Bifrost n°83 – Laurent Kloetzer
Après un éditorial épique qui raconte comment les éléments déchaînés ont souhaité un bon anniversaire au Bélial après un périple tout aussi homérique bien que très différent aux Imaginales, direction le cahier critique pour un survol rapide. La règle que je me suis fixée ne change pas : ne lire les papiers des livres déjà lus ou des livres que je n’envisage pas de faire entrer dans la PAL. J’en ressors avec quelques envies de lecture – Jennifer a disparu de Laurent Genefort, Le Club de Michel Pagel, L’infernale comédie de Mike Resnick, Le fantôme de la Mary Céleste de Valerie Martin, Les Enfermés de John Scalzi et Métaquine® de François Rouiller – mais ma PAL n’a pas besoin de tout ça, bon sang ! (Et pour le survol rapide, on repassera). J’en ressors aussi confortée par certains avis – mention spéciale hochement de tête pour le « Roman le Plus Abusivement Surestimé de la décennie » (je vous laisse deviner de quel titre il s’agit). Dans le coin des revues (et fanzines), une gifle à Galaxies (si, si il arrive que Thomas Day écrive du bien d’un numéro de Galaxies), une (petite) claque à Présences d’Esprits et Solaris et un trait assassin à Etherval (pas sûre que conseiller un fanzine « plein de nouvelles mal écrites » aux auteurs en herbe soit un cadeau, même s’il faut bien se faire la main). Pour ce numéro, il faudrait rebaptiser la rubrique Au coin les revues et fanzines !
La rubrique Paroles de… se diversifie. Prévue au départ comme un espace de paroles pour les libraires spécialisés, elle s’ouvre à d’autres acteurs du monde des littératures de genre (m’est avis que le vivier des libraires à interviewer commence aussi à se tarir vu la grand forme du secteur et la longévité de la rubrique). Dans ce numéro, nous avons donc droit à deux entretiens intéressants, le premier avec Jean-Daniel Brèque (un excellent traducteur, convenons-en) et le second avec Caroline Mucchielli & Annaïk Kerneuzet de la librairie Dialogues de Brest.
On enchaîne avec le dossier Laurent Kloetzer qui s’ouvre sur un entretien fleuve mené par Richard Comballot. Pudique, dans la retenue et parfois très concis dans ses réponses, Laurent Kloetzer s’ouvre beaucoup plus quand on aborde son travail d’écrivain et le jeu de rôle. S’en suit un article d’Eric Jentile (alias Gromovar pour ceux qui ne suivent pas) qui revient sur la première édition du prix Planète-SF des Blogueurs qui consacra, en 2011, CLEER une fantaisie corporate de L.L. Kloetzer. C’est d’un œil dubitatif que j’ai entamé la lecture de l’article de Léo Henry Vivre, écrire, jouer : Laurent Kloetzer, le JdR et les années 90 pour finalement me laisser embarquer jusqu’à la phrase conclusive (qui fait sens, même pour les non joueurs). Suivent un guide de lecture (sans critique de Mémoire vagabonde) et une bibliographie qu’on suppose exhaustive par Alain Sprauel.
Grand moment de plaisir, l’article de Roland Lehoucq sur Seul sur Mars que j’ai partagé avec M. Lhisbei (qui a vraiment fait un effort pour suspendre son incrédulité au début du film à cause de cette tempête invraisemblable). Ce qui reste intéressant, au-delà de la vulgarisation scientifique, c’est la démarche de Roland Lehoucq d’édification du lecteur : pas de jugement posé et imposé, mais des faits, des hypothèses étayées et un questionnement.
J’ai ensuite picoré les news et une envie de lecture supplémentaire dans les poches présentés par Pierre-Paul Durastanti (La Lune et le Roi-Soleil de Vonda McIntyre ici).
Je garde toujours les nouvelles pour la fin (en espérant que ce soit bien le meilleur morceau). Au sommaire, deux uchronies (en lice pour le prix ActuSF de l’uchronie 2016) : « Une brève histoire du Tunnel transpacifique » de Ken Liu et « Pour toujours l’humanité » de Léo Henry. Les deux textes sont de très bonne tenue. Dans la nouvelle de Ken Liu, la Grande Dépression a été soignée par la construction d’un tunnel reliant l’Asie à l’Amérique du Nord avec trois gares en surface à Shanghai, Tokyo et Seattle ainsi que des gares souterraines comme Ville-Médiane où réside Takumi Hayashi, un ancien tunnelier. Après 40 ans de travaux de force, il n’est pas retourné à Taïwan pour y couler les jours paisibles d’une retraite bien méritée. Au contraire, ses nuits sont hantées par les souvenirs d’événements tragiques qui ont émaillé la construction du tunnel. Ken Liu entrelace destin individuel et politique internationale, reconfigure le monde – pas de montée du parti national-socialiste des travailleurs allemands d’Adolf Hitler et pas de seconde guerre mondiale – d’un trait de plume qui fait mouche. Le ton est empreint de nostalgie et d’une forme douce de militantisme. Un grand texte.
L’uchronie proposée par Léo Henry se base sur l’échec d’une des missions Apollo. Eagle, le module de descente qui a posé Buzz Aldrin et Neil Armstrong sur la Lune, ne parvient pas à redécoller. Les deux astronautes meurent sur le sol lunaire. Michael Collins, considéré habituellement comme « le grand perdant », revient sur Terre, sauf mais traumatisé d’avoir assisté impuissant à la mort de ses collègues. Bien des années plus tard, dans un hôtel désuet du fin fond de la campagne française, la narratrice rencontre l’astronaute et les mots se délient. Ici aussi nostalgie et souffrances s’entremêlent pour donner un texte puissant et juste dans son ton. Il faut cependant parvenir à suspendre son incrédulité tant la rencontre (et l’enchaînement avec le dîner qui suit) semble improbable et que perdure l’impression que la narratrice vit un rêve éveillé.
Point d’uchronie dans « La Confirmation » de Laurent Kloetzer. La nouvelle nous projette dans l’univers d’Anamnèse de Lady Star, 57 ans après le Satori. A mi-chemin entre post-apocalyptique et fantasy, on y suit un groupe de villageois qui cherchent à survivre à l’arrivée d’une armée menée par la dame des moissons… Le point de vue adopté est celui d’un enfant soldat, Merlin. La nouvelle, le plus long des trois textes présents au sommaire, prend son temps pour nous révéler la complexité du monde post cataclysmique dans lequel évolue. On y ressent la peur de la mort et de la maladie, la chaleur écrasante du Sud, l’odeur du sang et le désir de vivre, mais aussi de croire et le fanatisme qui en découle.
En définitive, ce Bifrost n°83 est un excellent cru. A lire, donc.
Note : ce Bifrost a été lu en epub sur smartphone (sur un Galaxy S6 Edge) via l’application Bookari (que je conseille pour sa simplicité et son ergonomie) et sur PC via Calibre (qu’on ne présente plus). Cette version numérique est impeccable. Bravo au développeur, Emmanuel Gob de LEC Digital Books.
- Lire l’avis de Xapur
le roman le plus abusivement surestimé de la décennie : allez, je tente ma chance : La justice de l’Ancillaire ?
Biiiiiiingo ! C’était facile, avouons-le.
J’en ressors aussi confortée par certains avis – mention spéciale hochement de tête pour le « Roman le Plus Abusivement Surestimé de la décennie » (je vous laisse deviner de quel titre il s’agit)
Quand je verrai Erwann je l’embrasserai.
Je serai là pour prendre la photo :p
Ping : Bifrost n°99 - RSF Blog