Rêves de Gloire – Roland C. Wagner

Rêves de Gloire

de Roland C. Wagner

L’Atalante – 704 pages

Il y a des chroniques qu’on met du temps à écrire comme il y a des livres qu’on met du temps à lire. Pas parce qu’ils sont difficiles d’accès ou qu’ils sont pénibles à lire. Non. Car Rêves de Gloire n’est ni l’un ni l’autre. Mais parce que Rêves de Gloire impressionne avant même d’être ouvert. En tout cas il m’a impressionné à tel point que je l’ai longtemps regardé sans oser l’ouvrir. Pourquoi ? Parce que c’est un pavé de 704 pages en grand format ? Un peu mais il n’y a pas de longueurs, de creux, dans ce roman. Parce qu’il suscite beaucoup d’attentes dans « le monde de la SFFF Française » ? Aussi mais ça je peux en faire abstraction. Parce qu’il est polyphonique, raconté par plusieurs personnages, toujours ou presque à la première personne et sans points de repère sur leur identité ? Pas vraiment car chaque voix se distingue assez rapidement des autres et la confusion entre les personnages reste rare même si aucun d’entre eux n’est nommé. D’ailleurs, l’important n’est pas de savoir qui parle mais bien d’écouter ce qu’il/elle a à nous dire. Et puis très vite quelques figures centrales se détachent et donnent des points d’ancrage au lecteur. Le ton est toujours juste rendant la lecture facile, fluide. Mais alors pourquoi être impressionnée au point de retarder la lecture ? Parce que l’uchronie y est multiple ? Un peu. Le roman joue sur plusieurs points de divergence, en plus de la mort du général De Gaulle dans un attentat, points de divergence que je n’ai pas tous identifiés mais qu’importe. Parce que l’auteur refait l’histoire du rock psychédélique psychodélique ? Pas du tout parce que si ma culture musicale est plus que défaillante, se perdre dans les méandres des petits labels et des groupes existants ou inventés de toutes pièces procure un plaisir jubilatoire et l’impression de vivre en backstage en permanence (sans compter les clins d’oeil et références à nos idoles de l’époque). Et puis le petit côté utopique du mode de vie des vautriens n’est pas pour me déplaire. Parce qu’il traite de la guerre d’Algérie ? Beaucoup car après tout qu’est-ce que j’y connais à la guerre d’Algérie ? Pas grand-chose. Ce qu’en disent les manuels scolaires – vraiment pas grand-chose donc. Et des souvenirs d’enfance dans mon petit village de campagne où tout se sait, même et surtout si ce tout est tu. Dans le quartier, il y en avait un. Un de ceux qui ont fait cette sale guerre. Il n’en parlait pas et on se gardait bien de lui poser des questions. Elle avait été moche cette guerre. On le sentait. Il en était revenu entier mais les poumons abîmés allez savoir par quoi. Et puis il y avait les cauchemars évoqués à demi-mots par son épouse, les nuits difficiles et tout ce qu’on ne dit pas à une gamine de douze ans mais qu’elle perçoit confusément…

Rêves de Gloire est donc un livre qui m’a fait peur avant même que je l’ouvre. Mais dès les premières pages la peur s’est envolée et je l’ai lu, plus vite que je ne l’imaginais, sans le dévorer mais en appréciant chaque passage, et avec un plaisir que je n’avais pas anticipé. Ai-je tout compris ? Non. Absolument pas. J’y ai trouvé beaucoup et je sais que je suis passée à côté d’au moins autant. Rêves de Gloire fait partie des livres que je relirai un jour, au même titre que Chroniques du Pays des Mères d’Elisabeth Vonarburg. Ils ne sont pas nombreux, ces livres que je relis. Pour l’instant seuls Le comte de Monte-Christo et Le rouge et le noir (et La Philosophie dans le boudoir, avouons-le) ont suscité le besoin et l’envie de relire. Est-ce qu’il est nécessaire de tout comprendre à ce roman pour l’apprécier ? Non plus et heureusement. Malgré toutes les références, la richesse du livre, ses strates et ses niveaux de lecture Rêves de Gloire reste accessible à tous. Il n’en est que plus impressionnant. Donc allez-y, lisez-le, si ce n’est déjà fait.

Il y a des chroniques qu’on met du temps à écrire. Parce qu’il était très attendu, Rêves de Gloire a été abondamment commenté. Tout a déjà été dit (conneries comprises) et parfois très bien dit. Il y a des chroniques qu’on met longtemps à écrire. Parce qu’on se dit qu’on ne trouvera jamais les bons mots pour rendre justice à l’œuvre (j’ai envie d’y mettre une majuscule, tiens). Et, finalement, un jour, on se met un petit coup de pied au cul pour l’écrire cette foutue chronique (et joindre sa voix au concert de louanges). Et puis, à ce moment là, en plein milieu de la rédaction, un mot s’impose : kaléidoscope. Lire Rêves de Gloire c’est comme regarder dans un kaléidoscope : tout y fragmenté, coloré (et poétique pour qui y est sensible) mais ces fragments agrégés, ordonnés acquièrent une étrange cohérence et font sens.

Un petit extrait qui concerne les vautriens (pour « vauriens vautrés », des idéalistes et pragmatiques)
« C’était comme ça, l’argent n’avait pas d’importance. Il y avait toujours à manger et à boire, de la musique et de la Gloire, le monde était neuf et s’ouvrait devant nous, les soixante nous apparaissaient comme un boulevard, une autoroute où on avait qu’à foncer tout droit à fond de caisse, vers un monde meilleur, vers la paix universelle, vers la Lune elle-même, putain ! »

 (Clic)

Cet article a 12 commentaires

  1. endea

    C’est vrai qu’il impressionne ce livre quand on le voit sur ta dernière photo, qu’on observe sa tranche particulièrement épaisse.
    Malgré tout ta chronique donne envie de s’y heurter à ce kaléidoscope ^^

  2. Cachou

    Le côté “pas tout compris” me fait un peu tiquer. Pourquoi? Références qu’il faut avoir? Construction de l’histoire? Autre?
    Je dois bien avouer que pour l’instant, l’envie n’est pas là. Parce que j’attends toujours ma mauvaise critique, mais pas que. Je n’arrive pas à être attirée par le sujet, et je me rends compte que j’ai surtout acheté ce livre très couteux à cause du buzz, ce qui m’agace au final. [heuu hum] Il devra attendre son moment…

  3. Lhisbei

    @ Endea : il a le dos solide : pas de pliure ni de cassure @ Cachou : j’avais préparé un long commentaire mais FF vient de planter royalement et je n’ai pas le courage de tout réécrire. Mais bon on va tenter. Je n’ai pas tout compris parce que : je ne connais pas grand-chose à la guerre d’Algérie ni au rock psychédélique. L’auteur ne donne pas un cours d’histoire au lecteur (heureusement d’ailleurs) mais raconte l’histoire par petits bouts et par évènements concrets (pas de Marignan 1515 mais le champ de bataille raconté par le trouffion rescapé pour caricaturer un peu) et pas forcément par le même narrateur il faut accepter de ne pas tout comprendre tout de suite. Ex : un trouffion nous parle de caisses de champagne et je me suis demandé « mais que viennent faire ces caisses de champagne dans l’histoire ? » et 50 pages plus loin un officier dans une conversation reparle des caisses de champagne et on comprend ce qu’elles viennent faire là… Le lecteur se fait donc « conter » la grande Histoire par les petites histoires. Cela ne relève pas du procédé artificiel en plus. C’est plus comme si pendant un temps donné (celui de la lecture) le lecteur avait l’occasion d’écouter plein de personnes différentes raconter un moment ou plusieurs moments de leur vie. C’est pour cela aussi que j’ai envie de le relire (mais pas tout de suite, il faut le laisser vieillir un peu comme le vin de garde) ; parce que je sais qu’une deuxième lecture pourra encore m’en apprendre plus Sur la critique négative… j’en ai lu une. Que je n’ai pas liée. Parce que le lecteur n’avait absolument rien compris au bouquin (mais rien, j’en aurais pleuré pour lui parce que lire plus de 700 pages et passer à côté à ce point-là c’est juste très triste, et absolument pas drôle). Alors ici ou là on pourra dire que c’est parce que le milieu de la SF francophone est incestueux, hypocrite et copineur (il l’est), que la personnalité de l’auteur (moi je dis un type capable de lancer une pétition anti-Hadopi est forcément quelqu’un de très fréquentable) pousse les gens à manier des pincettes ou qu’il y a des icônes qu’on ne peut critiquer blablabla… ici je crois juste que les critiques sont bonnes ou très bonnes parce que Rêves de Gloire est, tout « bêtement », un très bon roman (naïve moi ? non je choisis de le croire). Riche, dense, « nourrissant » mais accessible. Déroutant dans sa construction, exigeant mais lisible par tous sans avoir besoin d’avoir fait khâgne et hypokhâgne. Perso ça correspond bien à ce que j’attends de mes lectures (de la Littérature sans élitisme, pédantisme mais sans facilités ni simplisme, de la Littérature quoi)
    Après il faut avoir envie de le lire, faut pas se forcer non plus []. OMG j’ai été plus longue que pour le premier commentaire que FF m’a bouffé

  4. Guillaume44

    Il y a quelques clins d’œil et références qui échapperont probablement aux personnes n’étant pas pied-noir ou descendants de pied-noir, mais rien de bien embêtant pour la compréhension globale !

  5. NicK

    “le milieu de la SF francophone est incestueux, hypocrite et copineur ”
    Oui ma bonne dame. J’ai déjà dit ailleurs que je ne lirai pas d’ouvrages du monsieur qui est le poil à gratter de la SF française et qui m’énerve au plus haut point. Cela n’enlève rien à la qualité de l’oeuvre. “encore ce soir avec “Jack Burton” de Carpenter, que je viens de revoir et qui m’a frustrée tellement j’ai trouvé ça bête alors que je sais que plein de monde adore ce film”

  6. Efelle

    @Cachou : pour la partie historique c’est très accessible, après s’il te manque une ou deux références c’est vite résolu par un coup de wikipédia/google.
    @Lhisbei : j’ai adoré ce côté fragmenté. Sinon ça reste le meilleur roman de RC Wagner que j’ai lu.

  7. Doriane

    Je ne connais rien à la guerre d’Algérie et ma tasse de thé musicale c’est plutôt le jazz latino. Cela ne m’a pas empêchée d’adorer ce livre: lu en deux jours, impossible d’en décrocher.
    @ cachou: ce qui est important dans les chef-d’œuvres ce n’est pas le sujet mais ce que l’auteur en fait.
    @ nick: si lancer une pétition qui a été lue à l’Assemblée nationale c’est être ” le poil à gratter de la SF française “, vive le poil à gratter!

  8. lael

    *deux mois plus tard*
    En fait je te comprends bien Cachou, j’ai aussi un peu ce problème d’avoir trop d’attente a force qu’on me dise du bien de quelque chose (livre comme film etc).
    sinon le côté multiforme et soixante-huitard me rappelle Tous a zanzibar. Je sais pas si on peut rapprocher plus que ça les deux oeuvres mais c’est marrant.

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