En ce moment tout le monde râle. Les auteurs râlent sur les éditeurs, sur les libraires, sur les droits d’auteurs (notamment – et ils ont bien raison – en ce qui concerne les droits sur le “numérique”). Les éditeurs râlent contre les blogueurs, les auteurs, les distributeurs, les libraires indépendants ou pas, sur les sites de vente en ligne, les lecteurs. Les lecteurs râlent sur les éditeurs, les auteurs, les libraires etc. Et tout le monde râle de concert contre le passage de la TVA de 5,5% à 7% sur le livre papier (et moins, mais ça va arriver, sur le passage de cette même TVA de 19,% à 7% sur le livre numérique). Je ne sais pas si c’est la dépression saisonnière, l’approche de Noël ou la crise qui génère cette morosité ambiante mais, plutôt que de râler comme tout le monde (je vois Mr Lhisbei plié de rire derrière son écran après avoir lu cette phrase), plutôt que de râler, donc, je préfère m’interroger sur mes attentes. Quand elles seront clairement définies, j’aurais, au moins, une bonne raison de râler.
Pour cette nouvelle édition de la Grande Question du Lundi, nous allons donc parler édition et plus précisément de ce que, moi, lectrice chiante, j’attends d’un éditeur de SFFF. D’un VRAI éditeur s’entend (enfin, “vrai” selon MON échelle de valeur).
J’attends d’un éditeur publie des livres qu’il aime et qu’il choisit. Qu’il puisse défendre. Le 78ème tome de la franchise Bidule publiée par Louis le Truc pour qu’il puisse payer sa piscine chauffée ne m’intéresse pas. La novelisation du dernier blockbuster à la mode non plus. Que l’éditeur ait besoin de croûter soit ; libre à lui de le publier, libre à moi de ne pas l’acheter. Par contre quand un éditeur présente un nouvel auteur ou le dernier ouvrage d’un auteur confirmé avec d’autres arguments que des arguments commerciaux, je tends l’oreille. Même si cet ouvrage est à classer dans les catégories “ça ne m’intéresse pas a priori “. Je tends l’oreille quand on parle du dernier Baxter même si je ne lis jamais de hard SF par manque de culture scientifique. Et puis j’apprécie aussi la franchise des éditeurs : qu’un éditeur publie la novelisation du dernier blockbuster en assurant que c’est LE roman de l’année et en prenant ses lecteurs pour des poires m’horripile (en plus je n’aime pas les poires). Sa crédibilité en prend un coup et je suis d’autant plus méfiante et d’autant moins réceptive à ses arguments par la suite. Je ne suis pas qu’une carte bleue ambulante. Par contre s’il annonce qu’il publie cette novelisation parce qu’il y a un public pour l’acheter, qu’il convient du fait qu’il s’agit d’une novelisation avec les limites de l’exercice (contraintes de l’univers et des films, etc) et qu’il pense aussi à renflouer ses caisses pour pouvoir publier d’autres auteurs ou livres moins bankables, et bien, dans ce cas, l’éditeur reste crédible à mes yeux. Crédible et professionnel. Et quand il m’annoncera publier LE roman de l’année, je serai au moins curieuse de feuilleter l’ouvrage parce que sur ce coup là, il y a de grandes chances que l’éditeur soit sincère. Il n’y a pas de mauvaises raisons pour publier un livre. Par contre il y a bien des mauvaises façons de le vendre.
Corollaire j’attends d’un éditeur qu’il accompagne les livres qu’il publie. En en faisant la promotion. Il n’est pas obligé d’étaler cette promotion en 4×3 sur tous les panneaux publicitaires de France et de Navarre mais qu’il indique, sur un site, une page FB, twitter, google, un réseau social, un forum spécialisé ou autre quelque chose du style : “voilà tel bouquin de Machin sort ce mois-ci. C’est une histoire de ceci et un peu cela et encore bien d’autres choses…”. Et qu’il n’hésite pas à signaler les points de rencontre avec l’auteur si ce dernier entame une tournée des librairies et festivals. Et si en plus il recense les articles, avis et commentaires sur le bouquin, c’est la cerise sur le gâteau. Si un livre sort dans l’indifférence générale il ne faut pas s’étonner qu’il ne se vende pas. Je fais comment moi, lectrice, pour acheter des livres si je ne sais pas qu’ils existent ? Le libraire-conseil est à 40 bornes de chez moi (comptez une heure et quart de trajet avec les bouchons) et je n’y vais pas tous les jours… (de toute façon le temps de sortir du boulot, de sauter dans la voiture et de faire la route, il baisse le rideau quand j’arrive devant sa porte…). Ma première source d’info c’est le net et ce n’est pas près de changer. Attention cependant, quand je parle du net j’exclus les gros sites marchands en ligne car leurs conseils n’en sont pas : ils ne me proposent souvent que les meilleures ventes ou des bouquins que j’ai déjà mais que, pas de bol, je n’ai pas acheté chez eux…
Mais surtout, ce que j’attends d’un éditeur c’est qu’il fasse de l’editing. Pardonnez-moi le fait d’utiliser un anglicisme mais cet anglicisme recouvre au mieux la notion que je veux exprimer. Wikipedions ensemble. L’editing c’est quoi ? « Editing is the process of selecting and preparing written, visual, audible, and film media used to convey information through the processes of correction, condensation, organization, and other modifications performed with an intention of producing a correct, consistent, accurate, and complete work. The editing process often begins with the author’s idea for the work itself, continuing as a collaboration between the author and the editor as the work is created. As such, editing is a practice that includes creative skills, human relations, and a precise set of methods. » Ce que j’attends de l’éditeur c’est qu’il travaille avec l’auteur sur son manuscrit dans le but de rendre celui-ci le meilleur possible. Qu’il taille le diamant brut qu’est le manuscrit (ou tapuscrit) qu’il a choisi de publier (et si c’est un auteur étranger avec lequel il ne peut pas retravailler le texte, j’attends de l’éditeur qu’il lui trouve un bon traducteur au moins). Et qu’enfin il lui donne un écrin à sa mesure en choisissant l’illustrateur, travaillant la maquette et en accompagnant si besoin l’oeuvre d’une postface ou d’une préface ou de documents enrichissant l’oeuvre. Certains manuscrits auront besoin d’un travail léger, d’autres d’un travail plus approfondi. Je suis persuadée que l’éditeur est indispensable à l’auteur sur ce point précis. Quelques auteurs ont suffisamment de recul sur leur travail pour pouvoir se passer d’un éditeur mais la plupart ont besoin d’un regard extérieur sur leur roman ou leur nouvelle. C’est aussi pour cela que j’ai beaucoup de mal à lire des romans auto-publiés. Qu’un auteur qui a récupéré les droits de son roman décide de le remettre sur le marché (via le numérique ou l’impression à la demande par exemple) ne me pose pas de problème particulier. Je ne ferai pas de différence de traitement avec un livre du circuit traditionnel. Et si le résumé et les quelques premières pages m’accrochent, je le lirai. Mais qu’un auteur jamais publié mette son premier roman sur le marché via le même procédé sans ce travail d’editing au préalable me fait fuir. Cela vaut aussi pour un auteur confirmé dont le dernier manuscrit aurait été refusé partout. Alors, oui, c’est difficile de trouver un éditeur. Mais il y a déjà trop d’éditeurs qui ne font pas bien ce boulot d’editing pour qu’en plus je prenne le risque de lire un roman qui n’est pas suffisamment travaillé. Mon porte-monnaie n’est pas extensible et l’achat de livres résulte d’un choix : le droit à l’erreur est limité. Et en ce qui concerne les éditeurs, avec l’expérience, on finit par très bien distinguer les éditeurs qui bossent des autres qui se contentent de faire tourner les rotatives et d’encaisser les chèques… Là aussi tout est question de choix.
Pour résumer j’attends d’un éditeur qu’il fasse des choix, qu’il les assume, qu’il soit sincère et qu’il bosse avec les auteurs. C’est déjà beaucoup.
Cette question du lundi qui n’en est pas une m’interpelle J’aime entendre dire que l’éditeur devrait accompagner un peu plus son poulain. Il joue trop à l’attaché de presse quand le tiroir caisse lui fait tourner la tête et passe pratiquement sous silence l’auteur confidentiel que j’adorerai découvrir.
Par contre, je pense que ce même éditeur a besoin de gros auteurs qui vont remplir non seulement ses poches mais les caisses de la boîte de façon à pouvoir éditer le petit coup de coeur qu’il vient d’avoir pour un écrivain inconnu.
Enfin c’est comme ça que je le vois. C’est sûrement très idéaliste surtout quand je vois la politique de prix qu’ils mettent en place sur le livre dématérialisé. Mais là, c’est un autre débat
@ Val : elle est aussi là pour interpeller mmm
je suis bien d’accord avec toi : un éditeur a besoin de “locomotives” économiques dans son catalogue mais cela ne l’exempte pas de publier des bons bouquins plus confidentiels et de les accompagner pour qu’ils trouvent leur public… Les maisons d’éditions sont aussi des entreprises qui doivent être rentables et pérennes. Mais cela ne doit pas être la seule dimension de la maison d’édition.
et pour le numérique et la politique de prix c’est l’ojet d’une prochaine question du lundi (mais pour dans 15 jours le temps de mûrir un peu le billet[]
Un élément qui peut aussi être interessant dans ce débat, c’est la “démocratie participative”. Je ne suis pas fan du terme, moi qui travaille dans ce domaine à l’échelle des politiques territoriales. Je lui préfère la “citoyenneté participative”.
[Papy]Faisons attention : il y a contributif et participatif. Contributif, c’est lorsque nous blogueurs faisons de la publicité sur les nouveautés. Certains reçoivent des “échantillons” gratuits. Certains même organisent des partenariats. ça porte bien son nom : ce n’est pas un concours, ni un cadeau, c’est un échange de bons procédés.
Le participatif, quant à lui plus délicat, offre au lecteur le moyen de ne pas uniquement faire la promotion d’un livre mais plutôt à sa production. A ce titre, le lecteur est non seulement un porte parole des consommateur, mais il est aussi une branche consultative dans la prise de décision. C’est à dire qu’il n’a aucun pouvoir en tant que telle dans la maison d’édition, mais il a (si l’éditeur le veut bien) un poids certain sur la manière dont se passent les choses. Attention, je ne parle pas de lobby ni de boycott, je parle de participation. Prenez pour exemple la réédition récente des annales du disque-monde aux éditions Pocket : Notre amie Tortoise et sa compagnie du vademecum ont eu un rôle essentiel dans cette réédition, puisque Pocket voulait au départ trouver un nouvel illustrateur, ordinairement habituer au dessin pour enfant. Les premiers croquis s’annonçaient très mal, les protestations ont monté d’un ton, et Pocket a finalement décidé de prendre les arguments des lecteurs en compte, et grand bien lui en a fait puisque c’est ainsi que nous avons eu droit aux superbes illustrations de Marc Simonetti.
Dans un autre registre, la participation peut s’accomplir par la naissance de collectifs comme cocyclics. On peut d’ailleurs là parler de “participation positive” dans le sens où une partie du boulot d’éditeur est prémachée.
Je vous invite d’ailleurs à découvrir [URL]:url:www.ustream.tv/recorded/13130145[NAME]cette vidéo[/URL] des imaginales de l’année dernière. On y apprend plein de choses, et en tout premier lieu le cynisme de Stéphane Marsan. Légitime ou non, je vous laisse vous faire votre opinion.
je plussois XD Après il faut être honnête, les éditions des littératures de l’imaginaire font de l’excellent travail contrairement à la littérature ‘blanche’, parce qu’ils sont méprisés par les médias traditionnels et ça les oblige à chercher des réseaux parallèles et à s’appuyer sur le fandom : quand entends t’on parler SFF à la télé, dans la presse écrite ou à la radio, à part pour un film ?!! Par ex si j’adore les émissions culturelles comme Ruquier ou ça balance à Paris, je suis sidéré qu’il n’y ai[I] jamais[/I] de critique de livres sff !
“même si je ne lis jamais de hard SF par manque de culture scientifique.”
Couic, tu manques autant de crédibilité que Bragelonne à cause de cette phrase. [mdr]
Heureusement que Mr. Lhisbei relève le niveau (ou pas)(il ne lit pas du Herbert après tout). [heuu hum]
NicK.
+1
Par contre j’aime les poires.
Moi non plus j’aime pas les poires.[Cheese]
Bonsoir,
j’interviens comme éditeur, même si c’est dans un tout autre domaine (le scolaire, et ça change pas mal de choses dans la conception des ouvrages).
Je ne connais pas le travail de cocyclics donc je n’en parlerai pas, en revanche je veux réagir quand la position de S Marsan est traitée de “cynique” : j’ai écouté l’intégralité de la vidéo proposée et je n’ai rien entendu de cynique dans ses propos, bien au contraire, j’y ai entendu un réalisme qui me parait être le préalable à tout travail éditorial. Je suis absolument contre la vision romantique du “si ça se vent bien c’est de la m…” (même si ça arrive, et pas qu’un peu!) et il faut éditer des auteurs inconnus qui ont du génie. Quand un texte est bon, il est bon, auteur connu ou pas. Et quand il est bon, c’est parce que l’idée est bonne ET quelle correspond aux attentes du public.
Par ailleurs, pour prolonger ce que tu dis Lisbei sur le travail éditorial, je le conçois pour ma part selon les deux aspects que tu as évoqué (tu connais bien le travail d’éditeur !) : il s’agit de véritablement faire accoucher un auteur de son idée. On sent un potentiel, une bonne idée, mais jamais, quasiment, un texte n’est publiable en l’état lorsqu’il est livré par un auteur. Mon boulot consiste donc à passer mon temps à dire des choses désagréables à un auteur durant tout le temps qu’il m’envoie ses contenus (misère de l’éditeur…) mais toujours au profit du texte. Et puis comme tu l’as si bien dit, le travail d’un éditeur c’est aussi de “sentir ce qui va se vendre”, les envies latentes, anticiper les demandes de nos publics, voir ce que font les concurrents pour ne pas se copier (dans mon domaine, le risque c’est le bouillon si on est sur le même créneau qu’un concurrent), chercher LA bonne idée (celle qu’on a sous les yeux et qui nous les crevaient avant de la voir). Et je ne parle pas de tout l’administratif (mais ça, ça n’intéresse personne!)
Désolé d’être intervenu si longuement (surtout pour une première fois alors que cela fait longtemps que je te lis silencieusement), mais là j’avais quelque chose à dire!
Ben oui. Faut pas oublier qu’un éditeur qui veut croûter a tout intérêt à sortir des trucs qui se vendront en masse. Et en matière de SFFF, ce qui se vend le mieux reste de l’étron garanti sans réflexion nécessaire à l’intérieur. C’est comme ça et on n’y changera rien. Bragelonne ne fait que confirmer la Loi de Sturgeon, et alors ? Qui faut-il plaindre, l’éditeur ou les coprophages ? Sous le flot de sédiments, on trouve encore et toujours des pépites.
Je ne vais pas faire avancer le schmilblick, mais ton article centre bien ma dernière expérience (qui me reste encore au travers de la gorge) : je suis la poire de Bragelonne, car j’ai été fortement déçue par Farlander, qu’ils annonçaient comme LE roman de l’année (parmi tant d’autres “LE” romans, finalement). Bon, mais ça vient aussi du croissant d’or de Salvek décerné à c’bouquin. N’empêches, en lisant ton texte, je suis désolée, mais le nom d’une maison d’éditions que je mettais dessus, c’était bien Bragelonne, hein.