Le 118e numéro de Bifrost (avril 2025) consacre son dossier central à Ayerdhal, figure majeure de la science-fiction française disparue il y a dix ans. Autour de ce portrait dense, la revue propose trois nouvelles dont deux inédites, les rubriques habituelles et la centième chronique dans la rubrique Scientifiction de Roland Lehoucq. L’illustration de couverture, signée Pascal Blanché séduit par sa composition mais le rendu s’avère un peu trop sombre et c’est bien dommage. Cette chronique s’appuie sur la lecture de M. Lhisbei et sur nos échanges – d’autant plus faciles que, pour une fois, nous étions parfaitement d’accord.
Trois nouvelles aux tons contrastés
Daryl Gregory – « Je Ne Suis Pas Malade Juste Mad »
Toronto est survolée par un vaisseau extraterrestre, mais au milieu du chaos, Tatie Mads s’entête à déménager son vieux canapé « Monsieur Dodo » avec l’aide de Tindal et El Cap. Entre invasion alien et burlesque, Gregory signe un hommage décalé à Iain M. Banks. La nouvelle, débordante d’énergie, joue sur l’humour jusqu’à l’absurde, parfois à l’excès. Pour l’apprécier, mieux vaut se laisser porter par son inventivité.
Ray Nayler – « Aussi longtemps qu’il faudra »
Cette fiction climatique suit un homme qui, après chaque catastrophe naturelle, contribue à la reconstruction des villes dévastées. Récit d’une obstination vouée à l’échec, cette nouvelle propose une réflexion amère sur la résilience humaine face aux désastres environnementaux inévitables. Poignant et réaliste, ce texte anticipe un futur dont les contours semblent déjà (trop) familiers. Il sonne comme une mise en garde.
Je suis resté. Pour la saison des incendies, la saison des tempêtes et celle des cyclones. On trouve toujours la queue de l’une dans la bouche de l’autre. Vous pouvez suivre le cycle de dévastation tout au long de l’année. J’ai contemplé la fin du monde pendant trente ans. Il n’en finit pas de finir.
Ayerdhal – « Scintillements »
Après six siècles de guerre interstellaire opposant humains et Batiks, l’incapacité à communiquer avec l’ennemi conduit à une issue tragique. Cette nouvelle met en lumière l’absurdité des logiques de domination et d’expansion, tout en questionnant la finalité même de la guerre. Brève mais d’une intensité saisissante, elle condense avec une force rare l’engagement politique d’Ayerdhal. Admirablement maîtrisée, elle exprime en quelques pages une profondeur qui ébranle le lecteur et fait de ce récit une réflexion à la fois intime et universelle sur la guerre et l’altérité.
Rubriques et entretiens
Le cahier critique, fidèle à lui-même, passe en revue les dernières parutions et anthologies. Ce numéro marque également la centième parution dans la rubrique Scientifiction tenue par Roland Lehoucq. L’astrophysicien consacre son article aux systèmes à plusieurs étoiles et au fameux problème à trois corps, illustrant une nouvelle fois le dialogue fertile entre sciences et fiction. Un entretien avec la traductrice Hélène Collon revient sur les évolutions du métier. Voici un de ses constats :
« Ce qui change c’est la concentration de l’édition, la disparition progressive des « maisons » qui deviennent des « marques » au sein de groupes. Ont disparu à cette occasion les relations individuelles et suivies avec nos interlocuteurs et interlocutrices, qui pouvaient se développer sur des années. Souvent ces personnes n’ont même plus de bureau, il m’arrive de plus en plus d’avoir affaire à des gens que je ne rencontre jamais, ce qui était impensable il y a encore quinze ans.
Heureusement, l’édition indépendante remet de l’humain dans tout ça, et traduit des auteurs et autrices que ces grands groupes de milliardaires négligent pour d’étroites raisons de rentabilité. »
Dossier Ayerdhal, écrivain en colère
« La science-fiction est un puissant outil pédagogique, un véhicule idéologique non négligeable, et la plus riche expression de l’imagination créatrice.”
Le dossier rassemble portraits, entretiens et témoignages consacrés à l’auteur. On y trouve notamment deux extraits d’un entretien réalisé par Richard Comballot en 2009, disponible en intégralité dans le recueil Scintillements, au Diable Vauvert. Ayerdhal y revient notamment sur ses débuts et ses influences. S’ajoute la préface de Jean-Claude Dunyach au recueil La Logique des essaims, sobrement intitulée Portrait de l’artiste en fouteur de merde. Elle propose une analyse de la plume d’Ayerdhal et donne, en même temps, une leçon à la fois passionnante et pleine d’humour sur l’art de la nouvelle.
Une interview parue dans Phénix en 1998, conduite par Sara Doke, met en lumière son engagement militant et tandis que Marion Mazauric, son éditrice au Diable Vauvert, témoigne de sa relation avec l’auteur. Un guide de lecture et une bibliographie complète, établie par Alain Sprauel, complètent ce dossier.
Si plusieurs textes sont issus de publications antérieures, les réunir permet de dresser un portrait riche et multiple d’un auteur engagé, provocateur, profondément attaché à la défense des droits des auteurs et dont les textes sont toujours d’actualité. Lisez Ayerdhal !
En conclusion, ce Bifrost n°118 parvient à conjuguer hommage, réflexion et divertissement et rappelle combien la science-fiction demeure un espace de lutte.
Pour aller plus loin
- D’Ayerdhal sur le RSF Blog : : Transparences (par Monsieur Lhisbei), Rainbow Warriors, Cybione – Le Cycle de Cybione T1 (par Monsieur Lhisbei)
- Daryl Gregory sur le RSF Blog : Nous allons tous très bien, merci, « Deuxième personne du singulier« , « Une autre chanson du futur« , « Les neuf derniers jours sur Terre«
- De Ray Nayler sur le RSF Blog : Protectorats
- Lire les avis de Gromovar ici, là ou encore là, Les Lectures du Maki, Les Chroniques de FeyGirl.

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