Brut – Dalibor Frioux

Brut

De Dalibor Frioux

Seuil – 502 pages

Voici ce que j’appelle pudiquement une lecture laborieuse. Pourtant ce roman avait tout pour me plaire au départ.

Brut nous plonge dans l’anticipation proche, au milieu du 21ème siècle, en Norvège et dans le monde du pétrole. Nous ne sommes pas dans Dallas heureusement. La Norvège est un paradis : un pays riche du pétrole de la Mer du Nord, un pays vert qui pense écologie au quotidien, un paix de paix. Le pétrole, cet or noir, apporte une manne financière qu’un fonds éthique est chargé de gérer pour le bien de tous. Les élections approchent (le système politique garantit une démocratie parfaite). Nous suivons Katrin, ancien mannequin qui s’est émancipée tôt pour devenir ensuite une parfaite épouse au foyer (à la Bree Van de Kamp), son mari Karl et sa fille Sigrid qui vit une vague amourette avec Henryk, le philosophe qui vient d’être placé à la tête du Fonds mais aussi de Kurt Jensen ami de la famille qui intrigue pour intégrer le comité du Prix Nobel de la Paix. Un grain de sable vient enrayer ce bonheur parfait : des jeunes meurent subitement d’un mal inconnu. Présenté comme cela c’est alléchant non ? Sauf que… jamais le lecteur ne s’attache aux personnages ou n’éprouve emptahie ou sympathie pour ceux-ci. Dans le meilleur des cas ils laissent parfaitement indifférent ; dans le pire, ils agacent par leurs réactions que l’on ne s’explique pas. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils surprennent toujours le lecteur mais sans cohérence psychologique interne apparente.

Les personnages sont tous secondaires ici. Ce qui importe c’est le pétrole, son histoire, sa capacité à corrompre, les implications politiques, la dystopie naissante portée par la schizophrénie d’un pays dont la principale ressource devrait apporter bonheur et qui voit ses enfants mourir sans raison et son climat social se dégrader inéluctablement. D’ailleurs ce fil de l’intrigue n’est jamais résolu : les morts mystérieuses le resteront, frustrant un peu plus le lecteur. La documentation est plus que riche, solide et étayée. Le monde décrit ici pourrait être passionnant si la narration, qui enchaîne de longs passages introspectifs et explicatifs, ne maintenaient le lecteur à distance. Le lecteur a en permanence l’impression que l’auteur, obnubilé par le pétrole et par la société en déroute qu’il brosse, oublie son fil narratif et se désintéresse de ses personnages, de leurs destins. Dans Brut les personnages sont en papier-mâché alors que le décor semble avoir été peint avec minutie. Mais pour tenir l’attention du lecteur et éviter l’ennui, il faut plus qu’un beau paysage. Sur ce thème et son traitement, j’aurais préféré lire un essai.

Un extrait :
« L’homme à la lumière duquel jappe et dort une nuée d’enfants, dans les bras duquel s’abandonne une femme méritante, l’homme qui à son retour referme le dernier la porte de la grande maison, qui chaque soir laisse ses parents dehors continuer d’être morts sous la terre gelée de l’hiver, cet homme qui a joué aux petits chevaux sur l’épais tapis du salon s’assied enfin en bout de table après avoir ramassé la cuiller du dernier-né. Alors même qu’il rit et se fâche tendrement dans les ondoiements de son foyer, que ses enfants le décorent de dessins au pochoir, que sa femme l’habille de voilages et de rideaux, que la chaleur du poêle l’enveloppe de buée, le revers de son corps reste froid et dur comme la vitre pour arrêter le vent et la pluie. Car il est le premier rempart et le dernier ressort, il prend les coups que le monde destine aux siens, et au petit matin il doit laisser la lumière du jour réjouir les cœurs, éclairer et ronger sa stature.
Pour offrir de bonne grâce à ses enfants, il doit éprouver une secrète lassitude des plaisirs terrestres, avoir connu à satiété les compliments, les melons sucrés, les départs en vacances, les bonnes notes, les chansons enivrantes, l’éclair fugace du papier d’emballage qu’on arrache des cadeaux. C’est lui-même à présent qui prépare les joies et cache les surprises les unes dans les autres. Il peut abandonner la bouchée de chocolat, la place avec fenêtre dans le train, les trois sous dont l’obtention confirmait autrefois son existence. Son regard se porte sur ces petits visages anxieux et émerveillés, et non plus sur les douceurs de la vie qui ont suffisamment séjourné en lui. »

Cet article a 5 commentaires

  1. Yohann

    Norvege inside
    Merci pour cette critique constructive et intéressante ! Ca a l’air bien écrit, mais l’histoire n’a pas l’air très funky… et puis c’est dommage de ne pas s’attacher aux personnages !

  2. rokdun

    hmm… si l’extrait est représentatif, ça a l’air bien lourd…

  3. NicK

    Encore une bouze… Je note et je ne l’achèterai pas. [Cheese]

  4. Lhisbei

    @ Yohann : bien écrit oui mais avec des écarts stylistiques importants et parfois déstabilisants.
    @ Rokdun : non tout n’est pas comme ça. il y a des passages moins obscurs mais globalement les pages ne défilent pas toutes seules : c’est toujours dense.
    @ Nick : je ne te le recommande pas non plus vu tes goûts []

  5. Brize

    Bloquée (depuis une quinzaine… mais j’ai beau laisser le livre en évidence, je n’y reviens pas) à la page 180. Comme tu le dis très justement, la toile de fond est passionnante, mais j’attends en vain l’histoire (j’suis comme ça, moi, j’aime bien qu’on me raconte une histoire) !

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