De Michel Pagel
Multivers – 167 pages sur ma liseuse
Opérateur radio dans l’armée pendant cinq ans, Francis Briand en a terminé avec la guerre que livre la Fédération terrienne contre la colonie rebelle de Jupiter. A peine démobilisé, il se fait – bien involontairement, mais très naïvement – enrôler de force sur l’Éclaireur, un vaisseau corsaire par le capitaine John Golden. Bien décidé à ne pas coopérer, il se retrouve aux fers à fond de cale. Un mystérieux et bouleversant chant féminin vient adoucir sa captivité. Le vaisseau accueille, dans ses soutes, Tertia, une sirène dont le chant envoutant mais destructeur pourrait mettre fin à la guerre. D’une manière trop radicale pour le pacifiste Francis.
Ceux qui avaient les oreilles bouchées l’entendirent à peine, comme si elle avait retenti dans le lointain, mais ils en perçurent les vibrations et cela leur suffit pour en ressentir le message. Le chant parlait sans paroles, porté par un timbre clair et puissant, tour à tour solennel dans les graves et se laissant mourir dans les aigus à la manière d’une plainte désespérée. Il parlait d’insignifiance, de détresse et de découragement. Il disait la vanité des entreprises humaines puisque toute vie aboutissait à la mort. Il disait cela simplement, sans grandes envolées lyriques, avec juste la profonde tristesse, l’insondable désespoir qui imprégnaient son tempo lugubre. Il disait cela avec des images, celles de l’être qui peine, qui s’affaire, qui surmonte mille difficultés et se retrouve au bout du compte cadavre perdu au beau milieu de l’espace, dans un univers que ses actions n’ont rendu ni plus beau ni moins chaotique. Des images où chacun des auditeurs se reconnaissait. Mort. Mort au sein du vide spatial, au cœur de la solitude, après une existence inutile.
L’histoire, au premier degré, est une aventure spatiale à l’enjeu on ne peut plus classique : une guerre sans fin au sein d’une fédération galactique (bien qu’on ne quitte pas le système solaire), des vaisseaux qui s’arraisonnent, un capitaine corsaire haut en couleur, une arme de destruction massive etc. Au premier degré, nous avons affaire à un space opera militariste, court, nerveux et rythmé.
Pourtant, on aurait tort de ne retenir que cela de La sirène de l’espace. Première originalité, le « héros » de l’histoire n’en est pas un. Ce n’est pas non plus un anti-héros. Francis est un type normal et banal. Il a fait la guerre, mais le danger était limité pour lui de par sa fonction. Pacifiste, il n’avait pas le choix ni la volonté de se soustraire à son devoir. Il a fait la guerre mais aspire à une petite vie peinard sur Terre. Il n’est pas taillé pour le premier rôle d’un roman de pirates de l’espace. Et il le sait. POur ne rien gâcher, il est aussi désabusé et il déteste l’espace.
Décidément, Francis n’aimait pas l’espace. Il s’en fit la réflexion le soir même, dans le poste de transmissions, en contemplant sur son écran la planète avec laquelle il n’allait pas tarder à se mettre en rapport pour demander l’autorisation d’y poser le Vesta 1. Le chant de la sirène lui avait montré quelle beauté on pouvait trouver à ce spectacle, quelle exaltation on pouvait éprouver à la simple idée de voyager au milieu de ce vide infini. Privé de son influence poétique, toutefois, le jeune homme se rendait compte que le cosmos ne lui inspirait absolument rien, sinon l’habituel abattement. Cette espèce de romantisme brutal, semblable sans doute à celui qui empoignait les marins partant jadis risquer leur vie sur les flots de l’océan, ne le touchait tout bonnement pas. Pour lui, vue de l’espace, Mars n’était qu’une ridicule sphère de boue perdue au milieu de l’immensité, une dérisoire boule de Noël privée de sapin.
Seconde originalité, l’auteur assume la transposition du roman d’aventures maritimes au contexte spatial. Il la référence constamment – l’ombre de L’Ile au trésor de Stevenson plane en permanence, la justifie pleinement y compris dans l’utilisation du vocabulaire qui ne rime à rien dans un univers non plan (tribord, babord, soute, etc). Les personnages à leur corps défendant deviennent des décalques des pirates des Caraïbes. Ce qui finit par mettre en abyme le roman et offre une évolution des personnages et une résolution de l’intrigue étonnantes.
En définitive, dans La sirène de l’espace de Michel Pagel parvient à transcender les clichés du space opera et offre au lecteur bien plus qu’un divertissement enlevé.
Et on termine sur une note d’espoir
Elle chanta qu’elle le suivrait n’importe où, jusqu’au bout de l’univers, qu’elle deviendrait ce qu’il voudrait qu’elle devienne. Et il la crut. Il ne se dit pas qu’une vie paisible, à la surface d’une planète, ne pourrait jamais la satisfaire. Qu’un jour ou l’autre, elle aurait besoin de retourner dans l’espace, et que lui, puisqu’il l’aimerait, la laisserait partir. Il ne songea pas que l’amour ne pouvait rien contre les lois naturelles : l’amour est un dangereux stupéfiant dont on ne perçoit les limites que lorsqu’on en est désintoxiqué.
Challenge S4F3
(224 pages éditions Fleuve Noir SF)
He bien, quel enthousiasme !
En même temps, Michel Pagel, c’est un peu l’assurance de au moins passer un bon moment, non ? 😉
Voilà. C’est largement en dessous de ses autres bouquins mais ça reste bon et fin malgré tout (parce qu’il dépeint le monde d’un trait de plume acéré).
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