Durée d’oscillation variable – Martin Lessard

Durée d’oscillation variable

De Martin Lessard

Long Shu Publishing – 205 pages et 110 pages en epub

Ce recueil de nouvelle a une petite histoire. A.C. de Haenne organisait, il y a peu, une opération spéciale autour de la sortie de ce livre : un concours doublé d’une séance de questions à l’auteur. Il se trouve que j’ai gagné le premier prix de ce concours : un exemplaire du recueil en verison papier et un exemplaire en version numérique. L’exemplaire papier a fait un aller/retour France Québec pour la dédicace (un grand merci à l’auteur et à l’éditeur pour le geste et la dédicace (ma première outre-atlantique :)). L’exemplaire numérique, quant à lui, a donné lieu à des échanges particulier avec l’éditeur sur FB : ma liseuse étant à ranger dans la case antiquités (produite en juin 2010 achetée en janvier 2011 et je n’ai pas encore craqué pour un modèle plus récent), la maquette de l’epub était un peu mal fichue pour elle. Elle passait bien sur un tas de machines mais pas sur ma vieille samsung. La lecture n’était pas agréable : police un peu trop grande à mon goût en taille 2 (et la taille 1 était trop petite), marges trop grandes (j’aime bien un écran plein et des petites marges parce que la liseuse a des bords larges), gestion des sauts de ligne un peu chaotique surtout dans les dialogues. Moralité : peu de texte sur la page ce qui m’obligeait à tourner les pages plus souvent qu’à l’habitude (et sur une liseuse préhistorique et un peu lente, je vous laisse imaginer le supplice). Photos à l’appui, l’éditeur a pris le temps de retravailler la maquette (entre 20h et minuit, c’est dur la vie d’éditeur ! A nouveau merci à lui) et j’ai donc pu lire les nouvelles de Martin Lessard en numérique en attendant que la version papier, ornée d’une très sympathique dédicace, traverse l’océan. Revue de détail.

Le recueil s’ouvre sur une nouvelle déjà parue en 2010 dans un fanzine (Asile) sous le titre « Je me souviens » et rebaptisée, dans cette édition, « I remember ». Dans un lointain futur, chaque province a son champion et les champions s’affrontent jusqu’à la mort lors de tournois. Au Québec, le champion, ambitieux, est en passe de battre tous les records. Mais dans son délire mégalomaniaque, il ne se rend pas compte du symbole qu’il est devenu ni des valeurs qu’il incarne pour un peuple dont l’identité semble être reniée en permanence. Plus dure sera la chute. Je n’ai pas aimé ce texte : le champion, bouffi d’orgueil, raconte son histoire plutôt que de nous la donner à vivre, et sa voix ne m’a pas été agréable.

« Durée d’oscillation variable » prend le temps de développer son sujet, une méditation sur le temps et sur ce que nous en faisons. Plus largement il se pose la question du sens à donner à nos vies, trop brèves et emplies de regrets. Il explore aussi la relation père-fils. Le personnage principal, marqué par l’absence du père (il travaillait trop) devient cobaye pour une expérience : une substance nouvelle permet de se passer de sommeil. Marc Juneau gagne donc huit heures de sommeil par jour pour s’occuper de son fils. Bien entendu, l’expérience va mal tourner. Ce texte correspond en tous points à ce que j’attends d’une nouvelle de SF : une réflexion sur la société, sur la condition humaine et sur l’être humain dans un cadre science-fictif crédible.

« Le Choix » m’a paru un peu trop nébuleux. Carl traîne dans un bar après l’enterrement de sa grand-mère (ils ne s’aimaient pas plus que ça). Un étrange personnage, Yeratel, lui propose de faire un choix. Comment le personnage principal pourrait-il faire un choix puisqu’il n’a ni les tenants ni les aboutissants ? Les règles du jeu sont faussées dès le départ et le choix se révèle vide de sens. Cette nouvelle fantastique ne m’a pas happée comme j’aurais du l’être. Dans ce texte un contrat avec le lecteur n’est pas respecté : le lecteur doit, lui, comprendre, et ce, même si le personnage se fait avoir.

« Expert à l’appui » ne m’a pas convaincue. J’ai peiné à m’intéresser au destin de Nitram Ssel Drassel, extraterrestre envoyé sur Terre pour étudier l’espèce humaine. Et je suis restée tellement en dehors du texte que je ne l’ai pas compris même si j’en ai perçu l’humour, l’ironie et la métaphore.

« À la face du monde » est un texte trop court pour être évoqué en détail. Je l’ai trouvé “punchy” et il m’a agréablement surprise. Il m’a fait penser aux  short short stories de Fredric Brown.

« Le Bonhomme vient à sept heures » est le genre de texte que je déteste. Très court (une scène), il montre l’horreur (je n’entrerai pas dans le détail de cette horreur-là pour éviter de déflorer le texte) sans pour autant porter un point de vue. Si formellement le texte se tient très bien (avec une graduation dans l’horrible et une montée en tension), l’absence de message m’a presque choquée compte-tenu de la thématique (et je ne suis pas si facile que ça à choquer en littérature).

« Compendieux » est une compilation de micro-nouvelles. Là je suis cliente : j’adore les petites phrases qui font mouche. Et celles-ci atteignent leur cible. En voici une en guise d’extrait :
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« Qui se ressemble s’assemble », promettait le slogan. En vérité, de tous les univers parallèles visités, jamais il ne ressentit la moindre parcelle d’affinité pour cette inepte succession de misanthropes censés constituer ses doubles.

« Sur le chemin du bercail » m’a aussi séduite. Mélanger SF (ici sur la thématique de la conquête spatiale) et fantastique (vampirisme) n’est guère aisé. Le texte fonctionne bien et le personnage principal, misanthrope lui aussi et psychopathe (mais ça c’est dans sa nature de vampire) en quête de rédemption se révèle assez bien construit pour qu’on le suive malgré ses défauts. L’angle de vue adopté surprend et subjugue. Je n’en dirai pas plus si ce n’est : bonne pioche avec ce texte.

« Le Son de la vie » est aussi une réussite. Critique percutante de notre société capitaliste et de consommation, ce texte frappe fort et là où ça fait mal. Tchik-a-tchik, c’est le son de la vie à crédit dans cette société où tout s’achète : le confort, le luxe et l’illusion du bonheur. Le prix à payer, élevé, conduit les famille à hypothéquer jusqu’au futur de leurs enfants. Quant à la liberté…

Je me suis retrouvée dans le même état d’incompréhension avec « Mon cinéma » qu’avec « Expert à l’appui ». Je n’ai pas compris le dénouement tant la frontière entre cinéma et réalité est floue. Frustrant.

« Psychédélique affection » joue sur le conflit générationnel. Dans une communauté éducative à la mode hippie (une mode devenue la norme), Constance Dylan Burroughs entre en résistance. Elle veut rester chaste et pure. Mieux elle veut se marier et rester vierge jusque là au mépris de toutes les règles de la communauté. Elle refuse aussi les paradis artificiels. Ses enseignants s’arrachent les cheveux. Mais où va donc la jeunesse ? Un texte bien vu, teinté d’humour, qui fait mouche.

Et un recueil québecois, ça placote un peu en québécois ? Un peu mais pas tant que ça, ce qui fait que le sens des mots québecois se devine facilement. Un truc tout bête pour terminer : il manque un sommaire. En tout cas il m’a manqué, ce sommaire, sur la version papier. Heureusement, sur la liseuse, il se révèle accessoire puisque l’epub est bien découpé, chaque chapitre correspondant à une nouvelle.

Bilan de cette lecture de Durée d’oscillation variable ?  Bilan globalement positif même si je suis passée à côté de certains textes. Martin Lessard choisit soigneusement ses angles d’attaque et ne manque ni de mordant, ni d’ironie, ni d’humour. Reste, à mon avis, que certains textes, obscurs, souffrent d’un manque de retravail pour les rendre plus accessibles sans les dénaturer.

    

                JLNN                         Québec en septembre

Cet article a 3 commentaires

  1. Karine:)

    Tu nous signes là un très bon billet, ma foi! Je ne suis pas très “nouvelles” donc je ne connais pas. Mais je me demande réellement ce que je penserais de la première nouvelle, là où il y a le champion. Juste pour voir si ça reflète certains aspects de la mentalité (réelle ou figurée) d’ici!

  2. Lhisbei

    @Karine : je ne sais pas si la nouvelle répondrait à ta question : l’angle de vue adopté (centré sur le nombril du personnage) est assez restrictif …

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