Déjà une nouvelle édition de la Grande Question du Lundi ? Oui, car l’été se révèle généreux en conneries et, par conséquent, en billets d’humeur bien sentis. Cet été on cause de la SF dans la presse. Bonne nouvelle me direz-vous ! Ben non. Parce qu’il s’en écrit des conneries dans la presse (la presse c’est comme la télé mais sans la vidéo maintenant). Si j’écrivais le quart de ces conneries sur mon blog, je serais immédiatement lynchée sur la place publique virtuelle (comme quoi un professionnel de l’information aura toujours plus le droit à la connerie et à l’erreur qu’un “amateur”).
Par quoi commencer ? Par le seul article qui se tienne. Le 9 juillet, 20 minutes nous proposait sa sélection de SF à emporter dans les valises. Au programme (intéressant ce programme) : La fille flûte de Paolo Bacigalupi (qualifié d’excentrique) et l’auteur de l’article liste les autres titres publiés en France, L’éveil du Leviathan de James S.A. Corey (frénétique), Silo et Silo – Origines de Hugh Howey (post-apocalyptique), Morwenna de Jo Walton (féérique) et Destination Ténèbres de Frank M. Robinson (épique). L’auteur de l’article mentionne aussi Lucius Shepard (Le Dragon Griaule) et Daniel Keyes (Des Fleurs pour Algernon). Chaque roman est bien résumé. L’auteur mentionne les prix reçus et distille quelques éléments biographiques au passage. Avec un article de cette trempe (par un journaliste qui connaît son sujet), l’été commençait bien.
Quelques semaines plus tard, ça s’est gâté, quand Télérama s’est mis en tête d’analyser les raisons pour lesquelles la science-fiction n’a plus d’avenir. Enfilage de clichés comme si c’étaient des perles, approximations, généralisations abusives, tout y passe y compris les couvertures criardes, avec des « femmes petitement vêtues » (il achète sa SF en bouquinerie l’auteur de l’article ?).
Pour étayer ses « arguments », il a interviewé quelques éditeurs. Et là, ça devient franchement très drôle.
Gilles Dumay ouvre le bal. Ce n’est une surprise pour personne, l’éditeur communique régulièrement sur la difficulté à faire vivre sa collection. Il est transparent sur les chiffres de vente (ainsi que sur la politique de fixation des prix – souvent élevés – de son catalogue et que sur la politique en terme de numérique – si on peut toutefois appeler ça une politique – du groupe Gallimard puisque Denoël en fait partie). Personne n’est donc surpris quand il annonce vendre peu et, surtout de moins en moins : certains titres ne dépassent pas les trois cents exemplaires vendus. (Rassurez-vous, grâce à Morwenna la collection ne décédera pas en 2014 : une seconde réimpression de 1000 exemplaires a été lancée en juillet 2014). Bon ce qu’oublie de dire l’auteur de l’article, pour replacer cette info dans le contexte, c’est que beaucoup de livres se vendent à 300 exemplaires ou moins (en littérature générale comme en littérature de genre). Ce n’est pas un phénomène propre à la SF. C’est un phénomène propre à l’industrie du livre : beaucoup de roman publiés en même temps, une durée de vie de plus en plus courte dans les rayons des librairies (avec un pilon parfois en bout de course), peu de canaux de communication (et les éditeurs communiquent sur les locomotives parce que c’est ce qu’on leur demande) etc. Je ne vais pas détailler ici le modèle de l’industrie du livre ; c’était le boulot du journaliste. Boulot qu’il n’a évidemment pas fait dans son article.
On continue avec Antoine Caro (Robert Laffont) qui annonce que, pour la collection « Ailleurs & demain », « On essaie tout ce qu’on peut, mais ça ne prend plus ». Voui, voui, voui. Vous avez regardé le programme des deux dernières années de cette collection ? En 2013, sur les 4 livres publiés, on trouve une réédition, une « Dunerie » par le fils Herbert, une « Asimoverie » dénaturée et un seul roman original. En 2014, deux romans publiés : une réédition, une suite à l’asimoverie dénaturée. On a tout essayé ? Ben voyons. LOOOOOOOOOOOOOOOL.
Olivier Girard tient des propos plutôt modérés et prudents (au regard de ses éditos dans Bifrost). Il avance quelques hypothèses mais sans tout à fait étayer ses propos (ou alors le journaliste n’a pas jugé bon de les retranscrire) et termine sur une note positive : « N’empêche qu’il reste quantité de grands livres à faire découvrir. » C’est bien de le dire. Il est de bon ton d’enterrer la SF, d’affirmer qu’elle est morte ou qu’elle s’est dissoute dans la littérature générale (ce qui est faux, la SF dans les collections mainstream procure rarement le vertige propre aux grands romans de SF : pas de mise en perspective de la société, pas de spéculations sur l’humanité, elle est souvent réduite à un élément de décor – une histoire d’orpheline dans une société dystopique, une enquête policière à tendance cyberpunk etc.) En réalité c’est le modèle économique de la littérature de SF qui ne fonctionne plus. Pas le genre en lui-même. Il y a moins de lecteurs de SF ? La mode est passée : la conquête spatiale ne fait plus rêver, le monde est en crise depuis les années 70, d’autres loisirs sont venus grignoter le temps dédié à la lecture … Adaptons-nous parce que nous ne voulons pas que la littérature de SF meure.
L’auteur de l’article se mélange allègrement le clavier lorsqu’il annonce que les « éditions Bragelonne, longtemps symbole de la petite maison indépendante, ont vu Hachette entrer de façon importante dans leur capital » alors que Hachette est simplement devenu leur nouveau diffuseur.
Autre passage assez drôle : « La SF est partout, et du coup n’est plus nulle part. Actes Sud a certes surpris en créant récemment une nouvelle collection, « Exofictions ». Parfait ! Mais comme des jeunes filles timides dissimulant leurs charmes, les couvertures ont soigneusement gommé ce qui pouvait rappeler le genre… » C’est vrai que la couverture du Corey est exempte de toute trace de SF (non, non, je n’annonce pas du tout que c’est du space opera). Celle d’Ada aussi (comment ça c’est de la SF ?). Et celle du Lafferty alors ?
L’article a fait réagir sur les réseaux sociaux, et pour un décorticage en règle, je vous invite à lire l’article de Univers Marvel & autres comics. De mon côté, je sais pourquoi je n’achète pas Télérama.
Troisième article publié, le 09 août, sur le Nouvel Obs : Que lire cet été ? 5 livres de SF à dévorer, de L’éveil du Léviathan à Anti-glace. Ce top 5 est concocté par un libraire en science-fiction dans une librairie spécialisée lyonnaise (dont je tairai le nom grâce au peu de charité qu’il me reste de mon éducation chrétienne). La sélection en elle-même se révèle plutôt intéressante mais les commentaires sont, pour le le moins, maladroits. Au programme : Sans âme de Gail Carriger (qualifié de « version très légère et fantaisie d’un Emily Bronté » (hum, Brontë peut-être ?) – je vais relire Les Hauts de Hurlevent, seul roman publié par Emily Brontë au fait), L’éveil du Léviathan de James S. A. Corey (« du “Game of Thrones” dans l’espace »), Anti-glace de Stephen Baxter (« Stephen Baxter signe une de ses seules oeuvres lisibles ! C’est une exception chez cet auteur dont la majorité des écrits exige d’être physicien de haut niveau pour le comprendre » oups), Je suis ton ombre de Morgan (sans e) Caussarieu (« qui s’inscrit dans la veine du roman fantastique aux accents gothiques ») et 14-14 de Paul Beorn et Silène Edgar (« On se laisse bercer par l’écriture de Paul Beorn qui a une très belle plume » – et Silène Edgar alors ? Elle doit compter pour des prunes). Si ce sont les conseils d’un libraire, il ne faut pas s’étonner que 1/les blogs deviennent des prescripteurs, 2/les lecteurs ne fréquentent plus les librairies et achètent en lige et 3/les libraires perdent leur boulot. Ce libraire-là a tiré une balle dans le pied de tous ses confrères.
Tout ça pour dire que la SF dans la presse, hein…
mouhahaha joliiiii et dire que j’ai raté tout ça ben tant mieux tiens
@Yueyin : c’est comme le temps pourri, tu as bien fait d’y échapper ^^
“Si j’écrivais le quart de ces conneries sur mon blog, je serais immédiatement lynchée sur la place publique virtuelle (comme quoi un professionnel de l’information aura toujours plus le droit à la connerie et à l’erreur qu’un “amateur”).”
C’est (peut-être) plus symptomatique du lectorat que de l’auteur. Les lecteurs sont bien plus impliqués, intéressés et donc vigilants sur un blog (surtout un blog traitant d’un sujet bien spécifique) alors que de tels articles n’ont aucunement la même portée, ou tout du moins pas sur un public averti. Le droit à la connerie ne vient pas de la professionnalisation mais du lieu d’expression.
À part ce chipotage, je ne peux qu’être d’accord avec le reste de l’article. ^^
Tout pareil : journaux, télé, radio, même combat. Les “grands” médias sont un peu à l’équivalent de notre classe politique, c’est à dire pas vraiment intéressés par la réalité, uniquement par le message qu’ils veulent faire passer.
Comme disait Mark Twain “si vous ne lisez pas les journaux, vous n’êtes pas informés, si vous lisez les journaux, vous êtes mal informés.”
Le premier article est signé Joël Métreau, c’est un journaliste compétent (j’écoute régulièrement un podcast dans lequel il intervient), donc ça ne m’étonne pas qu’il soit bien rédigé.
Et pourtant, avec le troisième article que tu cites, on voit effectivement qu’on peut connaître son sujet et mal le faire partager avec le public. Comment dégoûter le public de Stephen Baxter ? En disant qu’il n’a écrit qu’un seul livre lisible ! Non mais sérieux, c’est censé être un plaidoyer pour la SF ça ? 0_o En plus, certaines tournures de phrases ne me paraissent pas très adroites…
Quant à l’article de Télérama, comment dire… Blindé de raccourcis à tous les étages !
Métreau qui écrit pour 20 minutes, un comble ^^
Ouch, si Lhisbei lole, c’est que ça va vraiment mal! O_O
J’aurai pu écrire ta dernière phrase de conclusion…. Cela en devient pathétique (et malheureusement, ce sont des écrits qui font “mal”)
L’article dans Télérama est complètement WTF ! Ça prédit la mort de la SF tout en profitant de cette occasion pour creuser un peu plus sa tombe. Ce n’est pas avec ce genre d’article que le lecteur “mainstream” va avoir envie d’en lire, au contraire ! C’est autant insultant et réducteur pour le genre que pour ses lecteurs qui sont clairement pris pour des cons attardés.
Moi ce que je trouve toujours inquiétant avec ce genre d’article, c’est que si la SF est traitée avec autant d’inexactitude, qu’est-ce qu’on doit penser du reste des sujets abordés ?
“Gilles Dumay ouvre le bal. Ce n’est une surprise pour personne, l’éditeur communique régulièrement sur la difficulté à faire vivre sa collection.”
Vu qu’il ne fait pas de SF (ou si peu)… “Olivier Girard tient des propos plutôt modérés et prudents”
Pour une fois… Au vu de mes lectures, quasiment que des classiques SF et des polars, je ne suis pas inquiet : je pourrai relire certains auteurs 3 ou 4 fois. :p Ou acheter en langue anglaise. La SF en France est moribonde. Tant pis.