Anarchy in the U.S.E. – John King

Anarchy in the U.S.E.

De John King

Au Diable Vauvert – 512 pages. Traduction de Diniz Gahlos

Dans un futur proche, les nations européennes se sont unies pour former l’USE (United State of Europe), créant ainsi une Europe uniformisée et dotée d’un pouvoir centralisé (à Bruxelles mais c’est à Berlin que les fonctionnaires / technocrates tirent les ficelles). Les élections, perçues comme perturbatrices par les détenteurs du pouvoir, qui, bien sûr, prétendent agir dans l’intérêt supérieur de la population et détenir la vérité absolue, ont été supprimées. Cette dictature déguisée prétend instaurer une “Nouvelle Démocratie”, dissimulant ainsi sa véritable nature derrière des sourires artificiels et une absence flagrante de réflexion personnelle qui se traduit par l’utilisation d’un vocabulaire simpliste. Un système prétendument méritocratique, mais extrêmement inégalitaire, s’est instauré, créant des castes de citoyens. L’information, pilier central de ce système, est gérée par l’InterZone, un réseau combinant des dispositifs de surveillance (micros, caméras) à un internet restreint. Les supports physiques sont prohibés. Livres, films, journaux, musiques – tout ce qui peut être numérisé l’a été. L’information n’existe qu’en ligne, où elle est constamment manipulée, modifiée, réécrite et supprimée à volonté. L’État exerce un contrôle absolu sur l’histoire, allant jusqu’à réécrire le passé (une anecdote surprenante étant l’inversion des rôles de Churchill et d’Hitler). Le présent est aussi soumis à une manipulation systématique, avec une censure sélective des informations et une déformation des événements en cours. Dans le but de surveiller les individus de manière toujours plus efficace, l’État a introduit les Paumes, des dispositifs à mi-chemin entre un smartphone et un mouchard, intégrés directement à la main de l’utilisateur, rendant ainsi leur retrait difficile, voire impossible. Et lorsque la police secrète, connue sous le nom de Cool, vient vous appréhender, elle vous offre un café et des croissants avant de vous éliminer (“zapper”) ou de vous envoyer au QG Câlins de Berlin, connu pour sa cruauté sans limite. Le décor est planté : une dystopie fortement référencée (Orwell et Huxley…) avec une inversion des valeurs camouflée derrière la liberté d’expression.

À Londres, Rupert incarne un jeune bureaucrate ambitieux, profondément influencé par une société corrompue et les valeurs perverties qu’elle véhicule. Son adhésion aveugle à l’idéologie dominante fait de lui un véritable danger public, du moins de notre point de vue. Il voue une admiration fervente au contrôleur Horace Starski, presque au sommet de la hiérarchie. D’un autre côté, nous rencontrons Kenny, un résistant, un « commun », qui vit dans l’une des rares zones libres qui subsistent où la culture traditionnelle anglaise a encore sa place. Malheureusement, ces groupes de résistants sont étiquetés terroristes et traqués. Ces trois destins se heurtent violemment dans un contexte de déliquescence sociale.

A la lecture du roman, je me suis interrogée sur les intentions de l’auteur qui m’ont échappé en grande partie derrière le caractère outrancier du texte. John King est-il anti-européen (dans son acception chauvine et nationaliste) ou opposé à l’Union européenne telle qu’elle était en place lors de l’écriture du roman (publié en 2016) ? Est-il réticent à l’idée que le Royaume-Uni fasse partie de l’Union européenne (le roman est sorti en 2016, juste avant le référendum sur le Brexit) ? Est-il populiste, ou tout cela à la fois ? Le titre anglais du roman, “The Liberal Politics of Adolf Hitler”, ajoute encore à mes interrogations. Ne connaissant pas ses précédents romans, je ne peux trancher. L’auteur, né en 1960, est suffisamment âgé pour adopter une vision réactionnaire dans la veine d’un bon vieux “c’était mieux avant”… Reste que, de mon point de vue, le roman se perd dans l’excès, et je n’ai pas été captivée par les personnages, leurs péripéties ou l’intrigue. Dommage.

Extrait

Les communs de la campagne s’accrochaient à leurs mythes, à leurs routes sinueuses et leurs haies mal taillées, leurs ennuyeux matches de crickets sur des terrains bordés de chaume ranci, heureux de se remplir la panse de bière et de tourtes ignobles, certains allant même jusqu’à cultiver leur petit jardin alors qu’ils pourraient parfaitement acheter des légumes plus propres, quasi identiques, dans un hypermarché. Ce refus du changement avait limité la propagation de valeurs plus progressives, mais ces coins reculés finiraient bien un jour par accéder à la modernité. L’USE maintenait le forcing, gardait la main tendue, jouant comme à son habitude sur le temps long. Le rejet ne serait pas oublié. Les insultes avaient été compilées. La suppression de l’Anglicité était inévitable. Les rebelles gallois, écossais et irlandais disparaîtraient également. Pourtant, malgré les tentatives du Cool pour susciter des dissensions internes, la résistance britannique demeurait unie. Pour le moment, en tout cas. La victoire était assurée. L’USE atteignait toujours ses objectifs. Le temps n’avait aucune importance. Il en avait été ainsi dès le début. Londres était d’ores et déjà très différente de la ville qu’il avait jadis connue.

Cet article a 9 commentaires

  1. Baroona

    Si ce roman n’est pas anti-européen, il le cache vraiment très très bien.

    1. Lhisbei

      Voilà. Perso, je n’aime pas l’Europe telle qu’on est en train de la bâtir mais en faire le diable absolu, corrupteur et abêtissant comme le fait John King c’est presque ridicule

  2. Anudar

    Ouh, que voici un titre dont je sais déjà que je ne le lirai SURTOUT pas…

    1. Lhisbei

      Tkt tu n’auras pas à le lire (il ne risque pas d’être dans la SL celui-là)

  3. Impressionnant comme cette Europe peut cristalliser les haines les plus féroces. Et, comme tu le dis, John King est dans l’exagération la plus forte la plus noire. Perturbant.

    1. Lhisbei

      Perturbant et aussi un peu vain (voire même gratuit).

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