Katherine Arden
Denoel lunes d’encre – 480 pages. Traduction de Jacques Collin
Après la trilogie Une nuit d’hiver, Katherine Arden change de décor et entraîne ses lecteurs dans l’Europe dévastée de la Première Guerre mondiale.
Deux lignes de vie
En 1917, Freddie Iven, soldat canadien, se retrouve coincé sous une casemate effondrée aux côtés de Winter, un soldat allemand.Les deux hommes, d’abord ennemis, doivent s’allier pour survivre dans le no man’s land, et croisent bientôt Faland, un mystérieux violoniste qui promet réconfort et oubli au son de son instrument. Quelques mois plus tard, en 1918, sa sœur Laura, infirmière démobilisée après une grave blessure, apprend sa disparition. Dévastée par la mort de leurs parents dans l’explosion du port d’Halifax, elle décide de repartir en Belgique pour tenter de retrouver son frère. Les deux récits alternent jusqu’à se rejoindre dans un dénouement empreint de douleur et d’espoir.
Des personnages plongés dans l’horreur de la guerre
Le roman repose sur des figures fortes : Laura, héroïne courageuse et obstinée, Freddie, jeune soldat idéaliste confronté à l’inhumanité du conflit, et Winter, l’ennemi » allemand, dont la relation avec Freddie illustre une fraternité inattendue. Figure à la fois séductrice et inquiétante, le violoniste Faland incarne l’attrait de l’oubli tout en offrant un fragile réconfort. Autour de Laura, des personnages secondaires bien construits – en particulier les femmes qui l’épaulent – rappellent le rôle essentiel joué par le personnel médical durant le conflit.
Katherine Arden dépeint avec précision la réalité de la Première Guerre mondiale. Elle s’appuie sur une solide documentation historique : la bataille de Passchendaele, l’explosion d’Halifax, la vie dans les hôpitaux de campagne et le traumatisme des survivants. Elle restitue avec précision la violence des combats et le quotidien des soldats, l’horreur des tranchées, sans tomber dans la surenchère. La guerre y est décrite de manière factuelle, presque clinique et c’est glaçant.
Le fantastique s’immisce peu à peu dans ce cadre réaliste : rumeurs de soldats, visions, fantômes, jusqu’à l’apparition de Faland et le pacte faustien qu’il propose : se libérer de la souffrance au prix de ses souvenirs.
Roman multiple
La narration alterne entre les points de vue de Laura et de Freddie et maintient le suspense grâce à une écriture précise et évocatrice. Le style, sobre et maîtrisé, s’enrichit de passages poétiques et de références bibliques qui donnent au texte un ton particulier.
À la fois roman de guerre, récit fantastique et méditation intime, Requiem pour les fantômes est aussi un récit de deuil, de résilience et de fraternité. Plus qu’une fresque sur la Grande Guerre, il propose une réflexion universelle sur ce que nous acceptons de perdre – ou de préserver – pour continuer à vivre. En mêlant l’horreur historique au surnaturel, Katherine Arden confirme ici tout son talent.
Un extrait
« J’ai assisté à une soirée où il y avait un grand expert de la chose militaire. Il avait énormément bu. Parmi ce qu’il a dit, l’une des choses dont je me souviens, c’est qu’il a expliqué que la raison pour laquelle les Allemands ne pouvaient plus empêcher la guerre, et ne pas envahir la Belgique, en 1914, c’était que tous les horaires de train étaient déjà précisément réglés, et que toute déviation dans les horaires anéantirait toute la grille.
— Alors vous croyez que ce sont les horaires des trains qui nous ont précipités dans la guerre ? demanda Pim d’un ton sceptique.
— Non, répondit Laura. Ou peut-être un peu. Mais il ne s’agit pas juste des horaires des trains. Le monde entier est fait de systèmes, maintenant. Des systèmes qui sont trop gros pour qu’une personne seule les comprenne, les contrôle ou les arrête. Comme les horaires des trains. Ou les alliances. Les philosophies. Et c’est pour cela que nous en sommes là, alors même que personne ne le voulait.
— Mais pourquoi Dieu l’a-t-il permis ? chuchota Pim. J’ai essayé de comprendre, durant tout ce temps à Halifax, après le décès de Nate, et la nouvelle de la disparition de Jimmy. Je suis allée à l’église et je me suis dit que Dieu avait un dessein pour chacun de nous. Mais comment pouvons-nous savoir ?
— Je ne sais pas », répondit Laura. Elle se retint d’articuler à voix haute l’hérésie qu’elle avait en tête : Mais qu’est Dieu, sinon un autre système ?
« Je voudrais haïr quelqu’un, mais je n’arrive pas à haïr les Allemands. N’est-ce pas étrange ? demanda Pim.
— Non, répondit Laura. Pas les hommes qui sont là. Ils sont tout aussi piégés que nous.
Pour aller plus loin
- De Katherine Arden sur le RSF Blog : L’Ours et le Rossignol, La fille dans la tour, L’Hiver de la sorcière
- Lire les avis de Nevertwhere, Fantasy à la carte, Les critiques de Yuyine, Les lectures de Shaya
« Katherine Arden change de décor » : le décor est peut-être différent mais j’ai l’impression que la recette et la qualité finale sont eux dans le même ordre d’idées.
La qualité finale, sans aucun doute, la recette je suis moins sûre.
Je rapprocherai plus ce roman là à du Mary Robinette Kowal (perso avec blessure psy + physique et handicap + adversité). En rédigeant ce billet j’ai commencé par « Requiem pour les fantômes de Mary Robinette Kowal » (c’est dire)
Et pour les thèmes ici c’est plus un roman de guerre dans une veine roman historique que ne l’était sa trilogie qui avait une dimension « contes et légendes » plutôt que « historique ».
En tout cas c’est un bon choix des forumeurs du Planète-SF 🙂
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C’est un beau roman, j’aurais voté pour lui si j’avais réalisé qu’il était éligible (oui j’étais à la ramasse cette année )
Il est quand même arrivé en short list sans ton vote, ouf. Les blogueurs ont bon goût 🙂
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