce monde avant que ne s’abatte la chape des « trois unités ».
La folie me revient encore à travers deux romans que séparent vingt-deux ans et des milliers de kilomètres : Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë et L’Idiot de Dostoïevski. Est-ce de les avoir lus à la même période ? Leurs personnages, plus désaxés les uns que les autres, m’ébranlent comme si j’étais la vitre où ils se reflètent : même fureur démoniaque chez Heathcliff et Rogojine ; même passion hystérique chez Catherine Earnshaw et Nastassia Philippovna ; quant à moi, perméable et transparent, je ne peux me reconnaître que dans le prince Mychkine, l’idiot, l’épileptique aux yeux limpides.
Alors, du maelström invisible qui m’envahit surgit un cristal, comme si un faisceau de sentiments issus de mon passé convergeait en une certitude : des écrivains morts avant ma naissance m’offrent aujourd’hui un cadeau sans prix ; et moi qui ai décidé de ne pas avoir d’enfants, il me faut transmettre ce cadeau à ceux qui naîtront après ma mort.
Autrement dit… Je dois devenir écrivain.
- De Francis Berthelot sur le RSF Blog : « Le cimetière des toucans »
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