Interview : Jean-Jacques Régnier (1)

Le RSFBlog a de nouveau le plaisir d’accueillir Bertrand Campeis, secrétaire du Prix ActuSF de l’Uchronie pour une nouvelle interview : celle de Jean-Jacques Régnier, nouvelliste et essayiste français de science-fiction.

Voici sa bibliographie en lien avec l’Uchronie :

  • « Menuetto da capo al fine » in Imagine… 70, décembre 1994, réédition in Fiction, tome 2, automne 2005.
  • « Der des Ders », in  Passés Recomposés, Nestiveqnen, septembre 2003.
  • « Force de vente », in  La Clepsydre/Yellow Submarine N°132 Conscience Historique, octobre 2004, repris par Utopod  dans l’épisode 30, avril 2009, toujours en ligne.
  • « L’histoire, un cas particulier de la science-fiction », in Cycnos, (22, 1), La science-fiction dans l’histoire, l’histoire dans la science-fiction. novembre 2006
  • « En être ou pas », in Fiction 11, septembre 2010

Faisons à présent plus ample connaissance avec Jean-Jacques Régnier avec cette interview en 5 questions.

Bertrand Campeis : Bonjour Jean-Jacques, peux-tu nous parler de toi en nous racontant ta vie et ton parcours professionnel et littéraire ?

Ma vie et mon parcours professionnels ne présentent pas beaucoup d’intérêt. Mais je peux peut-être citer la présentation que j’avais proposée de moi dans un site ami il y a une dizaine d’années :

“Jean-Jacques Régnier fait partie de cette génération pour qui l’an 2000 n’existerait jamais ailleurs que dans la science-fiction. Et puis, petit à petit, la date mythique a fini par arriver (et sans le moindre bug, hélas). Alors il l’a regardée, avec un certain désenchantement, passer du côté de l’Histoire, dans un monde où le changement tient lieu de progrès et la modernité d’avenir… Il n’avait jamais vraiment cru que les lendemains chanteraient des aventures flamboyantes, alors il continue à aimer la SF, mais il est maintenant convaincu qu’elle est aussi faite de quotidien, d’individus et d’histoires pas obligatoirement épiques ou trépidantes. Auteur parcimonieux, d’aucuns diront paresseux, il n’a à son actif que quelques textes dont le stock croît bien trop lentement à ses yeux, mais qu’y peut-il, sinon envisager le pire : se mettre, avec les encouragements de ses amis, au travail ?”
Enfant, je lisais abondamment, y compris Verne et Wells ; plus tard, dans ma première chambre d’étudiant, louée chez un particulier, j’ai découvert une étagère entière de FN Anticipation. Je l’ai asséchée ! Le noyau de la collection de Fiction que je possède va de mars 65 à juin 75, ce qui situe la période à laquelle j’ai lu énormément de SF. Et puis il y a un trou d’une vingtaine d’année, où je n’en lis plus qu’épisodiquement : Simmons, Varley, Banks, entre autres, jusqu’à la parution de l’anthologie Genèses, d’Ayerdhal, qui coïncide avec la naissance de Galaxies et Bifrost. Et mon intérêt pour la SF renaît. Il renaît aussi parce que je me suis mis à écrire, en 1990 et que j’ai la chance d’être publié dans la revue québécoise Imagine…, en 1994, puis dans quelques autres supports, jusqu’en 2004 ; depuis, la source semble peu à peu se tarir… émigré à Lyon de 1992 à 2000, j’ai l’occasion en 1999 d’y rencontrer un groupe d’amateurs de SF, que je n’ai plus perdu de vue depuis, ce qui m’a permis d’être partie prenante, dès le début, de l’aventure des Moutons électriques ; j’y participe toujours activement, par exemple comme secrétaire de rédaction de Fiction. Cela m’a permis également de faire connaissance avec le fandom, dont j’ignorais totalement l’existence pendant ma première période SF, et ce qui va m’amener à être co-organisateur de la Convention nationale de science-fiction, à Aubenas, en août 2013.


Bertrand Campeis : Tu as écrit trois nouvelles en rapport avec le temps : “Menuetto da capo al fine” traitant de voyage dans le temps et d’uchronie ; “Ders des ders” une superbe uchronie sur une autre Première Guerre mondiale (mais pas seulement) ; et “Force de vente” traitant du voyage dans le temps mais de manière très humoristique. A chaque fois on y trouve un sujet complètement différent, une sensibilité humaine et une réflexion douce-amère sur l’histoire, pourrais-tu revenir sur la création de chacune de ses nouvelles, de l’idée à l’écriture, le temps que cela t’as pris, ta technique d’écriture, et le regard que tu portes aujourd’hui sur chacune de ses variations temporelles ?

Merci de tes compliments… Des nouvelles en rapport avec le temps, j’en ai d’ailleurs écrit d’autres, mais en matière de SF, s’intéresser à ce sujet n’est pas très original !

Il est toujours difficile de parler de textes que l’on écrit il y a longtemps. “Menuetto…”, j’ai dû le commencer en 1989 ou 90, et le terminer à la fin de 1991 ; “Der des ders” a eu une gestation plus courte, un peu moins d’un an, quand même ; quant à “Force de vente”, cela a été aussi long. En fait, je travaille un peu comme un ébéniste avec de la laque : par fines couches successives avec séchage, puis polissage ! Et des couches, il peut y en avoir des dizaines… Il faut bien que ça s’arrête un jour, mais je continuerais volontiers ainsi, sans fin. D’ailleurs, de ces trois textes, seul “Der des ders” trouve aujourd’hui complètement grâce à mes yeux.

Au départ, il n’y a que rarement une histoire, souvent même pas de plan préétabli, mais une idée, parfois minuscule, et qui peut éventuellement presque disparaître dans le texte définitif. Pour “Menuetto”, c’était : comment aurait réagi Mozart s’il avait pu écouter du Schuman, ou du Bill Evans ? La réponse, “ma” réponse, est : il ne l’aurait quasiment pas “entendu” ! Pour “Der des der”, indépendamment du désir d’écrire une histoire à plusieurs voix, l’idée c’était : on ne peut pas changer l’histoire. C’est une idée parfaitement anti-uchronique, je l’accorde : j’y imagine, dans un contexte technique différent, une guerre de 14 considérablement raccourcie au profit de la France, mais, quelques décennies plus tard, un épisode final se déroulant à Lyon, alors occupée par les Allemands : plus ça change, et plus ça redevient plus ou moins pareil… Et puis, on peut parfois s’amuser (au moins l’auteur !) : un des personnages y tient un long discours selon lequel si l’attentat de Sarajevo avait réussi, en 14, il n’y aurait pas eu la guerre ! On trouve presque toujours, dans les uchronies, cette sorte d’uchronies au second degré… Dans “Menuetto…” je fais dire au personnage principal, voyageur dans le temps, à propos des éventuelles conséquences de perturbations du passé : “elles (…) sont aussi peu porteuses de conséquences visibles que si je tentais, en jetant un caillou dans le Danube, d’en modifier l’embouchure. ” J’ai toujours été un peu agacé par le cliché issu de la question posée par Edward Lorenz : ” le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?”, ne serait-ce que parce que les papillons brésiliens sont innombrables et les effets de leurs battements d’ailes, même chaotiques, ne peuvent que se compenser ; je crois beaucoup plus à la loi des grands nombres… En fait, j’ai beaucoup de mal à imaginer une Histoire radicalement différente de celle que nous connaissons ; en ce sens, je suis plutôt déterministe, plutôt Laplacien, même si je m’intéresse au chaos déterministe. Le seul facteur auquel je puisse accorder un rôle déterminant et imprévisible est le facteur météorologique (où l’on retrouve E. Lorenz), facteur qui, à mon grand étonnement, est peu utilisé dans les uchronies… Mais, paradoxalement, ça ne m’empêche pas d’aimer l’uchronie, comme objet littéraire.

“Force de Vente”, enfin, part de l’idée que si la machine à voyager dans le temps peut amener des bouleversements dans l’histoire des civilisations, elle peut aussi rendre des services quotidiens tout à fait prosaïques pour les individus, et peut donc être un objet de commerce, et donc que les paradoxes temporels peuvent parfaitement se situer au “ras des pâquerettes”. Et j’en ai fait un monologue en langage parlé.

La suite demain…

Challenge Winter Time Travel

 

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